Diplomates, journalistes, artistes, maîtres-espions, au service de l'Algérie – Le Jeune Indépendant
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Diplomates, journalistes, artistes, maîtres-espions, au service de l’Algérie

Diplomates, journalistes, artistes, maîtres-espions, au service de l’Algérie

Il est des morts qui doivent leur retentissement ou leur anonymat au hasard d’un calendrier électoral. Celle de Chérif Guellal, diplomate d’exception, Algérien lumineux et patriote hors du commun, fut en son temps réel l’exemple même du télescopage de la biologie et de la géographie électorale.

Le premier ambassadeur de l’Algérie indépendante à Washington est décédé à 75 ans, dans un quasi-anonymat, un certain 9 avril 2009, des suites d’une longue maladie due à une leucémie et inhumé au Carré des martyrs à El Alia à Alger.

La mort attendue dans un hôpital discret de la côte-ouest algéroise, avait en effet choisi son mauvais jour. C’est alors à peine que ce Brummell de la diplomatie à la dégaine de crooner hollywoodien, aura eu l’honneur parcimonieux des gazettes algéroises, il est vrai, accaparées qu’elles le furent alors par la réélection à la présidence de la République d’un autre diplomate qui, lui, ne fut pas d’exception. Mais comme nul n’est prophète en son propre pays, ce sont de prestigieux titres de la presse américaine, en l’occurrence le Washington Post, le New York Times, le Los Angeles Times, The Boston Globe – excusez du peu- qui ont alors rendu un vibrant hommage au «combattant de la résistance algérienne contre l’armée française». Négligés par les siens, on n’est jamais mieux servi que par les Autres.

Guellal

Chérif Guellal

Baccalauréat obtenu avant le déclenchement de la guerre de Libération, et diplôme en graduation de l’université d’Aix en Provence en poche en 1956, Chérif Guellal fut l’exemple même du diplomate prédestiné. Ce polyglotte, mélomane et amateur de beaux-arts, s’était lié d’amitié avec le pharaon de la chanson égyptienne Mohamed Abdelwahab.
Ses proches témoignent qu’il affectionnait particulièrement sa chanson « Ennahr el Khaled », ode magique à la majesté du Nil, «ce grand voyageur» qui se nourrissait d’alluvions et d’imaginaire.

Troubadour de la diplomatie militante et de la diplomatie classique, Chérif Guellal était certainement un diplomate au long cours et un homme de riche culture sédimentaire.

Cherif Guellal homme des réseaux denses et étendus aux Etats Unis
Berbère, natif au sein d’une noble famille militante de la Cause nationale, originaire de l’oasis de Sidi Okba, au sud du majestueux plateau de l’immémoriel Aurès, Cherif Guellal est nommé représentant du FLN à New Delhi et en Égypte, et était également un des cadres de l’Union des Étudiants musulmans algériens (UGÉMA). Il occupe ensuite le poste d’ambassadeur du Gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA) auprès de l’ONU.

Premier ambassadeur d’Algérie à Washington et en même temps au Canada, il sera donc l’homme des réseaux denses et étendus, le lobbyiste algérien de choc, l’ami des politiques, des stars du showbiz, et des têtes couronnées de l’establishment militaro-industriel US. Si l’homme d’affaires et maître espion Messaoud Zeggar fut notamment l’ami de George Bush père, Chérif Guellal, lui, était l’intime du président John Fitzgerald Kennedy, de ses frères et de son successeur Lyndon B. Johnson. Il a gardé en même temps un lien permanent avec l’administration américaine.

Plus tard, c’est-à-dire à partir de 1969, année où il sera représentant de Sonatrach, son fabuleux carnet d’adresses, comme on le verra infra, servira beaucoup l’Algérie. Notre pays en avait alors bien besoin pour écouler son pétrole, placé sous embargo français après la nationalisation des hydrocarbures en 1971. Le nationalisme économique, c’est aussi du lobbying.

Chérif Guellal, séducteur devant l’Eternel, était, selon la formule d’un chroniqueur du Washington Post, une «figure glamour de la haute société» de la capitale fédérale américaine. Son influence et l’efficacité de son lobbying furent telles que lors de la guerre du Viêtnam et du mandat du président Lyndon B. Johnson, il fera le lien consulaire entre Robert Kennedy et le FLN vietnamien. Après la fermeture de l’ambassade en 1967, à la faveur de la guerre israélo-arabe des Six jours, il décide de faire une carrière comme consultant pour plusieurs compagnies internationales et autres pays aux États-Unis.

Il représente également la compagnie Sonatrach lors de l’embargo français des produits énergétiques algériens suite à la nationalisation des ressources pétrolières et gazières par l’Algérie. En tandem avec Messaoud Zeggar, Il joua un rôle-clé à partir de l’année 1971 afin de trouver de nouveaux partenaires pour l’Algérie, et ce jusqu’à la fin des années 70. Il a gardé en même temps un lien permanent avec l’administration américaine.

