Sortie de crise: Un dialogue et des incertitudes
C’est le mouvement populaire qui est derrière le départ du président Bouteflika et de ses alliés. Et c’est l’institution militaire qui a accompagné ce hirak, l’a protégé et précipité la chute du régime bouteflikéen.
C’est encore l’ANP qui fut derrière la campagne ouverte contre les anciens responsables suspectés de corruption et de dilapidation des deniers publics. C’est également elle qui appela la justice et les magistrats à se libérer et à exercer leur pouvoir et entamer les instructions dans le respect de la loi.
Les observateurs s’interrogent sur le maintien de cette option dite constitutionnelle, et la tenue de cette élection présidentielle, alors que la majorité des voix réclament une autre voie dite politique.
Les manifestants avaient pourtant réussi à mettre fin à une gestion dictatoriale du pays, précipitant la chute du régime après 20 ans de règne sans partage. Ils avaient ensuite poursuivi leur mouvement pour réclamer le retour du pouvoir au peuple à travers les articles 7 et 8 de la Constitution. Après le départ d’Ahmed Ouyahia et de son gouvernement, l’abandon d’un 5e mandat par Bouteflika puis sa démission après 20 ans au pouvoir, les manifestants qui défilent chaque vendredi depuis le 22 février ont à nouveau obtenu gain de cause, le 2 juin : le Conseil constitutionnel a constaté « l’impossibilité » de tenir le scrutin du 4 juillet, faute de candidats sérieux, et surtout suite à l’absence d’une instance de surveillance des élections, prévue et exigée par la Loi fondamentale. En outre, le chef de l’État a maintenu jeudi dernier le cap sans faire de concession à la contestation qui exige avant tout scrutin le départ des anciens fidèles de Bouteflika-dont Bensalah lui-même-et des réformes politiques confiées à des institutions de transition présidées par des personnalités propres et intègres. Bensalah a, lui, insisté pour une élection « dans les meilleurs délais » et chargé le futur président élu de mener les réformes réclamées.
Quant au « dialogue » auquel il a appelé la classe politique et la société civile, il semble d’ores et déjà qu’il est rejeté par les manifestants. Si certaines formations comme le FLN, le RND et le MPA ont salué l’appel, le reste ne cache pas ses incertitudes et leur pessimisme.
Les leaders de l’opposition accusent le pouvoir de chercher à gagner du temps en se livrant à des réponses dilatoires. L’opposition, lors d’une rencontre récente avec huit partis politiques, indique également que le pouvoir en place n’a pris aucune disposition relative à la réalisation des mesures d’apaisement jusqu’au démarrage du dialogue.
Parmi lesdites mesures d’apaisement, l’arrêt des « persécutions, arrestations, poursuites et violences » à l’encontre des militants et dirigeants de l’opposition, le départ du gouvernement Bedoui et enfin l’instauration d’un climat de confiance pour apaiser la tension.
Quant au président du parti Jil Jadid, Sofiane Djilali, celui-ci a estimé que le pouvoir « doit négocier son départ et non pas son maintien » : « Il n’y a aujourd’hui, pour les tenants du régime, plus qu’une seule issue : remettre le pouvoir au peuple. Toute autre manœuvre aboutira à une situation inextricable », estime Sofiane Djilali dans un communiqué.
« La question centrale est maintenant comment passer à un nouveau régime politique sans aggraver les conséquences désastreuses de la gestion de l’ancien régime », considère-t-il.
Et le dernier appel en date de l’ANP à travers l’éditorial de la revue El DjeïchEl Djeïch Revue de l'Armée nationale populaire fondée en juillet 1963, organe du ministère de la Défense nationale, qui insiste sur « le respect de la Constitution et sur un dialogue avec les parties concernées » n’est pas fait pour arranger les choses.
L’organe du MDN a conclu son éditorial en affirmant que « seul le dialogue est à même d’ouvrir la voie à une issue légale et constitutionnelle garantissant l’organisation des élections présidentielles le plus rapidement possible ».
Quoi qu’il en soit, Bensalah, à qui la Constitution a confié l’intérim pour 90 jours, n’aura personne à qui transmettre le pouvoir à l’issue de ce délai, le 9 juillet, et sortira donc du « cadre constitutionnel » dont le Haut commandement de l’Armée refusait jusqu’ici absolument de s’écarter.
Il faut en toute urgence engager ce dialogue de la dernière chance entre l’ANP, la classe politique, les organisations syndicales, la société civile, les élites intellectuelles et les universitaires.