Attaque de l’école des officiers de Cherchell, en commémoration du 20 Août 1955 et 1956
A l’occasion du deuxième anniversaire de l’offensive générale lancée le 20 août 1955 dans le Nord-Constantinois par Youcef Zighout contre les intérêts français et du premier anniversaire du congrès du Front de libération nationale (F.L.N.) tenu le 20 août 1956 dans la vallée de la Soummam, l’Armée de libération nationale (A.L.N.) avait décidé d’organiser une attaque générale contre les intérêts du colonialisme français, pour manifester sa présence à travers tout le territoire algérien.
Les unités de l’A.L.N. devaient exécuter des actions armées dans toutes les villes, les villages, attaquer les lieux de casernements des militaires français, saboter les voies de communications (routes et ponts), les poteaux téléphoniques et les postes électriques, saccager les récoltes et incendier les fermes appartenant aux colons.
qu’entre la ville de Dupleix et celle de Zurich, il n’ y avait pas moins de soixante kilomètres ! Tous les groupes devaient attaquer les objectifs qui leur avaient été désignés le 20 août 1957, exactement à la même heure — 20 heures. Il fallait ensuite être au rassemblement général des effectifs de la compagnie prévu pour le lendemain 21 août, entre 4 heures et 5 heures du matin, dans les monts du Zaccar où nos compagnons nous attendraient en veillant aux armes lourdes.
Je me trouvais dans le groupe qui devait attaquer l’école des officiers de la ville de Cherchell. Commandé par Si Ahmed Kellassi, l’adjoint de Si Moussa, notre groupe comptait onze moudjahidine, en majorité enfants de la ville de Cherchell : Hamid Hakan, Saïdji, Mohamed Lahbouchi et son frère Ahmed, etc.Le 19 août 1957, veille du jour « J », nous nous sommes empressés de nous mettre en marche, dès la nuit tombée, afin d’arriver selon l’horaire fixé à proximité de nos objectifs. Nous devions éviter de nous déplacer le jour pour ne pas risquer d’attirer l’attention des mouchards de l’ennemi qui pullulaient dans la région ou celle des nombreux avions de chasse qui survolaient la région.
Nous sommes arrivés, vers 5 heures du matin, à un kilomètre de la ville de Cherchell. Notre agent de liaison, Mohamed, l’aîné des frères Lahbouchi, nous avait conduits jusqu’à une cachette discrète — une grande et large buse en béton armé qui se trouvait sous un pont de la route —, et après nous y avoir installés, il partit se renseigner et nous apporter de quoi manger.
À 7 heures du matin, nous avions commencé à entendre l’assourdissant vacarme provoqué par les moteurs des transports de troupes qui passaient sur le pont au-dessus de nous, quittant les casernes pour des opérations de ratissage dans la région. Plus rapprochés de nous encore, nous parvenait le bruit répété et cadencé de détonations d’armes à feu, que nous avons tout de suite identifié : les élèves officiers s’exerçaient au tir quotidien.
Ces derniers étaient tellement proches de nous que nous pouvions entendre très nettement leurs voix et les cris qu’ils poussaient. La précarité de notre cachette de fortune nous apparut alors dans toute sa dimension dramatique, ce qui nous remplit d’inquiétude et d’appréhension : il suffisait d’un rien pour que nous nous retrouvions, bien coincés, Cependant, Dieu veillait sur nous.
Vers midi, l’agent de liaison était de retour, les bras chargés de victuailles. Nous étions très contents à la vue des mets qu’il nous rapportait, car il y avait bien longtemps que nous n’avions eu à manger des sardines en sauce et du poisson. Nous pûmes donc nous en régaler, malgré l’incessant va-et-vient des camions militaires sur le pont. Le poisson était délicieux et cela suffisait à avoir raison de nos craintes.
L’agent de liaison est reparti ensuite avec ses couffins vides, après nous avoir fixé rendez-vous. Il partait s’occuper en compagnie d’autres militants civils du F.L.N. de la sécurité de notre passage. Cette journée d’août nous parut très longue, et il faisait encore jour lorsque nous avons enfin pu quitter notre cachette, à 7 heures du soir, avançant en file indienne, chaque combattant devant maintenir un écart de 10 à 15 mètres avec celui qui le précédait.
