Festival de la création féminine : Elles peignent ce que le désert murmure
Lors de l’exposition d’art visuel organisée dans le cadre de la 10ᵉ édition du Festival culturel national de la création féminine, consacré au Grand Sud, notre journaliste a rencontré trois artistes, la photographe Meriam Ouanni et les plasticiennes Maroua Elkhir et Rauiya Faradji.
Trois femmes, trois sensibilités, trois parcours qui se croisent dans un espace où chaque œuvre résonne comme l’écho de l’âme saharienne. En ce milieu d’après-midi, la lumière dorée inondait les murs blancs de la Villa Boulkine (Hussein-Dey), tandis qu’un souffle tiède venu du littoral entrait par les fenêtres entrouvertes et effleurait les toiles suspendues, immobiles mais pleines de vie. Au deuxième étage, dans la deuxième chambre à droite, les murs se couvrent de photographies. L’artiste pleine de talent, Meriam Ouanni nous décrit le cadre d’un de ses clichés, celui d’une silhouette féminine, drapée d’une Melhfa (Tisrinse), se détache, esseulée, sur l’horizon sablonneux. Titre de l’œuvre : « Femme dans un désert serein » (70x50cm, 2022). À propos de cette œuvre, Meriam Ouanni a précisé : « Dans son environnement, cette femme peut être elle-même, agir et se comporter comme elle le souhaite. »Au fait, « ma passion pour la photographie a commencé en 2017, après une période difficile dans mes études, » a-t-elle confié, en caressant l’objectif de son appareil. Et d’ajouter : « J’ai commencé par photographier seulement dans mon quartier et mon village. Chaque cliché devenait un défi, une respiration, qu’il saisisse un fragment de nature ou une scène de rue. »
Son regard, attentif, capte les moindres variations. Un tissu qui s’envole, un visage à demi tourné. L’artiste photographe a dit qu’elle n’a pas cherché la photographie, c’est cette dernière qui est venue. « La photographie m’a sauvée de la dépression, » a-t-elle, d’ailleurs, livré, le sourire aux lèvres. Avant de souligner : « C’est une thérapie. Elle m’a redonné le goût du monde ».
Traces d’émotions
Un peu plus loin, un autre cliché arrête les visiteurs : « Le Rythme du Sahara » (70x50cm, 2025). On y distingue un homme battant le bendir, une femme à la tête baissée. L’instant semble suspendu entre pudeur et passion. « Ce rythme, El Berzana, est une danse du Tidikelt, très populaire dans le triangle Touat-Gourara-Tidikelt. Elle se danse lors des mariages et des carnavals sahariens… Ce moment et la femme m’ont littéralement captivée ! ». Meriam Ouanni a, de nouveau, souri. Derrière elle, ses photos racontent ce que les mots ne peuvent dire.
Meriam Ouanni est née et a grandi et en 1994 dans le sud algérien à Inghr (Ain Salah). Sa passion pour la photographie a débuté en 2017. Elle a participé à de nombreux concours de photographie, dont certains lui ont valu la deuxième et la troisième place. Elle a déjà remporté un prix lors d’un concours en Égypte. Elle s’est perfectionnée auprès de photographes reconnus, avant d’obtenir un certificat national de formation et un diplôme d’une académie internationale de photographie.
« Depuis mon plus jeune âge, j’ai toujours ressenti un amour profond pour la photographie en art. C’est une passion qui m’habite naturellement, comme un talent inné. J’en rêvais depuis longtemps, et lorsque l’occasion s’est enfin présentée, je n’ai pas hésité à la saisir. À travers mon objectif, j’ai pu immortaliser de belles histoires et capturer la richesse des paysages naturels qui m’entourent », a détaillé Meriam, la voix chargée d’émotion.
Dans la salle d’à côté, Rauiya Faradji, intarissable, dialoguait avec les visiteurs, partageant les histoires cachées derrière ses deux tableaux : « Breaths on the table of Existence » (50x65cm, Huile sur Toile, 2024), et « Soul’s Eternity » (70x80cm, Huile sur Toile, 2025). Née en 1998 à Ouargla, diplômée de l’École régionale des Beaux-Arts de Mostaganem, elle s’inscrit dans le courant impressionniste. Dans sa démarche artistique, Rauiya Faradji est en quête de spiritualité, de souvenirs, bien plus que du simple vernis des choses. « Une femme est une âme, et mes peintures sont un aperçu de la mémoire » a-t-elle affirmé passionnément. Et de relever avec une certaine assurance : « Mes toiles sont des natures mortes qui respirent ». À cet égard, elle a tenu à préciser : « Je veux montrer que même les objets inanimés ont une âme, une histoire. Ils portent la mémoire de ceux qui les touchent. »
À travers elles, le Sahara peint
Du reste, en contemplant ses deux œuvres, « certains disent que les couleurs chaudes utilisées ne sont pas sahariennes, » a-t-elle ironisé d’un ton amusé. « Mais elles le sont spirituellement. Nous les utilisons parce que nous en ressentons la chaleur. C’est quelque chose de très intérieur », a-t-elle expliqué.
Dans « Soul’s Eternity », le mauve domine, symbole de royauté. Aux yeux de la même plasticienne, « cette toile parle de l’âme de la femme reine. La couleur mauve, historiquement rare et précieuse, était réservée à la royauté. Mais pour moi, la femme est reine de manière innée. »
Connue pour son style à la fois poétique et philosophique, elle a participé à de nombreuses expositions nationales et maghrébines. D’après elle, son art est une fenêtre ouverte sur « l’âme, la mémoire et la profondeur féminine ».
Dans la même salle d’exposition, deux acryliques sur toile signées Maroua Elkhir, en 2025 — « Liberté » et « Voix de la Terre » —trônent côte à côte. Née à Ain Salah en 1996, l’artiste peintre, diplômée de l’École des Beaux-Arts Mohammed Khadda de Mostaganem, parle d’une voix douce mais sûre. « Dans La Liberté, il y a une cohérence et une force dans les couleurs. Elles symbolisent la femme saharienne dans sa puissance et sa sagesse. »
Sa peinture, aux teintes bariolées, s’inscrit dans l’art abstrait et fascine par sa liberté. Des formes mouvantes, une lumière qui semble jaillir du dedans.
Devant la toile « Voix de la Terre », elle a clarifié : « Je voulais montrer comment la femme saharienne se déplace, comment elle avance pour chercher du travail, pour subvenir à ses besoins. Elle est mouvement, elle est persévérance. »
« La femme saharienne ne se définit pas seulement par son artisanat ou ses habits traditionnels. Elle s’exprime aussi à travers la peinture, la photographie, la littérature…», ont affirmé d’une même voix les deux plasticiennes Rauiya Faradji et Maroua Elkhir , animées par la volonté de rompre avec les stéréotypes.
Elles parlent peu, mais chaque mot compte, comme chaque trait de pinceau. Dans leurs yeux brille le même éclat que dans leurs toiles, celui d’une femme qui regarde le monde sans jamais baisser le sien.
Lorsque la nuit tombe sur Hussein-Dey, la Villa Boulkine s’illumine de l’intérieur. La foule s’y presse, l’endroit s’emplit de monde, de murmures et de regards curieux.
Leur arts, si singulier, se rejoint pourtant dans une même conviction, elles en sont habitées, comme par une promesse. Et ce soir-là, on accrédite le constat selon lequel la création artistique est, bel et bien, une manière d’exister et de se dire au monde. C’est un moyen d’expression, une véritable affirmation de soi, mais dans le même temps, une façon de raconter le monde et de partager sa propre vision.
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