Elias Sanbar ou la voix d'une Palestine à part – Le Jeune Indépendant
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Nationale

Elias Sanbar ou la voix d’une Palestine à part

Elias Sanbar ou la voix d’une Palestine à part

Il est à l’image d’une grande proportion de ses compatriotes. Enfant, il a connu la douleur de l’exil et de l’arrachement violent à sa terre natale. Enfant de Haïfa comme Leila Khaled (FPLP) ou Hani Al Hassan (membre fondateur du Fath), Elias Sanbar avait quinze mois lorsque ses géniteurs se sont installés au Liban, victimes parmi d’autres de la ‘’Naqba’’, l’exil forcé de 1948.

Depuis, du pays du Cèdre à Paris où il vit depuis 1969 en passant par les États-Unis, cet intellectuel au talent XXL n’en finit pas de caresser un rêve : le rêve du retour sur les terres où il a poussé son premier cri.

La Palestine, Elias Sanbar y pense depuis toujours. Il y pense dans ses engagements, mais aussi dans sa vie d’historien, de poète et d’essayiste à la bibliographie remarquable. La dizaine de livres qu’il a signés donne à la ‘’Naqba’’ et à l’exil septuagénaire de tout un peuple une résonance audible aux quatre coins du monde.

De « Palestine 1948, l’expulsion » à « La Palestine expliquée à tout le monde » en passant par « Palestine, le pays à venir », « Dictionnaire amoureux de la Palestine », « Les Palestiniens dans le siècle » ou « Le Rescapé et l’Exilé » (coécrit avec le plus illustre des « Indignés », Stéphane Hessel, Elias Sanbar n’en finit pas de cultiver ses racines et d’en conforter la présence dans l’espace public mondial.

À 76 ans, au prix d’une volonté inébranlable, il s’emploie à maintenir la flamme de la mémoire palestinienne en dépit d’une chape de plomb médiatique de plus en plus envahissante sous les cieux occidentaux et également arabes. À ceux, des centaines de milliers de compatriotes, qui vivent, meurtris, loin de leurs racines, il n’en finit pas de leur dire, résolument résistant, elles « sont devant nous ». De ses multiples missions et engagements sur le terrain politique à son travail quand il était ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO, son parcours est toujours en mode ‘’ordre de marche’’.

Dernière campagne en date « Ce que la Palestine apporte au monde », sept mots qui, avec des accents de reconnaissance, résument la teneur d’une remarquable exposition sur les Palestiniens. Un peuple de créateurs que la machine médiatique embedded a réduit à une bande qui, pour toute vocation, terrorise et assassine. L’exposition, qui se termine le 31 décembre au soir d’une énième année tragique pour les Palestiniens, a échappé à la curiosité professionnelle de CNews, Europe 1, « Le Journal du Dimanche ».

La palestine et le « Running order »
Fleurons du groupe médiatique de Vincent Bolloré, ces trois rédactions n’ont pas aperçu une expo dont la scénographie a planté son décor pacifique dans Paris intra-muros sur les rives de la Seine. Depuis le 7 octobre 2023, date du déclenchement d’une énième te guerre au Proche-Orient, ces médias — à l’instar de BFM, de LCI, du Figaro et d’autres — ont placé les Palestiniens au banc des accusés. Talks-show à toute heure, revue de presse ‘’bien choisie’’, reportages alimentés d’images fournies par l’armée israélienne — peu importe la déontologie — : tout est mis en œuvre pour caricaturer ce peuple créateur à l’envi et le portraiturer en géniteur de terroristes et autres assassins.

Établis par des rédactions en chef qui, oubliant les règles du métier, ont choisi un camp au lieu de privilégier la couverture globale, les « running order » (conducteurs des JT et émissions) sont écris à l’avance : aller à place de la République pour capturer un barbu hurlant, ‘’agressif’’ et drapeau palestinien à la main, ‘’Allah akbar’’. L’exposition « Ce que la Palestine apporte au monde » n’a pas vocation à émarger au rang des manifestations qui méritent une couverture et valent le déplacement.

L’IMA  à l’heure palestinienne
D’autant que le lieu qui lui sert de théâtre — l’Institut du Monde arabe (IMA) — passe par les temps qui courent pour être le lieu le moins prisé par les ‘’GPS’’ des médias de Vincent Bolloré et leurs confères à l’heure de ‘’l’exportation du conflit proche-oriental’’ en France, pour reprendre la formule récurrente chez les politiques.

Inaugurée le 31 mai dernier et programmée pour sept mois, l’exposition a été rattrapée, à l’aube de l’automne, par la nouvelle guerre de Gaza.

Tout au long de cette période — et malgré un climat pesant —, l’IMA a choisi de ‘’se mettre à l’heure palestinienne’’ et donner à voir ‘’l’élan et l’irréductible vitalité de la création palestinienne, qu’elle s’élabore dans les territoires ou dans l’exil’’. Outre quatre expositions — temps fort de la manifestation —, l’exposition vaut pas une multitude de manifestations de musique, de littérature, de cinéma, de danse, de poésie.

Une fois n’est pas coutume, l’institution de la rue des Fossés Saint-Bernard (5e arrondissement) n’a pas imité nombre de maisons muséales en allant frapper à la porte des prêteurs.

Elle s’est contentée de rester sur place en redéployant seulement une collection qui trône en ses murs depuis 2016 : la collection du futur Musée national d’art moderne et contemporain de la Palestine, une « collection solidaire » de quelque 400 œuvres constituée de dons d’artistes, précise-t-on à l’IMA.