Il nous fallait, avant d’arriver au niveau de l’école des officiers, traverser d’abord plusieurs douars de la région. Nous avons fait tout notre possible pour éviter que les habitants ne nous voient.
Mais comme il n’y avait pas d’autre chemin, nous fûmes contraints de passer au milieu du douar Sidi Yahia, qui se trouvait être le dernier avant d’arriver aux hauts quartiers de la ville et à l’école des officiers. Les habitants nous virent traverser leur douar avec un mélange de stupeur, et d’admiration. Leurs salutations émues et leurs mots d’encouragement nous accompagnèrent agréablement durant ce bref et rapide parcours.
« Allah yansarkoum ya el-moudjahidine » (Dieu vous accorde la victoire, ô vous les moudjahidine !) nous lançaient-ils, les yeux écarquillés d’admiration.
Armé d’un lourd fusil Garant que je tenais des deux mains, je voyais ainsi des hommes, des femmes, des vieillards et des enfants qui accourraient vers nous et se mettaient à nous toucher et à palper nos vêtements, n’en croyant pas leurs yeux et désirant savoir si nous étions des être de chair et de sang ou des créatures de fer. Je ne pus plus retenir mes larmes qui coulaient discrètement devant tant de ferveur innocente et pure de la part de ces braves et honnêtes gens du peuple.
Je me disais : « Nous les moudjahidine, nous allons attaquer l’ennemi, après quoi, nous nous replierons en toute vitesse, et ce seront les populations civiles qui applaudissaient à notre passage qui auront à payer de leur vie pour assouvir la vengeance de l’ennemi ! »
Les gens s’étaient mis à nous donner des fruits frais, du pain, de l’eau, des friandises diverses, luttant d’émulation à qui se montrerait le plus généreux envers les combattants de la liberté. Ne pouvant plus contenir mon émotion devant tant de gentillesse attentionnée, je pressais mes compagnons d’activer la marche. Combien j’ai pleuré ce jour-là ! Certes, je ne pourrai jamais oublier le sacrifice et le courage des habitants du douar Sidi Yahia et de celui où vivait la famille de mes deux frères de combat Lahbouchi.
Parvenus à l’endroit d’où nous devions lancer notre offensive contre l’école des officiers, nous vîmes qu’il était 19 heures 40 minutes. Il nous fallait patienter encore vingt bonnes minutes avant de passer à l’attaque. Nous nous sommes mis à genoux l’un à côté de l’autre, les mains serrées sur nos fusils Garant ou Mas 56, les doigts prêts à appuyer sur la gâchette.
Nous savions bien que tous nos autres groupes compagnons de la Katiba El Hamdania se trouvaient à cet instant à peu près dans la même situation d’expectative que nous, prêts à ouvrir les hostilités à 20 heures pile. À 20 heures précises, pas une minute de plus ni moins, nous avons commencé à tirer à la même seconde et comme un seul homme sur les soldats de l’école.
C’était la panique dans la caserne, on entendait les cris de douleurs des soldats surpris par notre attaque, les sirènes hurlaient, c’était le branle bas pendant quinze à vingt minutes, après quoi, nous nous sommes rapidement repliés en repassant par les mêmes douars que nous avions traversés à notre arrivée. Les habitants s’étaient mis à nous applaudir.
« Dieu est de votre côté ! » nous criaient-ils, tandis que des gosiers des femmes fusaient de longs youyous. Les enfants, qui refusaient de demeurer en reste, sautaient sur nous pour nous embrasser et s’accrocher à nous. Un spectacle grandiose et inoubliable ! Nous ne devions pas nous arrêter de courir, car les tirs des canons, des mortiers et des mitrailleuses faisaient déjà rage en ville.
Toutes les casernes étaient en alerte, car l’ennemi semblait croire que nous allions faire l’assaut sur toutes ses positions, alors que nous étions déjà très loin, marchant et courant sans arrêt pour pouvoir atteindre à l’heure prévue notre point de rendez-vous dans les monts du Zaccar.