Sur le plan personnel, sa compagne Yolande Betbeze était une des héritières de la Twentieth Century-Fox Film Corporation. Illustre personnage du Showbiz américain, il avait disposé d’un vaste carnet d’adresses constituant un important réseau, dont il a fait profiter son pays et notamment Sonatrach qui avait deux bureaux à Washington et Dallas.
Il engage l’écrivaine et célèbre journaliste Sally Quinn aux affaires sociales et publie des travaux sur l’économie et le développement énergétique liés aux pays d’Afrique entre 1965 et 1976, dont l’Algérie. Il fut d’autre part un des premiers auteurs à faire un travail biographique et une recherche approfondie sur la vie de Frantz Fanon.

En compagnie du sénateur Robert Kennedy

La disparition de ce gentleman, pur produit de la diplomatie révolutionnaire algérienne, comme on n’en fait plus à l’ère des tâcherons diplomatiques et des carriéristes mercantilistes, ravive la mémoire d’autres Algériens d’exception. Ceux-ci, diplomates, journalistes, artistes et passe-murailles, furent grands au service de la prospérité du bien commun.

Dans le gotha non exhaustif de ces géants du patriotisme fertile, viennent notamment les noms d’Abdelkader Tchanderli, Mohamed Boudia, Messaoud Zeggar, Rachid Tabti, Serge Michel, Abdelkader Chengriha, dit Tchoung, l’un des fondateurs du Croissant rouge algérien, membre du ministère de l’Armement et des Liaisons générales (MALG), service de renseignement extérieur du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA). Abdelkader Chengriha, qui avait émigré au Maroc, participe à la création du centre de transmission de l’ALN.

C’est lui qui est le premier à avoir été chargé par Abdelhafid Boussouf, le mythique patron du MALG, d’acquérir des équipements de radio de l’OTAN pour « écouter » l’armée française. Abdelkader Chengriha lèguera à son parent Saïd, des années plus tard, le surnom qu’il reçoit alors lui-même : Tcheng, pronocé aussi Tcheunq.

Il y a d’autre part, le grand journaliste Mohamed Morsli. Comme quoi, il n’y a pas que les politiques pour porter le souffle rédempteur de la Révolution. Dans cette liste arbitrairement partielle, le choix du chroniqueur retient également ceux d’Abdelkader Tchanderli, grand journaliste, reporter d’agence de presse internationale et, surtout, premier représentant de l’Algérie indépendante à l’ONU.

La tombe du Cherif Guellal, modeste dans la vie comme dans la mort

Son plus grand fait d’armes, fut sans conteste, avec l’intelligente et active complicité de M’hamed Yazid, d’avoir réussi à inscrire la cause algérienne au débat des Nations Unies. Tout simplement, énorme ! Moins connus mais tout aussi grands, sont notamment Serge Michel et Rachid Tabti, chacun dans des registres différents et auxquels une place importante sera accordée dans le présent article, à l’instar de Chérif Guellal.

Serge Michel, Français libertaire dans la décolonisation
Français, devenu Algérien de cœur et d’adhésion, Serge Michel, lui, fut un libertaire dans la décolonisation, un internationaliste au service de la Révolution algérienne, de l’Algérie indépendante et de l’Afrique décolonisée. Lucien Douchet, de son vrai nom, débarque en 1950 dans l’Algérie coloniale et adhère à l’Union démocratique du Manifeste algérien de Ferhat Abbès dont il devient la plume attitrée. Il sera Serge Michel, contraction patronymique en guise d’hommage à Serge Victor, révolutionnaire russe, et à Louise Michel, héroïne de la Commune française de 1871.

Ami du philosophe français Henri Michaux et notamment des Algériens Kateb Yacine et Jean Sénac, il sera aussi le confident, le conseiller, le spin-doctor, comme on aurait dit aujourd’hui, de grands d’Afrique comme Patrice Lumumba et Amilcar Cabral. Mais aussi de géants du cinéma italien comme Roberto Rossellini, Gillo Pontecorvo et Luchino Visconti.

Serge Michel

Polyglotte et polyvalent en diable, il sera tout à la fois, politique, journaliste, scénariste, écrivain et créateur de journaux. Trois symboles caractérisent cet Algérien jusqu’à l’entêtement : c’est lui qui ramena à Alger Gillo Pontecorvo pour réaliser La Bataille d’Alger ; c’est lui également qui, le premier, remplaça le drapeau français par l’emblème algérien au fronton du Palais du gouvernement d’Alger, au lendemain de l’indépendance ; et c’est aussi lui qui jouera un rôle prépondérant dans la création d’Algérie presse service (APS), du journal arabophone Echaab et de la mise en place du cinéma embryonnaire de l’Algérie indépendante.

