Saison estivale: Le diktat de la mafia des plages

Alors que le ministère de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire a réaffirmé, dès le début de la saison estivale, l’impératif de respecter le principe de la gratuité de l’accès aux plages, les exploitants illicites continuent d’imposer leur diktat. Le phénomène récurrent de l’exploitation illicite semble loin d’être fini.
Comme à chaque saison estivale, les autorités rassurent et promettent aux estivants la gratuité des plages. Le ministre de l’Intérieur, des Collectivités locales et de l’Aménagement du territoire, Brahim Merad, avait personnellement insisté, lors de la cérémonie d’installation de la commission nationale de préparation et de suivi de la saison estivale 2023, sur l’impératif de respecter le principe de « l’accès gratuit aux plages », de lutter contre leur exploitation anarchique et de prendre des mesures coercitives à l’encontre des contrevenants.
En dépit de toutes ces mesures, les exploitants illégaux continuent, malheureusement, à imposer leur diktat et le scénario des années précédentes se répète. C’est ce qu’a constaté le Jeune Indépendant lors d’une virée au niveau de quelques plages de la wilaya de Boumerdès.
Les plages les plus réputées de cette région n’ont jamais vu autant de monde. Le tourisme local, en constante augmentation, fournit une raison supplémentaire à certaines pratiques malhonnêtes donnant lieu à un gain facile par la location illégale de parasols, tables et chaises aux estivants.
L’accès à de nombreuses plages est ainsi devenu payant, que ce soit de façon directe, à travers la demande de s’acquitter d’un droit d’entrée, ou de façon indirecte en faisant payer toute une série de prestations qui conditionnent les estivants. Ces derniers n’ont d’autre choix que d’obéir de peur des représailles ou des violences, car les jeunes autoproclamés « concessionnaires de plages » activent en groupes et sont souvent munis de bâtons ou autres armes blanches.
Le phénomène prend de plus en plus d’ampleur et comparativement aux années précédentes, les squatteurs installent carrément des tables et des chaises en plastique qui sont collées afin d’occuper tout l’espace en bord de mer, de façon à ne pas laisser de place aux gens qui amènent avec eux leur propre parasol. Des accrochages éclatent souvent entre ces squatteurs et les estivants qui estiment avoir le droit de s’installer où ils veulent.
Arrivant à la plage dite « Rocher pourri », zone rurale située à quelques kilomètres à l’est de la commune de Boumerdès, on peut constater un alignement de tables, de chaises et de parasols, serrés les uns contre les autres, ne laissant aucun centimètre d’intimité entre les estivants.
Rencontrées sur place, les familles regrettent cette situation on ne peut plus gênante. Les tarifs varient entre 1 000 et 1 800 DA pour un parasol, une table et 4 chaises.
« En plus du versement d’une somme pour le stationnement de nos véhicules, on se trouve obligé de louer un parasol et des chaises à 1 200 DA, voire plus. Franchement, c’est trop ! Ces jeunes font la loi », s’est indigné un père de famille rencontré à l’entrée de cette plage. Ce monsieur s’apprêtait, en effet, à faire demi-tour pour aller ailleurs et profiter de la baignade gratuite. « Regardez, il n’y a aucune place pour planter votre parasol. Les leurs sont déjà plantés et accaparent toute la surface susceptible de nous intéresser », a-t-il déploré.
Effectivement, il n’y avait que les endroits situés loin du bord de la mer qui étaient disponibles. Et cela n’est guère souhaitable pour les parents qui veulent garder un œil sur leurs enfants.
« Pour se permettre d’avoir une bonne place, il faut arriver à 6 heures du matin », a confié un père de famille venu de Boudouaou, avant d’ajouter : « Je me suis déplacé à cette plage vu sa bonne réputation. Mais là, il y a trop de monde et on ne trouve pas de place pour mettre notre parasol. On est donc obligé de louer. »
Arrivant avec un parasol sous le bras, un autre père de famille apprend au Jeune Indépendant qu’il est obligé de planter son parasol à l’arrière puisque tous les espaces sont occupés par des parasols de location. « Je me demande comment je vais surveiller mes enfants pendant qu’ils se baignent », s’est-il inquiété.
Même si les prix appliqués sont exorbitants, le citoyen n’a guère d’autre choix que de payer, en l’absence de toute concurrence ou parce que les parasols et les tentes proposés à la location sont installés aux meilleurs emplacements.
