L'histoire d'un algérien devenu l'ami du président Thomas Jefferson – Le Jeune Indépendant
-- -- -- / -- -- --


Nationale Algérie-USA

L’histoire d’un algérien devenu l’ami du président Thomas Jefferson

L’histoire d’un algérien devenu l’ami du président Thomas Jefferson
Un portrait de Salim âgé alors de 55 ans par Charles Willson Peale

Samuel Givens tenait son fusil sous son bras et s’approchait d’un arbre gigantesque couché dans la forêt de Staunton pour l’examiner. Il regarda autour de lui et, dans le coin de l’œil perçut un mouvement dans la cime des arbres.

En un instant, son fusil fut entre ses deux mains, braqué sur la créature qui bougeait furtivement entre les feuilles. Au moment de faire feu, Givens s’aperçut que la bête n’en était pas une : un homme hirsute, chaussé de loques et entièrement nu, le regardait de ses yeux morts de faim.

L’homme parlait dans un charabia étrange et Givens, ne connaissant aucune autre langue que l’anglais, ne comprenait absolument rien.

Dans les jours qui suivirent, Samuel Givens hébergea et nourrit l’homme étrange et quand il fut capable de monter un des chevaux, il l’emmena chez le capitaine John Dickinson, à Windy Cove, l’actuel Milboro en Virgine.

Pendant plusieurs mois, Dickinson prit soin de l’homme et, avec l’aide de la famille, lui apprit à parler anglais.

Quand il commença à maîtriser la langue, l’homme raconta son histoire :

Il s’appelait Salim et était algérois, d’Alger en Afrique du Nord. Il était issu d’une famille riche et respectable. Son père l’avait envoyé à Constantinople pour faire son éducation. Ayant terminé ses études, il reprit la mer pour rentrer à Alger.

Un corsaire espagnol les attaqua en cours de route et le fit prisonnier. A cette époque, 1759, les Espagnols étaient alliés à la France et il fut remis à un navire français qui faisait route vers la Nouvelle-Orléans.

Ayant vécu quelque temps à la Nouvelle-Orléans, les français décidèrent de l’emmener au delà des fleuves Mississipi et Ohio, chez les Shawnee, une tribu indienne. Les français l’abandonnèrent là.

Salim avait retenu un peu de la géographie, de l’astronomie dans les mois précédents et savait, grâce à une femme blanche kidnappée par les Shawnee, que les anglais avaient des colonies dans l’Est : il décida de s’évader et de tenter sa chance vers l’orient.

Sans vivres, sans munitions, sans armes et sans aucune connaissance du pays, il partit vers le soleil levant, échappant aux indiens, aux français et aux bêtes sauvages sur des centaines de kilomètres dans un désert montagneux hostile et complètement inconnu de lui. A travers les bois, il se contenta de noix et de baies pour tout aliment. Les arbustes sauvages se chargèrent de déchirer ses vêtements et au bout d’un certain temps, il n’était plus habillé que de vagues guenilles, inutiles face au froid.

Pratique, il mit tout ce qui lui restait comme loques autour de ses pieds pour pouvoir marcher. Il était nu et son corps était quasiment déchiqueté par les ronces et les épines. Pendant des semaines, il progressa, affamé, blessé et épuisé.

Se sentant vulnérable et proche de la mort, il décida dans un ultime effort de grimper à un arbre pour éviter une attaque de bête sauvage et dans le dérisoire espoir d’être secouru.

Samuel Givens apparut miraculeusement à ce moment précis.

Salim

La maison où a été accueilli Salim à Staunton

Quelque temps plus tard, M. Dickinson emmena Selim à Augusta, chef-lieu du Comté pour assister à un meeting religieux.Il y avait beaucoup de monde et Selim découvrait pour la première fois une population de colons de toutes origines. Son regard allait d’une personne à l’autre comme s’il cherchait quelqu’un.

Soudain, tirant M. Dickinson par le bras, il lui montra du doigt un homme imposant, habillé avec élégance et se déplaçant d’un air important et plein d’humilité à la fois. Ses vêtements étaient sombres et il ne portait pas de chapeau.

