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Nationale Algérie-France

10 000 soldats russes déportés par la France en Algérie

10 000 soldats russes déportés par la France en Algérie
Soldats russes défilant à en 2016 à Paris

Ils étaient plus de dix mille russes, devenus ex soldats, à vivre un enfer de la déportation en Algérie. Un destin qu’ils n’attendaient pas. Cela s’est passé durant la première guerre mondiale. L’histoire de ces soldats est exceptionnelle, en commençant par d’abord par combattre les Allemands, pour sauver les Français, avant de découvrir les affres de la colonisation, les brimades contre les Arabes et les musulmans et le racisme des colons français en Algérie.

Au cours du printemps de l’été 1916, quelque 40 000 soldats russes organisés en quatre brigades spéciales débarquent en France. Deux brigades sont engagées sur le front de Champagne, les deux autres le sont sur le front de Macédoine. Un an plus tard, c’est la révolution bolchévique qui va complètement bouleverser leur devenir.

Des mutineries éclatent au sein de ces brigades et le trouble gagne ces soldats, qui étaient à l’écoute des changements qui s’opèrent en Russie. Déchiré par deux options, ces soldats avaient un choix simple : Continuer à se battre dans les rangs de l’armée française, ou rejoindre des compagnies de travailleurs qui seront employées partout sur le territoire national.

Ceux qui refusent ce choix, considérés comme « irréductibles », sont déportés en Algérie et obligés d’y travailler. Au cours de l’hiver de 1917-1918, environ 10 000 « ex-soldats russes » sont répartis, par vagues successives, sur tout le territoire algérien. Des bateaux et des cargos les acheminent par vagues successives vers Alger depuis Toulon ou Salonique en Grèce.

De libérateurs à prisonniers
On les installe dans une vingtaine de villes : Médéa, Djelfa, Laghouat, Blida, Oran, Tebessa, Souk Ahras, Tolga, Chlef… Démobilisés, ils sont embrigadés dans des forts ou casernes, obligés pour la plupart d’entre eux à travailler, tels des des forçats, dans les sociétés minières, ou des fermes agricoles.

C’est durant ces années qu’ils découvrent la réalité d’un affreux colonialisme français. Soldats d’un corps expéditionnaire pour une guerre qui n’est pas la leur, ces anciens soldats vont devenir de « forçats » et une main d’œuvre maniable à souhait sous une force France raciste et tyrannique.

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Débarquement du corps expéditionnaire russe à Marseille (1916)

Mais, grâce à quelques témoignages familiaux ou au peu de recherche sur des archives coloniales de cette guerre, que ces russes vont devenir un lourd fardeau pour le gouvernement français. Leur allié, le tsar Nicolas II perd son trône et les bolchéviques prennent le pouvoir. La révolution communiste est en marche. Ces déportés russes en Algérie, malmenés, dénigrés et soumis à un régime esclavagiste, vont bientôt découvrir le drame des populations autochtones et l’exploitation de leurs terres.

Pour l’historien Frédéric Guelton, spécialiste du conflit, ancien chef du département de l’armée de terre au service historique de la Défense, Paris se méfie de ces ex soldats et les taxe rapidement de « dangereux ».

«Leur statut n’a jamais été définitivement réglé, ce sont les soldats démobilisés d’un pays qui n’est pas reconnu par la France. Ils sont sans vrai statut légal en droit», explique Frédéric Guelton. Ils ne sont plus militaires mais ne sont pas autorisés à faire ce qu’ils veulent. Et restent placés sous l’autorité militaire.

Ces russes sont certes des soldats, mais ils sont d’origine paysanne. Quand ils ont appris que les communistes distribuent les terres, ils n’ont qu’un souhait : rentrer en Russie.

Pour Frédéric Guelton, les Français voient en effet en ces soldats des agitateurs révolutionnaires, des bolcheviques venus soulever les populations «indigènes».

Une population algérienne révoltée
Ainsi, l’administration coloniale leur a interdit de côtoyer les indigènes, bien qu’ils découvrent que les Algériens sont soumis à l’exploitation éhontée, aux injustices administratives, aux brimades et au racisme des colons. La propagande des colons était claire : stigmatiser les Arabes, les Juifs et les autres communautés européennes. Même les milliers d’espagnols qui vivaient, notamment en Oranie, étaient dénigrés. Les témoignages de ces soldats révèlent qu’ils ont découvert une population algérienne révoltée mais décidée à chasser le colonisateur.

L’objectif est de séparer autant que possible ces russes, potentiels bolchéviks et farouches partisans de l’idéologie socialiste. Dans leurs lettres écrites à leurs proches, ces ex-soldats mettent en exergue cette grande rupture entre le capitalisme, dont le colonialisme n’est qu’un hideux visage, et le communisme naissant. Evidemment, ils ne peuvent que sympathiser avec ces populations autochtones. Un sentiment qui a paniqué le gouvernement colonial français, soucieux de maintenir une certaine stabilité dans ses territoires algériens occupés.

Tous ces anciens soldats russes ne voulaient pas rester sur un territoire colonisé, alors que leur patrie vivait une révolution sociale de grande ampleur. Plus de 90% d’entre eux voulaient repartir en Russie. Mais, cela n’était pas facile, bien que Paris cherche à s’en débarrasser.

La France ne reconnaissant pas le nouveau pouvoir des soviets, pas facile de trouver une solution pour les soldats russes toujours perdus en Algérie. Des pourparlers discrets ont cependant lieu à Copenhague entre Français et Soviétiques qui aboutissent en avril 1920 à un accord qui permet aux Russes volontaires de gagner l’URSS (reconnue par la France seulement en 1924).

Pourtant, quelques centaines sont restées ici en Algérie. Ou peut-être ont émigré dans d’autres contrées. Le mystère est entier et le peu d’archives ne facilitent guère la recherche de la vérité sur l’histoire exceptionnelle de ces milliers de déportés russes.

Même durant leurs années d’installation en Algérie, on a peu d’informations sur eux, malgré qu’ils soient étroitement surveillés et farouchement isolés des Algériens.

«On ne sait pas grand-chose de leur vie quotidienne», reconnaît l’historien. Les seules sources sont quelques rapports militaires retrouvés dans les archives, et surtout le contrôle de leur correspondance (la censure) par l’armée française. On apprend ainsi que quand la peur s’est dissipée, leurs employeurs estiment qu’«ils travaillent bien et sont peu payés», au point qu’ils apportent «une telle satisfaction que les employeurs ne veulent pas les rendre».

Que font-ils en Algérie? «Ils sont majoritairement paysans tandis que 8 à 10% sont employés par les chemins de fer. Mais il est difficile de définir une situation type. Chaque cas est un peu unique. Rien de commun entre un homme qui travaille dans une ferme et celui qui se trouve sur un chantier du chemin de fer; ceux détenus à la compagnie disciplinaire de Mers el-Kébir ou les employés par les chemins de fer à Alber, ou Bône; les travailleurs agricoles à Mostaganem ou à Maison Blanche ou encore mineurs dans les mines de plomb de Chabet-Kohol.»

Quoi qu’il en soit la saga de ces russes, déportés en Algérie, demeure encore une énigme. Notamment pour ceux qui ont choisi de rester. Les cimetières chrétiens en Algérie foisonnent encore de tombes qui portent les noms de ces russes.



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