Mariano Simon-Padros, au Jeune indépendant : «L’Algérie est un acteur primordial dans la géopolitique internationale» – Le Jeune Indépendant
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Mariano Simon-Padros, au Jeune indépendant : «L’Algérie est un acteur primordial dans la géopolitique internationale»

Mariano Simon-Padros, au Jeune indépendant : «L’Algérie est un acteur primordial dans la géopolitique internationale»

C’est en bouclant ses valises avant de rejoindre Buenos-Aires que nous avons rencontré début septembre 2023 l’ambassadeur en fin de mission en Algérie. L’échange qui a duré moins d’une heure a porté sur son bilan et sur l’actualité de la relation bilatérale entre l’Algérie et l’Argentine. Verbatim.

Le Jeune Indépendant : Début septembre 2023, au terme de votre mandat d’ambassadeur d’Argentine en Algérie, vous rejoignez votre pays où vous serez désormais en charge de nouvelles responsabilités au ministère des Affaires étrangères.  L’observation que l’on peut faire à postériori de votre mission diplomatique à Alger est qu’elle a été celle d’une relance de la coopération entre les deux pays…

Mariano Simon-Padros : Je crois avoir terminé mon mandat de diplomate avec un bilan positif qui n’est cependant pas le mien exclusivement. Depuis ma nomination à la tête de l’ambassade et jusqu’à la fin, je n’ai pas travaillé seul. J’ai constamment évolué au sein d’un collectif entièrement concerné sur la seule mission de renforcer et de diversifier les liens entre l’Argentine et l’Algérie. Cette équipe de diplomates et d’experts n’a pas agi et n’agit pas sur un terrain inconnu ni dépourvu de balises.

Les relations officielles entre les deux pays existent depuis bientôt soixante ans. L’année prochaine, en 2024, Alger et Buenos-Aires fêteront cet évènement fondateur et, avec lui, celui d’une solide amitié construite sur la base d’une coopération réciproquement bénéfique et des positions politiques et diplomatiques largement convergentes. La relance ou le regain que vous évoquez désigne donc une séquence durant laquelle le bilatéral algéro-argentin, depuis la sortie de la pandémie du Covid-19, précisément depuis 2022, a, en effet, été caractérisée par des échanges d’une intensité d’un niveau exceptionnels…

Au point de surprendre les observateurs des relations, notamment commerciales de l’Algérie avec ses partenaires étrangers. Selon les chiffres des Douanes algériennes, en 2022, l’Argentine a été le cinquième fournisseur de l’Algérie.

Pour moi, il ne s’agit pas d’une reprise ni d’une étape surprenantes. Il s’agit plutôt d’un édifice nouveau sur un socle ancien qui a toutes les chances d’être consolidé dans le processus actuel de réajustement de l’ordre international et la perspective de relations politiques et économiques plus fortes dans ce qu’on appelle désormais le « Sud Global ». L’Argentine et l’Algérie sont liées par de solides accords politiques, économiques et commerciaux. Sur la scène mondiale, aux Nations unies notamment, les deux pays entretiennent sans discontinuité des rapports d’entraide et de solidarité dans le cadre du «groupe des 77». Ils se rejoignent sur la nécessité pour eux et pour les pays de ce « Sud Global » de chercher en fonction de leurs intérêts les moyens de leur propre développement en alternative à l’ordre économique et politique existant.

Le « Sud Global » n’est pas homogène et si les relations politiques et diplomatiques entre l’Argentine et l’Algérie sont bonnes, elles restent néanmoins inégales. Dans les domaines économique et commercial, les échanges sont nettement favorables à l’Argentine qui a exporté vers le marché algérien pour plus de deux milliards de dollars en 2022. Vers l’Argentine, les exportations algériennes durant ce même exercice sont quasi insignifiantes : l’équivalent de 88,33 millions de dollars pour les combustibles minéraux et les engrais essentiellement.