Si certains vacanciers se plaignent du harcèlement de ces groupes de « plagistes », d’autres, par contre, trouvent le concept très intéressant. C’est le cas de cette mère de famille qui estime qu’il est plus pratique de ne pas se surcharger en équipement de plage. « Il est inutile de transporter le parasol et les chaises quand on a à notre disposition tout ce qu’il faut », a-t-elle témoigné.
Malheureusement, peu de plages n’ont pas été envahies par ces squatteurs. A l’exemple de la plage de la ville de Boumerdès. Contrairement aux autres plages, celle-ci n’est pas submergée par les parasols de location, excepté quelques parasols posés par terre destinés aux estivants qui souhaiteraient les louer.
L’APOCE appelle les citoyens à dénoncer les squatteurs
L’Association de protection du consommateur (APOCE) reçoit quotidiennement des plaintes et des photos évoquant l’exploitation illégale des plages par des individus qui imposent leur diktat et empêchent les estivants de profiter pleinement de leurs vacances, et ce en leur extorquant de l’argent.
Contacté par le Jeune Indépendant, le coordinateur national de l’APOCE, Fadi Temim, a insisté sur le fait que la loi algérienne est claire en matière de gratuité des plages. Selon lui, cette problématique revient, en effet, chaque année et ne cesse de prendre de l’ampleur. Le point sur lequel il y a confusion, selon lui, c’est la gestion des parkings car, a-t-il expliqué, les APC ont le droit de louer ces espaces aux entreprises, à des individus ou bien de les exploiter à leur niveau en contrepartie d’un revenu bien précis.
L’interdiction est invoquée, a-t-il précisé, lorsque des personnes prennent d’elles-mêmes l’initiative d’exploiter illégalement ses espaces en les transformant en parking. Selon lui, le citoyen doit vérifier si le ticket proposé par ces jeunes, qui prétendent avoir des licences d’exploitation de la part des APC, portent un cachet de ces autorités locales. « Dans la loi algérienne, les plages sont gratuites, permettant aux citoyens de se rendre à la plage sans être contraint de payer quoi que ce soit, et se mettre à l’endroit qu’il juge approprié », a-t-il indiqué.
D’autre part, le coordinateur national de l’APOCE a affirmé qu’il existe réellement une autre activité commerciale : les tables, les chaises et les parasols qui sont loués aux vacanciers. Cette activité est autorisée, selon lui, à condition que les propriétaires proposent leur matériel dans une zone éloignée de la plage, sans l’installer ou l’imposer aux estivants
« Malheureusement, ces individus confondent souvent location et diktat. Ils occupent le terrain en gérant des plages comme bon leur semble. Des jeunes n’hésitent pas à faire la loi en interdisant, par exemple, aux vacanciers l’accès aux plages s’ils n’acceptent pas de louer des chaises, des parasols… », s’est-il indigné.
Pour Fadi Temim, il y a un détournement de la loi car ces personnes occupent la plage au premier rang, pied dans l’eau, sans laisser de place libre aux estivants. Il a affirmé, à cet égard, que son association réagit chaque année face à ces comportements déplorables en attirant l’attention des autorités concernées et en exhortant les citoyens à dénoncer ces agissements illégaux sur le numéro vert de l’association 33 11 ou sur la page officielle Facebook.
« Quiconque se trouve contraint à payer l’accès à la plage ou aux équipements n’a qu’à se diriger vers les services concernés pour déposer plainte », a-t-il souligné, ajoutant que « notre organisation prend en charge ces plaintes et les transmet aux autorités concernées, les signalant, notamment, aux services de la Gendarmerie nationale », a-t-il indiqué.
La gendarmerie traque les squatteurs
Pour leur part, les services de la Gendarmerie nationale lancent, à chaque saison estivale, des opérations d’assainissement de différentes plages du pays, et ce dans le but de mettre fin aux activités illégales pratiquées par des jeunes louant des parasols, des chaises et des tables aux estivants.
Les groupements territoriaux de la Gendarmerie nationale au niveau des wilayas côtières prennent, à chaque saison estivale, un nombre de mesures à l’effet de veiller à la sécurité, à la tranquillité mais aussi à la quiétude des estivants au niveau des plages des communes côtières, axées notamment sur le suivi de la gratuité des plages.
Des descentes de gendarmes sur les plages sont assez fréquentes pour mener une lutte sans merci contre les squatteurs qui pourrissent la vie des baigneurs. Les descentes de gendarmes sont généralement soldées par la saisie des dizaines de chaises, de tables et des parasols utilisés pour la location de façon illégale par les propriétaires.
Allez à la page entière pour voir et envoyer le formulaire.