C’est Elias Sanbar qui, pendant des années, a réuni ces œuvres avec l’espoir de planter, tôt ou tard, leur décor sous les cieux palestiniens. Et c’est naturellement à lui que le département en charge des expositions thématiques à l’IMA a pensé pour mettre en musique la manifestation.

Commissaire de l’exposition, Elias Sanbar — cofondateur de la mémorable (et défunte) Revue d’études palestiniennes (1981-2008) — a mis à contribution le savoir-faire de l’artiste plasticien français Ernest Pignon Ernest.

Connu pour ses talents mondialement connus dans le registre de l’art urbain, Ernest Pignon Ernest fait également parler de lui par l’excellence qu’il met dans l’art de donner écho à la poésie et aux poètes engagés qui ont ciselé la prose libre.

Sanbar et le tombeur des masques
Mahmoud Darwich est l’un d’eux. Avant de tirer sa révérence en août 2008 — la même année que la fin de la Revue d’études palestiniennes —, le parolier de la résistance palestinienne s’était lié d’amitié avec Elias Sanbar.

Fort de sa maîtrise de langue si chère au poète, fort de sa connaissance du terroir dans lequel est né et a grandi le ‘’tombeur des masques’’, Sanbar était le plus indiqué pour traduire vers le français l’œuvre du célèbre homme de lettres. De « Gallimard » — éditeur de Camus et Sartre — à « Sindbad & Actes Sud » — la plus ‘’palestinienne’’ des maisons d’édition françaises — en passant par Marval — spécialiste des beaux livres, les ‘’griffes livresques’’ les plus emblématiques en ont profité.

Et, à leur grand bonheur, crédite leurs catalogues d’une signature inespérée — Mahmoud Darwich — et de titres qui parlent aux dévoreurs de littérature. Titre choisis parmi une somme d’autres : « La Palestine comme métaphore », « La trace du papillon », «Le lit de l’étrangère », « Présente absence », « Nous choisirons Sophocle», « Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? », « Comme des fleurs d’amandier ou plus loin », « Au dernier soir sur cette terre ».

Mahmoud Darwich

Si sa scénographie cèdera son parcours à d’autres thématiques et d’autres programmations, « Ce que la Palestine apporte au monde » jouera les prolongations sur le front du débat d’idées et de l’échange fertile et pacifique entre les intellectuels et le public sevré de parole objective en ces temps de propagande et d’ostracisme éditorial.

Grâce à la collaboration entre l’IMA et Le Seuil — maison sérieuse qui a édité Kateb Yacine, Mohamed Dib, Mouloud Feraoun —, un livre est appelé à donner une résonance à l’exposition. « Le Monde » — celui du week-end, pas le supplément dédié aux livres — n’a pas résisté au devoir éditorial de donner de la visibilité à un livre délibérément ignoré par les médias embedded.

Les palestiniens dispersés par l’histoire et les frontières.
Singularité de ce livre, il accueille une brochette d’auteurs, Palestiniens, Français et étrangers. D’Elias Sanbar à Leila Shahid, de Jean-Paul Chagnollaud à Jean-Pierre Filiu et Henry Laurens, etc, le livre se déploie comme une galerie de textes signés par des spécialistes connus et reconnus dans le paysage académique.

Des spécialistes qui, force est de le noter, ne sont pas les bienvenus sur les plateaux des chaînes aux ordres . Parmi eux, Shlomo Sand, un de ces ‘’nouveaux historiens’’ israéliens (voir le Jeune Indépendant du 21 décembre 2023) qui n’en finissent pas de remettre en cause le récit historique véhicule par Israël.

À l’heure où l’autocensure joue à plein régime, Christophe Ayad — journaliste au Monde et spécialiste du Proche-Orient — introduit les seize auteurs et leurs textes en plongeant sa plume dans une encre qui se fait de plus en plus rare.

Qu’on en juge : « À l’heure où la Palestine semble abandonnée de tous, à commencer par les États arabes, nous avons choisi d’y retourner, comme une évidence. Pour raconter son peuple dispersé par l’histoire et les frontières. Nous avons voulu arpenter son territoire, divisé entre Gaza et la Cisjordanie avec Al Qods pour centre introuvable, annexé par la colonisation israélienne et grignoté par le Mur de séparation ».

À contre-courant des éditorialistes ambiants rassemblés, le soir venu, sur les plateaux de CNews, BFM, LCI, Christophe Ayad convoque le conflit proche-oriental en y mettant les mots dont l’usage vaut à leurs auteurs ostracisme et éclipse forcée du champ médiatique.

« Devenue le symbole de la colonisation dans un monde en train de se décoloniser dans la deuxième moitié du XXe siècle, la Palestine ne s’appartient pas, écrit-il. Elle est une cause, une source d’inspiration pour le monde entier. Le keffieh est le drapeau des révoltés. Palestinien n’est plus seulement une nationalité sans pays, c’est une condition et le refus de s’y plier, c’est une résistance obstinée de chaque instant et de chaque geste ».

Plus qu’un livre, plus qu’un support imprimé qui accompagne et prolonge une exposition, cet opus est dessiné par Christophe Ayad comme un orateur. « C’est du monde tel qu’il va mal dont la Palestine nous parle. La Palestine vit déjà à l’heure d’un monde aliéné, surveillé, encagé, ensauvagé, néolibéralisé. Les Palestiniens savent ce que c’est d’être un exilé sur sa propre terre. Apprenons d’eux ! ».

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