Rubik’s Cube Çofi
Le père Philippe Thiriez a vécu à Batna, dans les Aurès, pendant une dizaine d’années. Il avait une passion certaine pour cette région et avait décidé d’en dresser une monographie qu’il réalisa en parcourant le massif dans tous les sens. Il finit par avoir une connaissance intime des montagnes, des vallées ainsi que des Chaouia, de leur mode de vie, de leur psychologie et surtout de leur attachement à leur religion.
En plus de sa monographie, il finit par écrire un livre : « En flânant dans les Aurès », un document doublement intéressant en ce qu’il livre un instantané des Aurès au début des années 80 et du niveau de misère dans laquelle vivaient les montagnards et les gens des plaines, et surtout, il offre une étude improvisée de la langue chaouie : les apports romains surtout ont intéressé ce Curé. Dans diverses plantes comestibles et herbes médicinales utilisées, il retrouvait les dénominations latines laissées par les Romains à Timgad, Lambèse ou autre Mascula.
Les pérégrinations de cet homme de Dieu, en contact permanent avec la population, aidant quand il pouvait avec le peu de moyens dont il disposait, souriant en permanence et toujours disposé à aller vers les autres, avaient fini par agacer quelques imams qui mirent la pression sur l’Inspecteur des Affaires religieuses, un vieil enturbanné, chargé d’une mission qui, visiblement, le dépassait.
Le cheikh en parla à plusieurs reprises au Wali qui fit la sourde oreille, préférant laisser le Curé se promener en montagne car il savait très bien que ce chrétien-là ne déployait aucun prosélytisme.
Mais il était trop populaire pour les imams qui, eux, se contentaient de quelques khotbas le vendredi et ne s’aventuraient que rarement dans les hameaux ou les dechras abandonnées d’Allah.
L’inspecteur maintint la pression sur le Wali et finit par le faire réagir :
« Ya Cheikh ! Vous avez 129 mosquées et ce Curé n’a qu’une église qui n’ouvre que pour donner des cours aux élèves de tous niveaux. Vous avez si peur de cet homme seul ? »
La wilaya de Batna compte aujourd’hui plus de 600 mosquées. Masha Allah ! comme on dit sur Facebook.
L’Algérie a infiniment plus de mosquées aujourd’hui mais rien ne semble apaiser l’appétit pour les nouvelles maisons d’Allah.
Et avec cette multiplication de lieux de prières et de recueillement, se sont aggravées proportionnellement la peur de l’intrus et la fébrilité des gardiens de la religion. Il semblerait que plus on aurait de mosquées, plus on se sentirait vulnérables devant le premier prédicateur venu.
Aussi, toutes affaires cessantes, de prétendus Oulema et des citoyens « concernés » par les « atteintes » à « notre religion », se sont-ils manifestés pour protester contre l’apparition d’une bande d’individus multicolores, habillés comme une publicité pour le célèbre Rubik’s Cube, casse-tête hongrois qui fit chauffer des millions de méninges à travers le globe.
L’Algérien aurait développé une attitude de gros paysan buté, campé sur ses certitudes et pourvu d’une méfiance absolue pour tout ce que fait le pouvoir. Cela ne l’a jamais empêché de se faire avoir à tous les coups mais en contrepartie, il a développé un sens du sarcasme et de la raillerie que le Système Solaire nous envie. C’est l’une des très rares choses dont nous puissions vraiment nous vanter.
Toutefois, quand l’Algérien se moque des actes du pouvoir, il lui reproche surtout de faire diversion avec des mises en scène élaborées, compliquées et longues mais trop voyantes pour espérer berner le « bon peuple ».
Ainsi en est-il du dernier épisode en date : le limogeage de Tebboune après sa confrontation aux puissances de l’argent.
Le gros des commentaires dénonçait le « cinéma du Pouvoir » pour anesthésier la population et détourner l’attention des vrais problèmes.
M. Abdelmadjid Tebboune est sûrement explosé de rire de s’être fait crucifier pour rire, Qajma. Ce monsieur a été mis dehors sans ménagement et tout ce qu’il a essayé de faire serait du cinéma ?
Pourquoi éprouverait-il le besoin de faire une bêtise pareille ?
Pour en revenir à la « Karkariya » -un nom prédestiné tant il traîne derrière lui des lanceurs de pierres excités- les lanceurs d’alerte algériens exigent une réaction de l’État pour défendre l’Islam, oubliant au passage que la Constitution garantit et protège la liberté de culte.
Ainsi, pour un groupuscule bariolé, une prétendue zaouia en technicolor, les mêmes qui dénoncent les diversions du pouvoir, se sont fabriqué leur propre diversion.