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Nationale

Mohamed Abbas, journaliste et écrivain au Jeune Indépendant : «L’écriture de l’histoire n’était pas érigée en priorité après l’indépendance»

Mohamed Abbas, journaliste et écrivain au Jeune Indépendant :  «L’écriture de l’histoire n’était pas érigée en priorité après l’indépendance»

Premier à avoir interviewé Saad Dahlab et auteur de cinq interviews avec Mohamed Boudiaf, Mohamed Abbas, Journaliste au long cours, émarge au rang d’une poignée de professionnels qui se sont beaucoup investis dans le domaine de l’histoire. Outre un press-book grouillant d’interviews et de reportages sur le mouvement national et la guerre de libération, il est l’auteur d’une multitude livres sur le sujet. Entre autres titres, « Les leaders du nationalisme », « Grands révolutionnaires », « Entretiens avec Boudiaf », « De Gaulle et l’Algérie », « La révolution algérienne de la genèse de l’idée à l’indépendance », « Les assassinats par occultation et amnésie », « Les chevaliers de la liberté », etc. Dans cette interview, il fait le point sur la mémoire et l’écriture de l’histoire.    

 

Le Jeune Indépendant : L’écriture de l’histoire n’a pas été une priorité dans les premières années post-indépendance. Pour ne citer que lui, l’historien Mahfoud Kaddache (1921-2006) le souligne avec beaucoup d’insistance dans ses écrits et prises de position publiques. Dans sa longue introduction de « L’Algérie en guerre » (OPU, Alger 1981), l’historien et officier de l’ALN est du même avis.

Mohamed Abbas : Les dirigeants qui s’installent à la tête du pays dès l’indépendance n’érigent pas l’histoire et l’écriture du récit national au rang de priorité. Contrairement à ce qui s’écrit et se dit en Algérie et ailleurs depuis l’indépendance, ces dirigeants n’ont aucunement cherché à asseoir leur pouvoir en tirant leur légitimité de la guerre de libération. Qu’il s’agisse de Ben Bella (ancien responsable de l’Organisation spéciale, membre des « neuf » et de la délégation extérieure du FLN) ou de Boumediène (successeur de Boussouf à la tête de la wilaya V, chef du commandement opérationnel de l’Ouest puis chef de l »Etat-major général), les deux premiers chefs de l’Etat ne font pas de l’écriture de l’histoire un domaine digne d’intérêt. Dans les débats et dans le travail de la presse, l’histoire n’est pas la bienvenue. En 1974, Abdelhamid Mehri (alors secrétaire général du ministère de l’Enseignement) a été interviewé par Mouloud Kacem Naït Belkacem, ministre de l’Enseignement originel et des Affaires religieuses, pour la revue Al Assala. L’interview a suscité le courroux de Boumediène.

 

Au début des années quatre-vingt, tu as été au rang des journalistes qui se sont assignés la tâche de travailler avec régularité sur l’histoire du mouvement national et la guerre de libération.

J’ai écrit des articles sur le sujet bien avant cette date. A partir de 1984, année de commémoration du 30e anniversaire de la Révolution, je me suis lancé dans une série d’interviews avec des figures du mouvement indépendantiste. A l’époque, il n’était pas encore facile de susciter les témoignages des acteurs encore en vie ou de revenir sur ceux qui n’étaient plus de ce monde. J’ai eu à le vérifier au sujet de Benyoucef Benkhedda, président du GPRA (1920-2003), et du dernier chef de la wilaya IV, Youcef Khatib (1932-2023). Entre autres remarques, il nous était reproché de déterrer les morts. J’ai commencé ma série d’interviews par Saad Dahlab (1918-2000).

C’était en septembre 1984. J’ai été le premier journaliste à l’interviewer six années avant la publication de son livre-témoignage « Mission accomplie » (édition Dahlab, 1990). Avec lui, le jeu de ‘’question-réponse’’ nous a fait voyager dans l’histoire de pans entiers du mouvement national (Etoile nord-africaine, PPA, AML, MTLD, Centraliste à l’heure de la crise) de la guerre de libération (instances de la Révolution) et des négociations d’Evian (ministre des Affaires étrangères dans le troisième et dernier GPRA). En dépit des contraintes et – il faut le dire – des blocages à cette époque, nous avons osé. Nous étions une poignée, mes confrères et moi, à aller à la rencontre de figures nationalistes. Nous avons estimé à l’époque qu’il était – professionnellement parlant — de notre intérêt pour recueillir les témoignages.

