Sahel: La France au cœur des tensions
Il y a presque dix ans, des analystes avaient prédit que le Tchad serait la prochaine zone à risque en Afrique.
Situé au cœur d’une région tampon du Sahel, charnière entre le Maghreb et l’Afrique noire, ce territoire devint rapidement en raison de facteurs plus que favorables (chute de Gueddafi et guerre en Libye, instabilité politique au Mali et au Niger, troubles au Burkina Faso..) un gigantesque sentier ou pullulent les groupes armés terroristes, la contrebande des armes et les trafiquants de drogue.
Cette bande sahélo-saharienne focalise aujourd’hui l’attention avec l’ampleur du trafic international de drogues, l’émergence de milices djihadistes et la résurgence de ressentiments intercommunautaires et anti-présence étrangère française, l’ancien occupant de cette région.
Chaque année, c’est encore l’escalade. Les interventions militaires de la France et sa présence n’ont pas réglé ces questions, en dépit de son forcing à créer une sorte de coalition avec les cinq anciennes colonies pour contrecarrer soi-disant la menace terroriste.
C’est dans ce magma instable et dangereux que le président tchadien, fraichement réélu pour un sixième mandat, Idriss Deby est assassiné dans des conditions sombres. Selon la version officielle, il a été tué lors des affrontements contre des groupes rebelles venus de Lybie. Déby était un allié majeur de la France dans sa stratégie d’intervention au Sahel, un chef militaire qui avait engagé son armée dans des opérations contre les terroristes tout au long de ses frontières avec le Nigéria, le Niger ou le Soudan. Ses troupes étaient présentes également au Mali dans des dispositifs de force conjointe (opération Barkhane) crées par Paris et chargés de sécuriser les centres urbains. N’Djamena était au cœur du dispositif d’appui et le socle de la présence militaire française.
Rapidement, le président français Emmanuel Macron se réunit avec les dirigeants des pays du G5 Sahel et le nouveau conseil transitoire tchadien, pour discuter de la poursuite du maintien des forces françaises, et éventuellement de la renforcer d’une manière durable.
Le Sahel une françafrique historique
Pourtant, cette fois Deby a été victime de rebelles qui n’ont rien de djihadistes, mais d’opposants armés à sa dictature. D’où sans doute le risque majeur de voir cette coalition dite G5 Sahel dans un glissement vers une feuille de route qui n’a rien à avoir avec la lutte anti-terroriste.
Depuis plusieurs mois, Paris ne cesse de brandir la menace terroriste au Sahel, allant jusqu’à évoquer, comme la fait le chef des Renseignements extérieurs français, le risque de l’extension de la menace djihadiste vers les pays du littoral du Golfe de Guinée, la Côte d’Ivoire, le Bénin, le Togo ou le Ghana. C’est un signe qui pourrait bien préparer le terrain de l’opinion pour une nouvelle réorientation de la stratégie préventive de cette présence et l’intensification de ses opérations sur une vaste région de l’Afrique. De plus, on ne cesse de parler de la faiblesse des armées nationales, mal outillées et minées par des carences structurelles, comme forme de persuasion, en accentuant sur les maillons faibles de ces armées au Mali et au Burkina Faso, qui manquent de formation et d’équipements et surtout de financement.
Depuis la fin de l’opération Serval en 2014 et le déploiement de Barkhane, un sentiment anti français croît dans région, notamment au Mali. De plus, l’opinion publique française est de plus en plus favorable à la fin de cette intervention, selon de récents sondages.
En dépit des pertes humaines et des coûts engagés, Paris demeure intransigeante sur cette question. Pour Macron, un retrait des troupes françaises est inenvisageable, quelle que soit les critiques et les pressions, car les intérêts sont immenses dans cette partie du continent. Paris défend son uranium du Niger, son pétrole tchadien, ses gisements et ses matières premières. C’est son précarré d’influence qu’il lui reste de sa terrible colonisation, sa Françafrique historique.
Des rebelles non islamistes
Liée par des accords de défense avec ses ex-colonies francophones, la France n’hésite plus à multiplier les interventions militaires, même contre des rebelles tchadiens au nord qui n’ont rien d’islamistes, à soutenir des régimes autocrates, dictatoriaux et maintenir, en parallèle, ses réseaux et ses affaires économiques et commerciaux.
Pour les analystes, cela s’appelle le « système des conflits » ou un subtil et complexe état de tensions permanentes maintenu sur une population ou un territoire. Système qui rejette toute réforme ou annihile toute révolution dans l’œuf, presque comme la théorie du chaos, chère aux radicaux républicains des Etats Unis, imaginée au Moyen Orient.
C’est pourquoi, de nombreux observateurs estiment que l’influence française se nourrit de la déstabilisation actuelle, de l’intensification des opérations terroristes, des coups d’Etats avortés ou pas au Mali ou au Niger. Les interrogations sont devenues nombreuses, depuis l’assassinat à Bamako de Sidi Brahim ould Sidati , l’un des artisans de l’accord de paix malien signé à Alger. Le crime porte une signature claire: A qui profite cet attentat? Qui veut offrir des prétextes à l’interventionnisme français? Qui veut attiser les incendies? A quoi et à qui sert cette instabilité chronique de la région?
Pour les observateurs, les mensonges de l’Elysée quant à sa prétendue lutte contre les islamistes armés ou l’aide au développement à ces pays pauvres, s’étalent au grand jour: d’abord avec les rançons en dizaines de millions d’euros remises par Paris à ces groupes extrémistes qui détenaient des otages civils occidentaux, ce qui constitue une source financière intarissable pour l’achat d’armes neuves et de munitions ou de payer de nouvelles recrues. Ensuite, sur l’énorme fossé entre les sommes françaises versées aux actions militaires et celles consacrées au développement des pays sahéliens. L’Algérie, un acteur clé dans la lutte contre le terrorisme, ne cesse de montrer du doigt les errements français dans la région stigmatisant sa volonté permanente à négocier avec les terroristes et à verser des rançons. Des terroristes algériens libérés l’an dernier du Mali grâce aux paiement des rançons par la France ont repris le maquis en Algérie et dont deux ont arrêtés par l’armée. La posture française avec les terroristes constitue désormais une inclinaison avérée à la déstabilisation de l’Algérie.
Selon des chiffres publiés par le quotidien » Le Monde », les dépenses françaises en faveur des pays du G5 Sahel ont plus que doublé entre 2012 et 2019, passant de 584 millions d’euros à plus de 1,17 milliards d’euros sept ans plus tard. Mais l’aide accordée au développement n’a pas suivi la même courbe. Le montant a même baissé, contrairement aux discours des officiels français.
Selon un rapport de la Cour des Comptes publié par le même journal, la « priorité » affichée en faveur de la zone Sahel ne s’est pas traduite dans les faits: les cinq Etats sahéliens représentaient en 2018, 10% de l’aide publique au développement française en Afrique. Le Mali n’a bénéficié que de 2,5%. C’est à dire, des données inchangées depuis 2013 avec le début de l’opération Serval, comme le plus important engagement militaire des troupes françaises depuis la guerre d’Algérie.