Le début de la fin des intouchables
L’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil, est convoqué par la justice italienne le 13 mai prochain dans l’affaire des pots-de-vin versés par Saipem. En plus du ministre, huit accusés dans le scandale de Sonatrach II ont également été convoqués pour une audience préliminaire, rapporte le quotidien La Repubblica. Cette audience permettra au juge chargé de l’enquête préliminaire, Alessandra Clemente, de trancher sur le renvoi de l’affaire devant la justice, précise le journal.
Parmi les prévenus, figure l’ex-DG du groupe pétrolier italien ENI, Paolo Scaroni, ainsi que Farid Bedjaoui, présenté comme le bras droit de l’ancien ministre de l’Energie, Chakib Khelil. Les hypothèses de .l’accusation portent sur le versement présumé de 198 millions de pots-de-vin « à Khelil et son entourage », pour l’obtention de contrats de 8 milliards d’euros pour Saipem (filiale d’ENI) en Algérie, rappelle La Repubblica.
Chakib Khelil, aujourd’hui installé aux USA, est également cité dans le procès sur l’affaire de corruption et de malversations présumées dite Sonatrach 1 qui s’ouvrira le 15 mars prochain. Le mandat d’arrêt international lancé contre lui par la justice algérienne ayant été annulé pour vice de procédure, sera-t-il présent et entendu lors de ce procès ? Mis en cause par plusieurs prévenus pour avoir été, au minimum, régulièrement informé de la signature des contrats litigieux, Chakib Khelil a toujours tiré son épingle du jeu.
Quand Saâdani tente de venir en aide à Khelil
Dans une tribune publiée il ya quelques mois par un quotidien national, l’ex-ministre de la Justice, Mohamed Charfi, a révélé une étonnante proposition que lui a été faite par le SG du FLN Amar Saâdani. Il avance en effet que Saâdani a tenté de prendre la place des magistrats et de chercher à étouffer cette affaire.
C’est l’intrusion du pouvoir politique dans la justice.
Et voici le contenu de la discussion entre les deux hommes : « Si Amar, vous êtes venu, le jour même de votre installation à la tête du FLN, me proposer amicalement de préserver mon poste de ministre de la Justice en m’engageant à extirper Chakib Khelil de l’affaire Sonatrach II, comme on extirpe un cheveu d’une pâte, selon votre expression », écrit-il. En clair, il s’agit d’un deal que lui propose Saâdani qui se résume ainsi : Tu gommes le nom de Chakib Khelil de l’affaire de corruption (dont il est soupçonné par la justice italienne et canadienne) et tu seras reconduit dans ton poste ministériel.
La suite c’est l’intéressé qui le dit à demi-mot : « Ma réponse, vous le savez, fut de fermer mon portable jusqu’après la fête de l’Aïd El-Adha, c’est-à-dire bien longtemps après le remaniement ministériel » a-t-il encore indiqué.
La fin de l’histoire c’est que Charfi a payé de son courage et il fut débarqué sans concession de son poste. Mohamed Charfi est également revenu sur les commentaires de Saâdani à l’encontre de la justice, en accusant cette dernière d’être instrumentalisée et de fabriquer de « faux dossiers » pour affaiblir le président Bouteflika.
Mohamed Charfi dit avoir été interpellé par les déclarations de Saâdani car il a été le ministre de la Justice au moment du lancement des procédures, notamment de Sonatrach II, et de l’extradition de Khalifa : « Ainsi, lorsque vous affirmez dans d’autres occasions médiatiques qu’Interpol a refusé d’exécuter les mandats de justice décernés dans l’affaire Sonatrach II à cause des erreurs de procédure, vous portez atteinte à la crédibilité du président de la République », précise encore Charfi, tout en expliquant que la procédure judiciaire a été respectée à la lettre dans tous les mandats d’arrêt internationaux lancés contre les personnes impliquées dans ces affaires de corruption.
L’ex-P-DG de Sonatrach, Mohamed Meziane, est sorti dernièrement de son mutisme, à travers une interview, pour enfoncer davantage le clou et charger l’ex-ministre de l’Energie : « Je n’ai jamais connu Farid Bédjaoui, les vice-présidents étaient choisis, nommés et dégommés par le ministre.
Tous les contrats que j’ai signés sont passés par la commission des marchés. L’affaire Saipem dépasse de loin le niveau du P-DG. Le dossier Sonatrach 2 dépasse de loin Sonatrach 1. J’ai fait les frais d’une lutte d’intérêts, le jeu était ailleurs, nous n’étions rien » dit-il.
A propos de ses relations avec Chakib Khélil, il dit : « Je savais qu’il ne voulait pas de moi, puisqu’en 2008 on m’a clairement signifié qu’il avait l’intention de me remplacer, mais je faisais mon travail normalement, je recevais des directives, des instructions par écrit et par téléphone, il était informé de tous mes actes de gestion par les courriers que je lui adressais surtout par les comptes-rendus qui lui parvenaient de mon chef de cabinet RédhaHemch ».
Meziane évoque ensuite le marché GK3 avec Saipem : « Au début il y avait plusieurs offres, mais à la fin seules deux étaient restées, dont celle de Saipem, qui était de 60% plus chère. Il y avait une différence de l’ordre de 6 milliards de dinars. Fallait-il refaire l’avis d’appel d’offres ou continuer ? Nous étions devant un dilemme parce que le projet était urgent. J’ai demandé une négociation autour du prix en tablant sur une baisse d’au moins 25 à 30%.
Le ministre n’était pas d’accord. Il a proposé par écrit un niveau de 12,5% de baisse de prix. J’ai dit au vice-président de l’activité transport que l’offre était trop chère et qu’il fallait arriver à une baisse. Tullio Orsi, le responsable de Saipem Algérie, a dit qu’il ne pouvait pas aller au-delà de 12% de rabais. Il a même menacé de se retirer au cas où nous insisterions. Il était très sûr de lui. Pour nous, le projet était une urgence. »