Je fais confiance aux opérateurs algériens

C’est juste. Avec l’Egypte et l’Afrique du Sud, l’Algérie est l’une des principales destinations de nos exportations en Afrique. D’après les chiffres des Douanes algériennes, celles-ci ont franchi en 2022, et pour la première fois, la barre des deux milliards de dollars ; une performance qui place l’Argentine en haut du tableau des pays fournisseurs de l’Algérie. Pour 2023, on ne sait pas de quel niveau elle sera, mais on souhaite qu’elle se réalise également hors des produits agricoles primaires qui dominent à 90% la relation commerciale entre les deux pays, et qu’elle devienne vraiment partagée. Car nous n’avons pas intérêt à ce que la balance reste déficitaire pour ce pays ami.

Le marché argentin est ouvert aux opérateurs algériens qui souhaitent y exporter. Les responsables politiques, les opérateurs économiques et les gouverneurs élus des provinces d’Entre Rios, de Santa Fe et de Cordoba qui sont venus après eux à Alger en mai dernier l’ont fait dans la logique de rapprocher les communautés d’affaires et d’entreprise des deux pays.

L’éloignement géographique est fréquemment évoqué comme une contrainte sérieuse aux échanges entre l’Amérique du Sud et l’Afrique du Nord, entre l’Argentine et l’Algérie…

Il existe bel et bien un partenariat entre les Etats membres de la Communauté des États latino-américains et des Caraïbes (CELAC) et les Etats membres de de l’Union européenne (UE) dont le dernier sommet s’est tenu en juillet dernier à Bruxelles. Les deux ensembles visent un accord de libre-échange entre le Mercosur et l’UE.  Les responsables politiques et les opérateurs économiques sud-américains se rendent souvent en Europe, pourquoi ceux d’Argentine ne traverseront-ils pas alors la Méditerranée et ne chercheraient-ils à établir des échanges économiques et commerciaux d’un type nouveau avec des pays à fort potentiel comme l’Algérie. Je crois que c’est faisable à terme.

Pour moi, les consultations que les ministres, opérateurs et élus argentins ont eues depuis fin 2022 et durant cette année 2023 avec leurs homologues algériens en Algérie signifient que les deux parties peuvent dépasser la contrainte de l’éloignement géographique si elles parviennent à se fixer des objectifs communs.

Pour cela, il faut une capacité algérienne d’exporter qui n’existe pas pour l’instant. Il faut aussi un cadre et des outils, lesquels ?

Pour ce qui est de la capacité algérienne d’exporter, il y a un potentiel indiscutable et je fais confiance aux opérateurs algériens d’en faire une force réelle.  Pour le cadre et les outils, l’année prochaine aura lieu à Buenos-Aires la réunion de la commission mixte algéro-argentine. Ce sera une opportunité pour donner du souffle long au réveil de la coopération bilatérale constatée durant ces derniers mois. Outre les mémorandums qui sont en attente de signature, on évoque depuis des années la création d’un conseil d’affaires bilatéral, ce sera le moment de le mettre en place et de le rendre opérationnel.

Avec cette prochaine commission mixte, l’enjeu est que l’exceptionnel devienne la norme dans la relation entre l’Argentine et l’Algérie. Il faut que les échanges entre les deux pays deviennent plus fréquents à l’échelle des institutions come à celui des opérateurs économiques, tous secteurs confondus. A Buenos-Aires, je ferai en sorte d’inciter les opérateurs algériens à créer un courant d’affaires continu avec les chefs d’entreprise argentins.

Dans quels secteurs en particulier ? 

Dans tous les secteurs où Argentins et Algériens peuvent travailler et créer de la richesse ensemble. En juin dernier, un mémorandum d’entente entre l’Agence nationale des produits pharmaceutiques (ANPP) et l’Administration nationale du médicament, de l’alimentation et de la technologie de la République d’Argentine (ANMAT) a été signé à Alger. Ce protocole d’accord va à l’avenir rendre possible à l’avenir l’achat par l’Argentine de certains médicaments fabriqués en Algérie.

Des opérateurs argentins et algériens sont engagés en Algérie dans la fabrication du médicament biosimilaire pour la consommation locale et l’exportation vers d’autres pays d’Afrique. Il s’agit de renforcer ces initiatives et de les élargir à d’autres activités comme l’agriculture dans les territoires sahariens. Depuis un peu moins de deux ans, il existe un accord de coopération avec l’Institut national algérien de recherche agronomique (INRA).