« Emmenez-moi à cet homme, s’il vous plaît ! » murmura Selim
M.Dickinson le regarda en souriant : « Vous le connaissez ? »
-Non, répondit Selim, mais je sais qui il est
-Et qui est-il ? Demanda Dickinson toujours en souriant
-Présentez-moi à lui, je vous en prie !
Dickinson s’approcha de l’homme que lui désignait Selim : « Je vous présente le révérend Craig. Mon révérend, permettez-moi de vous présenter mon ami Selim »

Le pasteur sourit à Selim et lui tendit la main.
Selim était très agité : « Emmenez-moi chez vous, révérend ! » supplia-t-il

Dickinson était très gêné. Craig sourit : « Pourquoi voulez-vous venir chez moi ? »

-Quand j’ai traversé les montagnes et les forêts, quand j’ai combattu les bêtes fauves et les indiens, tout ce temps passé à me demander si j’allais survivre je voyais dans mes rêves un homme qui vous ressemble comme un frère ! Je sais que c’était vous que Dieu me montrait en rêve !

Le pasteur ne répondit pas tout de suite. Visiblement, cette déclaration l’avait bouleversé.

« Je vous accueillerai avec plaisir ! Si Dieu m’envoie quelqu’un, je ne peux le renvoyer »

Selim emménagea chez le révérend Craig qui découvrit très vite que l’Algérien était très instruit : ayant trouvé chez le pasteur un exemplaire en grec de l’ancien testament, il le lut devant lui.

Stupéfait, le pasteur voulut connaître l’avis de Selim sur le sens des textes. L’Algérien avait une grande maîtrise de cette langue et il corrigea certaines interprétations du révérend.
Plus tard, Craig découvrit que Selim connaissait également l’hébreu et disposait de connaissances plus vastes que ce qu’il imaginait.

Bientôt, la bonne société de Staunton l’adopta et il fut considéré comme un gentleman cultivé et très recherché dans les diners mondains.

Cependant, malgré toute la sollicitude des habitants de Staunton, le mal du pays rongeait le cœur de Selim. Il supplia donc le révérend Craig de l’aider à rentrer chez lui, en Algérie.
Le pasteur et tous les autres amis de Selim essayèrent de l’en dissuader, lui rappelant les dangers de la traversée, les guerres en méditerranée et la piraterie toujours présente sur les mers mais Selim resta inflexible.

Les notables de Staunton se résignèrent à lui organiser une collecte et l’envoyèrent à Williamsburg, sur la côte atlantique, pour embarquer vers l’Angleterre, avec une recommandation aux autorités de la ville et à quelques connaissances qui allaient se charger de son voyage.

Ce fut la fin du premier séjour de Selim en Amérique.

A son retour à Alger, Salim aurait perdu toute trace de sa famille qui habitait ce qui est aujourd’hui Bir Mourad Rais, selon plusieurs récits.
Il embarqua à nouveau vers l’Amérique. Aucune source n’en précise les motivations. Certaines sources évoquent sa possible reconversion vers le christianisme.
Dans le premier récit sur Salim publié en 1857 par l’évêque de l’église épiscopale de Virginia, William Meade, il n’est point fait référence à sa reconversion au christianisme mais évoque son érudition dans les textes religieux et des langues sémites et le latin.
Le jour de sa mort, son corps a été déposé, à la demande de Salim, en direction de la Mecque raconte son bienfaiteur Robert Carter III un riche fermier de Williamsbourg, en Virginie.  Une version corroborée par Charles Culbertson, un journaliste, écrivain et historien américain qui s’est penché sur l’histoire de Salim.

Dans son livre, « Salim le musulman égaré dans la colonie de Virginie », l’historienne Judith E. Tucker relate l’ascendant pris par l’algérien sur les membres de l’élite de cette colonie pour en devenir un personnage sollicité pour son érudition et son savoir. Il était constamment en compagnie du recteur du collège « William & Mary »  et du Professeur  William Small.