Nous sommes finalement parvenus à temps sur le lieu de rassemblement, où personne ne manquait à l’appel. Extenués et les membres fourbus par l’effort fourni, nous ne tenions plus sur nos pieds et ainsi étions-nous contraints de rendre compte de l’action exécutée agenouillée sur le sol pierreux du djebel…
La matinée du 21 août, aucun camion militaire français n’avait pu quitter les villes ou les casernements, de même qu’aucun avion n’avait survolé la région. Les vaillants soldats de la glorieuse et invincible armée française avaient peur de sortir, pensant que nous les attendions à la sortie des villes ou des postes militaires pour leur tendre des embuscades.
Le 22 août 1957, tôt le matin, l’aviation, accompagnée d’un grand mouvement de camions et de chars, avait commencé à survoler tous les endroits suspects aux alentours des villes et des postes militaires. Tous les pauvres habitants des douars où nous étions passés — hommes, femmes et enfants, sans distinction aucune — furent atrocement torturés, parce qu’ils s’étaient refusés à fournir le moindre renseignement valable sur les auteurs des attaques, prétendant n’avoir rien vu, rien entendu, même si, question de simple logique, l’ennemi savait pertinemment que nous étions forcément passés par ces douars…
Mais, en dépit des peines et des vexations de toutes sortes que les tortionnaires leur avaient fait subir, ces braves et héroïques compatriotes n’ont desserré les dents que pour répéter une seule phrase qui mettait l’ennemi hors de lui et le rendait encore plus féroce : « Nous n’avons rien vu ! »
Devant le silence fier et obstiné de ces pauvres gens sans défense, les officiers de l’armée coloniale ont rageusement décidé d’incendier leurs maisons et de saccager tous leurs biens. Mais on sait fort bien que ce genre d’exactions ignobles qu’avaient coutume de commettre sans vergogne les autorités coloniales en Algérie ne purent jamais avoir raison de la détermination du peuple algérien. Nous, les moudjahidine, nous souffrions cruellement devant le spectacle désolant de tous ces douars que nous voyions brûler à quelques kilomètres dans le lointain.
Notre peuple a payé très cher le prix de la liberté et de l’indépendance. Et, en vérité, il en allait toujours ainsi : nous attaquions l’ennemi et nous lui tuons des soldats et lui prenions leurs armes, mais c’était toujours les populations civiles désarmées que l’on faisait payer. Les militaires français ne laissaient passer aucune occasion de prouver leur lâcheté et leur injustice. Et là était en fait toute l’ampleur de leur déroute morale.
À l’exemple de ce que dit ce célèbre proverbe populaire bien de chez nous : « Mâ qdarch ‘aala el hmâr, râh yachtâr ‘aala el bardaa » (Comme [le lâche] n’a pas pu avoir raison de l’âne, il s’en est pris alors à la selle).Je devais rester à jamais marqué par cette grande opération d’envergure nationale que nous avions lancée pour commémorer à notre façon très particulièrement explosive l’anniversaire des deux dates historiques mémorables du 20 août 1955 et 1956.
Pour mémoire, le 20 août 1955 est une date inoubliable dans l’histoire de la lutte armée algérienne, auquel s’attache le nom du chahid Youssef Zighout (alors chef de la Zone II historique — Nord-Constantinois, qui après le nouveau découpage adopté un an plus tard, lors Congrès de la Soummam, deviendra la wilaya II). La vaste offensive armée qu’il avait lancée contre les intérêts français à travers l’ensemble de son territoire de commandement et la ville de Skikda en particulier, avait profondément bouleversé l’adversaire.
Par cette action généralisée qui couvrira tout le territoire national, l’A.L.N. avait administré la preuve que ses Moudjahidine étaient des combattants révolutionnaires disciplinés et parfaitement organisés, omniprésents au sein du peuple algérien, dont ils étaient les seuls défenseurs et les authentiques porte-parole et représentants, tout le reste n’étant que mensonge et intoxication.
Les services psychologiques (SAS), avaient beau soutenir que les combattants algériens dans les maquis relevaient du mythe, avec des actions comme celle que nous venions de mener, l’opinion publique intérieure et extérieure aura ainsi eu tout le loisir de se faire une assez juste idée de la question… Et c’était certes tout à l’honneur de la Katiba El Hamdania d’avoir si brillamment contribué à infliger cette mortification supplémentaire aux sinistres petits Docteurs Goebbels du colonialisme français, dont — comble du ridicule ! — les derniers quarts d’heure fatidiques prédits n’avaient pas arrêté de croître et de multiplier.