Sonatrach victime de son opacité et du malaise de ses cadres
Seize personnes sont appelées à comparaître, parmi lesquelles l’ex-PDG, ses deux fils, trois vice-présidents et six cadres dirigeants du groupe, quatre patrons de sociétés privées et enfin deux personnes morales (Contel Algérie et Contel Funkwerk) dans le procès Sonatrach 1 qui s’ouvre aujourd’hui au tribunal criminel près la Cour d’Alger.
Ces mis en cause devraient répondre à pas moins de dix chefs d’inculpation, retenus à leur encontre. Il s’agit, principalement, d’association de malfaiteurs, dilapidation des deniers publics, trafic d’influence, corruption etc.
Pour rappel, cette affaire qui a défrayé la chronique en 2009, avait mis en cause le ministre de l’Energie et des Mines de l’époque, le fameux Chakib Khelil, qui résista longtemps aux polémiques et autres accusations ou soupçons avant d’abdiquer et de quitter le pays vers son pays de résidence, les Etats-Unis.
Mais au delà de cette affaire, c’est la Maison Sonatrach qui est victime, aussi bien dans son image de marque d’une grande compagnie nationale représentative d’un pays souverain que de la crédibilité de l’Etat propriétaire de cette compagnie.
Une image ternie par les révélations sur les pots-de-vin versés par des sociétés étrangères pour l’obtention de gros contrats et autres marchés, par la corruption des cadres, selon des déclarations divulguées récemment ou des documents prouvant des surfacturations sur des travaux et achats d’équipements. Les ramifications de cette affaire et les autres investigations menées par les juges révèlent les autres parties non visibles de l’iceberg, ce qui a déclenché ce qu’on peut appeler Sonatrach 2, 3, voire 4 et 5.
Et déjà, avec les soubresauts de l’ex-PDG Meziane dans son interview à quelques jours de son procès, comme de son avocat sur un plateau de télé, qui pense que l’affaire est « politisé », que le dossier est « vide », que tout « est fabriqué pour détruire l’économie nationale et ses cadres », il faudra s’attendre à des rebondissements qui ne finiront plus d’alimenter les chroniques.
Cependant, une chose est sûre, ce procès a créé un vrai malaise moral au sein de Sonatrach, fleuron de notre souveraineté. Plus que l’image de marque de la société ou sa crédibilité à l’étranger, Sonatrach vient de subir un camouflet énorme et un préjudice incommensurable.
Le monde entier, relayé par les grands médias et les réseaux sociaux ont fini par « booster » le scandale de la corruption. Désormais, il faudra des années pour se débarrasser de cette réputation qui colle à Sonatrach, qualifiée d’entreprise gangrenée par la corruption, de « nids de véreux cadres ». Que faire pour redorer le blason ? Que faut-il faire pour dissiper les doutes et la cruauté des opinions publiques ?
Faut-il y revoir les modes fonctionnement de cette grosse compagnie, qui ressemble à une multinationale, mais ne fonctionne pas et n’est pas gérée comme une multinationale ? Quel audit pour Sonatrach ?
Alors que le secteur vit des mutations énergétiques insoupçonnables dans le monde, Sonatrach semble avoir accusé le coup, selon l’avis de plusieurs experts algériens.
Ils ont raison, quelque part, lorsqu’on sait que notre compagnie a battu un record mondial, avec 9, bien neuf P-DG en quinze ans, soit presque un an et demi en moyenne de durée à sa tête. « Comment peut-on gérer une aussi grande compagnie avec une telle instabilité ? » s’interroge un journaliste spécialiste des questions de l’énergie.
Selon lui, « plus que l’instabilité dans les structures de responsabilité de Sonatrach, il y a aussi l’opacité et la centralisation de la prise de décision qui échappe presque toujours à l’entreprise ». Pour d’autres, comme des économistes de renom, le nouveau P-DG devrait aller vite dans une réelle transformation de l’entreprise, en intégrant le management stratégique, comme le plaide Dr Mebtoul dans ses différentes contributions.
Un management moderne qui allie aussi bien la transparence de gestion décisionnelle et comptable que le modèle participationniste des cadres et l’implication des structures en amont et en aval. Pour nos experts, Sonatrach est encore victime de sa sous gestion, considérée depuis sa création comme un appendice du pouvoir, une source de rente et une caisse bonne à financer les désidératas de nos politiques.
Dans un contexte de montée en puissance des hydrocarbures non conventionnels, des bouleversements des technologies d’exploration et d’extraction, voire de transformation optimale des huiles et des gaz, Sonatrach semble être « figée », non seulement par la centralisation outrancière de sa tutelle, mais aussi par le durcissement de la législation internationale, alors que le marché pétrolier a prouvé qu’il n’est pas à l’abri d’un retournement, comme on le voit avec la dégringolade des cours depuis l’été dernier.
Même la solidarité des pays partenaires et membres de l’organisation cartel OPEP n’a pas fonctionné. Aujourd’hui, on critique ouvertement le manque de vision stratégique de nos responsables pétroliers, en raison de cette instabilité ou de ce centralisme.
Récemment, l’ex-PDG Attar Abdelmadjid expliquait que « toutes les politiques mises en œuvre ont eu en théorie un objectif de renforcement de la souveraineté nationale sur les ressources et leur accroissement depuis 1971. Mais, dans la réalité, il y a soit un manque de réactivité et un retard par rapport aux grandes mutations dans le monde, soit une mise en œuvre non seulement très lente, mais de façon trop conservatrice, sans vision stratégique lointaine, et parfois même par crainte de l’avenir ».
D’autres émettent l’avis que « c’est l’Etat qu’il faudra incriminer, et non les cadres de Sonatrach. Puisque si Khelil n’est pas venu comme ministre tutélaire, il n’y aurait sans doute pas d’affaire Sonatrach, ni de scandale ».
Ils ont bien raison ceux qui invoquent la paralysie du Conseil national de l’Energie, qualifié à sa création dans les années 1990 de puissant régulateur et d’instance de bonne gouvernance et d’équilibre dans la gestion des affaires énergétiques.
D’ailleurs, qui empêcherait son éventuelle réactivation, alors que la société vit des enjeux et des périls colossaux, comme une nécessaire révision de la loi sur les hydrocarbures, le développement des amonts pétrolier, les bassins inexplorés, l’offshore et surtout la question délicate de l’heure, les hydrocarbures de schiste.
C’est sans doute à cause de cela et à d’autres arguments que des observateurs pensent que le procès de Sonatrach ne devrait pas être une occasion ratée ou manquée pour « réformer » notre « mère nourricière ».
Ce n’est pas une urgence pour mettre en place un plan de sauvetage, puisque la société n’est pas en déroute. Elle annonce même un fort investissement à partir de cette année et une mobilisation de ses ressources financières pour développer ses activités d’exploration, de forage et d’exploitation. Mais, que nos politiques doivent savoir qu’il faut protéger ce fleuron, autant que notre indépendance.