C’est lui également qui a créé le journal Alger-ce Soir, formant de nombreux journalistes algériens dont les talentueux Bachir Rezzoug et Kamel Belkacem. Serge Michel, artiste-peintre, caricaturiste, chroniqueur et éditorialiste, fut aussi une des plumes de feu du journal de l’Algérie combattante El Moudjahid. Il sera plus tard le gestionnaire efficace et lumineux que Mohamed Seddik Benyahia avait sollicité pour organiser le premier Festival panafricain d’Alger, en 1969.

Dans l’Algérie ingrate des années 1980 et dans celle de l’intolérance et du sang versé de la décennie 1990, Serge Michel sera contraint au journalisme alimentaire. Le journaliste des grands espaces deviendra alors un pigiste anonyme. Le génie de la plume caustique et irrévérencieuse écrira alors dans des feuilles ordinaires comme un naufragé jetterait des bouteilles à la mer.

Il le fera de Ghardaïa. En 1994, année rouge du terrorisme nihiliste, il trouvera un jour son chat égorgé devant sa porte avec une inscription lui rappelant sa condition oubliée de «gaouri».
Le message lugubre bien compris, il reviendra en France, en Seine Saint-Denis la Rouge où il décédera en juin 1997 d’ennui, de tristesse et de nostalgie pour son Algérie tant aimée. Petit Lulu, alias Saint-André, dit Olaf, appelé aussi Monsieur Christian, auto-baptisé Docteur Xavier, ne pouvait plus sévir alors dans les colonnes de la presse algérienne à la création de laquelle il avait tant contribué. Sa dernière chronique « SOS Labès », titre fourni puis emprunté à un certain Mohamed Fellag, sonne donc comme l’expression de l’état d’esprit permanent qui a animé sa vie durant cet aristocrate révolutionnaire.

Serge Michel avec sa fille Joelle Rupp, journaliste et écrivaine, auteure du livre Serge Michel un libertaire dans la décolonisation.

La vie de Serge Michel, parchemin de l’impossible, rappelle un peu celle d’un as de l’espionnage algérien, un génie de la dissimulation et de la métamorphose, Rachid Tabti. Qui connaît aujourd’hui le Prince de Marmara, l’espion et patriote qui avait le mieux aidé l’Algérie à mieux négocier le virage historique de la nationalisation des hydrocarbures ? Figure de l’histoire en gris des maîtres- espions, cet avocat, ancien champion de boxe, acteur de cinéma, cascadeur, gueule d’ange pour annonceurs publicitaires, traducteur, interprète, pilote automobile et diplomate, est à lui seul un livre d’aventures. La pub de la célèbre aspirine Aspro, montrant un dandy en pyjama rayé arborant une mine réjouie durant les années 1960, c’est lui sur les murs d’Alger et de Paris.
Séducteur jusqu’à l’envoûtement

C’est lui aussi qui a séduit jusqu’à l’envoûtement la secrétaire du premier négociateur français, le directeur général des Affaires économiques du Quai d’Orsay. Grâce à lui, durant près de deux ans, tous les documents secrets des négociations atterrissaient sur les bureaux du président Houari Boumediene et de son ministre des Affaires étrangères Abdelaziz Bouteflika. Il payera ce morceau de bravoure et de génie exceptionnel par un séjour dans les prisons françaises. Ses exploits sont enseignés depuis dans les écoles où l’on forme en France les futurs espions et contre-espions. Devenu avocat à la Cour suprême, Rachid Tabti partira à la retraite dans un triste anonymat. Atteint de la maladie de Parkinson, il a été l’oublié de Dieu et des hommes dans l’Algérie amnésique et ingrate des Bouteflika. Il n’est pas le seul.

Le Prince de Marmara met le Quai d’Orsay dans sa poche !
Dans les faits et dans le détail, Rachid Tabti, qui se faisait aussi appeler Richard, est un espion d’un genre algérien bien particulier et en rien ressemblant à un James Bond ou à un OSS 117 ! Rachid, lui, avait fait vœu d’obéissance à sa conscience patriotique et à son peuple. Il s’est d’abord engouffré dans l’univers pas toujours humain de la boxe-business où il est difficile de tirer son épingle du jeu d’entrée de jeu. Dans ce milieu impitoyable, Rachid a su lier ses performances athlétiques au combat de son pays pour son Indépendance. Le boxeur aura ensuite une vie polymorphe et polychrome. Il était pilote d’avion, de voiture de course, jockey, acteur, boxeur, étudiant ; il avait tellement d’énergie qu’une seule fonction ne lui suffisait pas. Il a même failli avoir une carrière cinématographique brillante. Il avait été retenu pour le casting de Lawrence d’Arabie en concurrence avec Omar Sharif !