Il s’agit de le renforcer comme il s’agit d’opérer entre nos deux pays un rapprochement dans les domaines où l’on dispose d’un niveau d’expertise de qualité internationale : le domaine spatial puisque nous avons des relations avec l’Agence spatiale algérienne (ASAL), les startups, la médecine humaine et vétérinaire, les sciences et technologies, l’énergie hors hydrocarbures dont le nucléaire civil, la formation aux sports d’élite dont le football. Je n’oublie pas la culture à laquelle j’accorde la plus haute importance.

La jeunesse algérienne et la jeunesse argentine ne se connaissent pas, les échanges culturels peuvent les rapprocher. Au passage, ma frustration est grande de ne pas pouvoir assister à  quelques évènements culturels pour lesquels j’ai invité des artistes argentins à se produire en Algérie, en particulier l’exposition aux musée des Beaux-Arts d’Alger en novembre d’une artiste-peintre et photographe, Gaby Messina,  dans le cadre de la BIENALSUR, une Biennale Internationale d’Art Contemporain de l’Amérique du Sud qu’organise l’université publique argentine – l´Universidad National de Tres de Febrero (UNTREF). 

Je serai toutefois totalement comblé si, l’année prochaine, l’Argentine sera l’invité d’honneur au Salon international du livre d’Alger, SILA. A mes yeux, cela représentera un symbole fort d’autant qu’en 2024, les deux pays vont célébrer le 60ème anniversaire de leurs relations bilatérales.

 En janvier 2024, l’Argentine rejoindra les BRICS. Qu’est-ce que cela va-t-il changer dans la politique économique extérieure de votre pays ?

Si vous entendez par cette question, la relation avec l’Algérie il est clair que l’adhésion de mon pays au club des BRICS constituera une nouvelle voie de développement de leur relation, d’autant que la perspective est à ce que l’Algérie rejoigne elle aussi cette organisation multilatérale. Si ce n’est pour aujourd’hui, ce sera pour demain. L’Algérie est en Afrique et ce continent représente la nouvelle frontière de l’émergence et du développement. Elle est en Méditerranée et cet espace géopolitique sera de plus en plus sollicité en ce sens qu’il est une charnière entre le continent africain et l’Europe, entre le Nord et le Sud.

Tous ces atouts font de ce pays, qui est déjà pour un acteur énergétique de premier plan, un foyer de croissance à l’avenir et un futur partenaire économique de poids. L’Argentine reconnait en l’Algérie un acteur primordial dans la géopolitique internationale. Elle est pour l’Argentine un partenaire essentiel avec lequel les consultations sont nécessaires.

Les deux pays partagent la même vision sur la nécessité d’un ordre mondial profitable à tous. C’est d’autant plus important que l’Algérie rejoint à partir de janvier 2024 avec quatre autres pays le Conseil de sécurité, l’organe principal de maintien de la paix et de la sécurité internationale pour une période de deux ans.

L’Argentine vit actuellement une période politique transitoire marquée par la campagne pour l’élection d’un nouveau Président et le renouvellement d’une partie de son parlement, le 22 octobre prochain. Ultra-libéral et antisystème, le candidat Javier Milei est présenté comme favori par les médias et dans les sondages face aux partis traditionnels de la coalition péroniste de centre gauche et de la coalition d’opposition de centre droite. Sa victoire, si elle aura lieu, pourrait-elle changer la donne en politique étrangère de votre pays ?

Il faudra attendre les résultats du scrutin du 22 octobre prochain pour se permettre un quelconque commentaire sérieux sur ce qui pourrait influencer ou non notre politique étrangère. Pour ma part, je ne vois pas en quoi la victoire de tel ou tel candidat pourrait modifier les fondamentaux de notre politique étrangère, basée sur la défense du multilatéralisme, la promotion de la paix et la sécurité, la non-prolifération des armes nucléaires, le respect des droits de l’homme et la création d’un ordre mondial plus juste et équitable. 

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