C’est ainsi qu’il croisa le chemin d’un étudiant dans ce collège, Thomas Jefferson, une figure qui va façonner l’histoire de l’Amérique indépendante d’abord en tant que rédacteur de la Déclaration d’indépendance des Etats-Unis et de Constitution américaine et ensuite en tant que troisième président du pays naissant.

Spécialisé dans le droit et l’étude des religions, Thomas Jefferson sera le premier à réclamer une version en anglais du Coran qui sortit de l’imprimerie de la ville en 1765.
Salim deviendra une sorte d’enseignant et de conseiller de Thomas Jefferson jusqu’à l’adoption de la Constitution américaine. Il assista à la cérémonie d’adoption du texte fondateur, ce qui explique la présence du Coran au côté de la Bible le jour de la prestation de serments par les membres présents au sein de l’assemblée constituante.

Salim serait né en 1740 et  serait mort en 1795. Aucune trace du lieu sépulture n’a été à ce jour découverte et beaucoup affirment qu’elle aurait été détruite durant la guerre civile américaine ( 1861-1865).

*********
Extrait de la lettre de John Blair, Président du Conseil de Virginie et chargé de la colonie depuis le décès du Gouverneur Fauquier et en attendant la prise de fonction de Lord Botetourt, adressée à Lord Hillsborough, Secrétaire d’Etat aux colonies, le 12 juillet 1768.

I beg leave to inform your Lordship that the council have by me paid the passage to London of a most unfortunate algerian young man named Selim who appears to be a gentleman’s son there.
[…]
He was unfortunately taken by a french ship and by their traders carried among the Mingo indians and left there a captive. He spent three years among them, before he made his escape by the advice of an english woman what course to take. He travelled 45 days he says, in the woods, alone, on herbs, roots, and wild fruits for food, till he was fortunately met with by a kind man from Augusta, a frontier county of ours.
[…]
It appeared on examination he had been learning some greek and hebrew which speaks him a gentleman’s son. He hopes to meet an algerian ambassador in London. Perhaps your lordship may think it fit to take some notice of him and oblige the Dey of Algiers by kindly contriving him home to his father…

J’ ai l’honneur de vous informer que, à mon ordre, le Conseil a payé le passage à Londres d’un jeune homme algérien des plus malheureux nommé Selim qui semble être le fils d’un gentilhomme.
[…]
Il a malheureusement été capturé par un navire français et emmené par leurs commerçants [en Louisiane]parmi les Indiens Mingo et abandonné comme prisonnier. Il a passé trois ans chez eux, avant de s’évader en suivant les indications d’une femme anglaise sur la route à prendre. Il a voyagé 45 jours, dit-il, dans les bois, seul, se nourrissant d’herbes, de racines et de fruits sauvages, jusqu’à ce qu’il fut heureusement rencontré par un brave homme d’Augusta, un comté frontalier…

L’étude de son cas a révélé qu’il connaît un peu le grec et l’hébreu, langues dans lesquelles il a échangé avec le fils d’un gentilhomme. Il espère rencontrer l’ambassadeur algérien à Londres. Votre Seigneurie pourrait considérer le cas et intervenir auprès du Dey d’Alger et obtenir de lui qu’il ait l’obligeance d’aider ce jeune homme à rentrer chez lui…

Note de l’auteur:  le journaliste Kamel Mansari a contribué dans les recherches et la rédaction de ce fascinant et authentique récit de Salim.
Note de la rédaction: Un premier récit de cette histoire a été publié en Septembre 2014.

Veuillez activer JavaScript dans votre navigateur pour remplir ce formulaire.

Cet article vous-a-t-il été utile?

Cet article vous-a-t-il été utile?
Nous sommes désolés. Qu’est-ce qui vous a déplu dans cet article ?
Indiquez ici ce qui pourrait nous aider a à améliorer cet article.
Email
Mot de passe
Prénom
Nom
Email
Mot de passe
Réinitialisez
Email