Tout retard dans le recueil des confessions des acteurs serait préjudiciable à la transmission de la mémoire et, surtout, à l’écriture de l’histoire. Les Français n’ont pas attendu pour le faire. Bien avant la fin de la guerre, des journalistes s’y sont lancés. C’est le cas de Claude Paillat avec « Dossier secret de l’Algérie » (Presses de la Cité, 1961) et Yves Courrière et « Les Fils de la Toussaint » (Fayard), le premier des quatre volumes qu’il publiera entre 1968 et 1971.

 

Les interviews avec les acteurs du mouvement national ne sont qu’une partie de ton travail sur l’histoire du mouvement national. Tu t’es lancé après dans l’écriture de livres.

Avant les interviews et les livres, j’ai publié des reportages et des enquêtes en rapport avec la guerre de libération nationale à l’occasion des commémorations du 1er novembre 1954 et du 5 juillet 1962. Mon premier reportage remonte à 1973. J’ai commencé par le chahid Badji Mokhtar (1919-1954), membre du « Groupe des vingt-deux » qui se sont réunis en juin 1954 au Clos-Salembier (El Madania). Accompagné d’un reporter-photographe, j’ai été sur les lieux de son martyr dans la région de Medjaz Sfa près de Guelma. Dans ce reportage, nous avons également parlé de la chahida Chaïb Dzaïr. Badji Mokhtar est le premier ‘’historique’’ à tomber au champ d’honneur et Chaïb Dzaïr la première femme algérienne à payer le prix du sacrifice pour l’indépendance. Ils sont morts dans la nuit du 18 au 19 novembre, deux semaines après le déclenchement de la lutte armée. Entre proches et compagnons d’armes, j’ai recueilli les témoignages de ceux qui les ont connus.

En 1975, je me suis déplacé à l’ouest pour faire une enquête-reportage sur le colonel Lotfi ( de son vrai nom Benali Boudghène, 1934-1960), commandant de la wilaya V. Une année plus tard, j’ai réalisé un travail similaire à El Oued sur le martyr Hamma Lakhdar (présumé 1930-1955, membre du comité central du Parti communiste algérien). J’ai enchaîné avec d’autres enquêtes, reportages et portraits.

En 1984, déchargé de mes fonctions de rédacteur en chef du quotidien Ech-Chaab, je me suis consacré entièrement à l’histoire. J’ai interviewé énormément d’acteurs. Les seuls que je n’ai pas fait parler sont ceux qui ont refusé. Parmi eux, Lamine Debaghine (1917-2003). Visiblement déçu et irrité pour moult raisons, il était rétif au témoignage. Le colonel Hadj Lakhdar — de son vrai nom Mohamed Tahar Abidi (1916-1998) – a refusé une demande d’interview. Idem pour Chebbah Mekki (1894-1991) et Ahmed Khelil (1930-2011). De leur point de vue, le contexte ne se prêtait pas à des confessions.   

 

Ton press-book vaut aussi par une somme d’interviews avec Mohamed Boudiaf. Tu as été le second à l’interviewer après Djelloul Haya et sa série de films documentaires pour l’ENTV « Aux sources de Novembre ». Et c’était bien avant son retour en Algérie comme président du Haut Comité d’Etat (HCE, janvier 1992).

L’idée de l’interviewer remonte à 1984 dans la foulée de la publication par l’hebdomadaire « Algérie Actualités » d’une interview avec le général Marcel Bigeard. A l’époque, j’étais secrétaire général de l’Union des journalistes algériens. Au cours d’une assemblée générale au siège de l’Union des écrivains, j’avais déclaré qu’il était plus opportun d’interviewer Boudiaf, Aït Ahmed et d’autres avant Bigeard. J’ai commencé à faire des démarches dans ce sens. Ça s’est concrétisé après octobre 1988 et l’ouverture médiatique. J’ai saisi l’opportunité d’une couverture – un événement en rapport avec l’actualité maghrébine – pour aller à sa rencontre à Kenitra. J’ai préparé les choses en amont avec son frère Aissa. Il y a eu d’abord un échange par écrit avec Boudiaf. Au début, il était question de l’écriture d’un livre sur son parcours.

L’interview a été publiée dans le quotidien Ech-Châab dans la première semaine de novembre 1988. Depuis, nous avons maintenu le contact et les échanges. Je l’ai interviewé à cinq reprises : quatre fois quand il était à Kenitra et une fois après sa désignation à la tête du HCE. Outre l’entretien de novembre 1988 pour Ech Chaab, je l’ai interviewé pour l’hebdomadaire Al Hiwar de Georges Er Rassi. En 1990, je l’ai interviewé pour le magazine At-Tadamoun de Fouad Matar. Deux interviews ont été publiées dont Al Salam (1991 et en 1992 quelques semaines après son retour).



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