Rihet zmen Lorenzy-Palanca !
Un jour radieux de weekend à Alger, le chroniqueur déambule rue Larbi Benmhidi devenue une artère décrépite de la malbouffe algéroise, de la fringue turque et des babioles chinoises. Tout en se disant, heureusement, qu’il y a encore l’ex-Casino-Music Hall, longtemps un cinéma et désormais un théâtre, le musée Mama, la Cinémathèque, le restaurant Le Normand de l’ami Ramdane et la Librairie du Tiers-Monde.
Chemin faisant, au numéro 16, une illumination : Du trottoir d’en face, il lève la tête au dessus d’un ficus mal taillé, pour remarquer une inscription patinée par le temps, et en toutes lettres, « Parfumerie Lorenzy-Palanca Postiches». Et là, mes aïeux, la Madeleine de Proust, avec tous ses arômes d’antan, réveille le souvenir d’enfance pour mieux inspirer une chronique dédiée à une marque, un produit, un lieu et une façon d’être hier en beauté ! Rihet zmen en quelque sorte.
Et comme pour les parfums, c’est l’alchimie des idées qui produit son effet. Par on ne sait quel philtre de la pensée, la marque, le produit et l’endroit ramènent au souvenir « Le Parfum », le bestseller de Patrick Süskind. Dans le roman, le héros principal assassine des femmes pour capter dans des flacons leurs odeurs corporelles distinctives. Et crée ainsi une synthèse de parfum censée asservir les hommes et assurer sa propre fortune ! Ce maître-parfumeur macabre avait pour devise philosophique « qui maîtrise les odeurs, maîtrise le cœur des hommes » et conquiert les femmes, bien sûr !
Rue ex-D’Isly, parfumerie Lorenzy Palenca et « Le Parfum » de Patrick Süskind associés produiront ainsi une chronique aux doux parfums d’une « nostalgéroiserie ». Une évocation des temps du mieux-vivre dans une capitale où une avenue comme celle de Larbi Ben Mhidi était après l’Indépendance La Mecque de la culture, la gastronomie et l’élégance façon Brummell. Bref, le cœur palpitant du chic et de la convivialité au cœur d’un Alger heureux.
La parfumerie était située au rez-de-chaussée et au premier étage d’un immeuble de rapport haussmannien. L’enseigne est toujours intacte au premier étage, alors que le niveau plus bas était occupé par Nedjma, l’ex-agence d’échanges de voyages de jeunes durant la période socialiste, aujourd’hui l’Association nationale des échanges culturels et touristiques internationaux. Le premier étage est fermé depuis longtemps, et on ignore à qui il appartient : Bien privé ou public algérien ou encore propriété d’un Français d’Algérie ? Allez savoir ?!
« L’odeur est l’intelligence des fleurs », disait Montherlant. A la parfumerie Lorenzy-Palanca, les fleurs avaient mille et une odeurs. Mais cet antre des essences captives et captivantes était aussi une caverne d’Ali Baba ordonnée, où s’offraient aux yeux fioles, fiasques, flasques, bombonnes, vaporisateurs, bibelots, burettes, potiches, peignes et autres accessoires de beauté, talc et bien d’autres poudres pour belles qui se pomponnent.
Dans ce kaléidoscope d’aromates, d’extraits, d’onguents et de fragrances, la coquetterie était un art subtil au service duquel œuvrait un chef des odeurs suaves, Lorenzy-Palanca. Dans cette maison de l’ivresse des sens, on trouvait tout ce qui concerne la parfumerie en général, toutes de marques françaises, et particulièrement les eaux de Cologne de Lorenzy-Palanca qui, les premières, tiraient la réputation universelle du label. En tête de gondole, ses trois créations fétiches : « Frimousse d’Or », « Frisson » et « Cri du Cœur ». Il n’est d’ailleurs pas un accessoire de toilette que ne pouvait se procurer une élégante chez Lorenzy-Palanca, depuis le peigne en ivoire jusqu’au set d’onglier dans sa boite stylée, en passant par le collier de fantaisie, l’éventail ancien ou moderne, le sac à la mode, le bibelot en vogue.
Succès commercial et prestige aidant, la maison avait accru le volume de son rayon de maroquinerie, et l’on trouvait aussi les nécessaires de toilette, des paniers de camping et de pique-nique, des mallettes à flaconnages, des coffrets d’argent et de vermeil ou encore des boites de fin Tolède damasquinées. Dans la galerie artistique du premier étage, où étaient réunies les cadeaux pour embellir le chez-soi, on y trouvait un choix incomparable de verreries d’art, de vases, de lampes et de brûle-parfums signés de Gallé, Daum, Wezz ou Quenwil. Et agréablement disséminés, tables à thé, travailleuses, lampadaires à dômes de mousseline aux tons chatoyants, côtoyaient des boites de biscuits, tandis que les porcelaines de Golse et de Saxe complétaient l’assortiment général.
Jusqu’à la fin de la décennie 1960, la maison constituait une des plus élégantes attractions de la rue d’Isly, et se visitait à l’égal d’un musée. La féerie de ses vitrines et le charme de l’atmosphère grisante de ses étals, vous gagnaient davantage au culte de la beauté servie en ce lieu avec une si grande grâce. Dans une atmosphère chargée de notes de parfums sensuellement provocantes, parfois douces et veloutées, mais toujours hypnotiques qui s’expriment et s’équilibrent subtilement.
En ce jour , au numéro 16 de la rue Larbi Ben Mhidi, c’est tout ça qui est remonté de la mémoire du chroniqueur, et qui lui a délicieusement chatouillé le nez. Rihet zmen.