Natif de Constantine le 27 mai 1930, Rachid Tabti est un homme-orchestre : étudiant en droit, acteur, sportif puis espion, il a mené tout de front avec le même bonheur.
Quand il a remporté la première ceinture Assane Diouf (qui a remplacé la ceinture Marcel Cerdan), c’était la consécration pour cet étudiant algérien à Paris depuis 1951, parrainé par son oncle Ahmed Belaloufi, parent de notre confrère et essayiste Hocine Belaloufi. Il y a terminé ses études, passé son bachot et préparé une licence en droit.

Il voulait faire également médecine, mais la passion de la boxe le poussa vers les études juridiques qui lui laissaient davantage de temps pour s’entraîner régulièrement. Comme il devait également gagner sa vie, il fit donc du cinéma, de la figuration et des petits rôles dans des films français et américains. Il tourna, entre autres stars, avec Gina Lollobrigida dans Le Grand jeu, Jean Marais dans Le Comte de Monte-Cristo, Marine Carole dans Nana, et, naturellement, il n’oubliait pas la boxe, sa passion suprême. Il remporta les championnats de Paris et de France universitaires en 1952-1953, gagna le Critérium des amateurs en 1954-1955, puis passa professionnel.

Tabti

Rachid Tabti, le prince de Marmara

Sur 14 combats, il en gagna 12 ! Un asthme allergique bloqua cependant sa carrière pugilistique. Cela lui a permis de terminer ses études. Licence en droit public, diplôme de l’Institut d’études politiques de Paris et diplôme de l’Institut des hautes études internationales de Paris.

Après 1962, il exerça au ministère des Affaires étrangères, puis à Sonatrach où il fut missionné en tant qu’espion. C’est lui qui put se procurer, comme on l’a déjà vu des documents officiels français avant les rounds de négociation sur la nationalisation des hydrocarbures en 1971. A Paris, il jette son dévolu sur des femmes ciblées, notamment les secrétaires du Quai d’Orsay ayant accès aux documents, tâche facile pour ce dandy charmeur. Il en séduit une, d’origine grecque, secrétaire du directeur des relations économiques. Elle s’appelle Mlle Halegua Beatrice, 40 ans, qui n’est pas la plus belle pièce de la collection du bel Algérien. Elle tombe sous son charme. Il lui parlait d’amour avec des fleurs et des poèmes, elle lui prouvait le sien avec des documents estampillés ultraconfidentiels ou secret-défense. Plus de 2000 qui tombaient sur les bureaux des responsables algériens. Rachid permet notamment de connaître le code de l’ambassade de France à Alger ; il connut la dévaluation de 12,50% bien avant qu’elle ne fut décrétée et permit à l’Algérie de changer toutes ses réserves en devises françaises et autres monnaies fortes.

On apprendra d’autre part qu’au moment où il était opérationnel, Rachid reçut une bien étrange proposition du ministère des Affaires étrangères où il a exercé. On lui avait proposé de l’envoyer à Moscou comme premier-conseiller. Rachid refusa, mais fut «dénoncé» quelques mois plus tard et arrêté. La DST finit par le démasquer et il fut condamné à 10 ans de réclusion criminelle pour espionnage économique.

Il purgera plus de 2 années de réclusion à la prison de la Santé à Paris et à la centrale de Melun dans le Blockhaus des espions. Il fut échangé par l’Algérie contre 35 Français emprisonnés en Algérie, dont 11 pour les mêmes faits. «On avait nettement l’impression du côté français que les instructions secrètes venues de Paris étaient connues du partenaire algérien avant même que l’on se soit assis autour de la table ronde», raconte le célèbre avocat parisien Tixier Vignancourt qui ajoute : «L’énigme fut résolue grâce à une information anonyme parvenue à la DST. A l’origine des faits, se trouve, selon l’accusation, une Française, Beatrice Helegua, secrétaire à la direction des Affaires économiques du Quai d’Orsay».

Que s’est-il réellement passé ?
Après 20 ans de bons et loyaux services, chavirée par le sourire et la faconde d’un James Bond Algérien habitant un luxueux appartement dans le 16e mis à la disposition de Rachid par les services algériens, et propriétaire d’une Alfa-Romeo sport se faisant appeler le prince de Marmara, Béatrice lui a livré un calque de chacun de ses travaux. Mais comme dans toute affaire d’espionnage, des zones d’ombre persistent bien après le déroulement des faits. Et le doute au sujet d’une trahison algérienne, venue d’Alger, plane toujours, comme un énigmatique point d’interrogation à jamais suspendu !

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