Question mémorielle : quelle tournure après le rapport de Stora ?
La question mémorielle entre Alger et Paris refait surface et occupe le devant de la scène après une léthargie qui dure depuis le mois de juillet, date de la désignation des deux historiens, Abdelmadjid Chikhi et Benjamin Stora, chargés de ce dossier «brûlant».
Représentant la partie française dans cette entreprise, M. Stora est censé remettre à l’Elysée un premier rapport à la mi-janvier. Ce dernier permettra, selon M. Chikhi, de dévoiler «les intentions réelles» de la France à l’égard de ce dossier.
Lors de sa dernière sortie médiatique, le conseiller du président de la République chargé des Archives et de la Mémoire nationale a laissé entendre que le doute ne s’est pas encore dissipé quant à la réelle volonté de la partie française de coopérer dans le chantier mémoriel.
En octobre dernier, le directeur général des archives nationales avait indiqué que l’interlocuteur français tergiversait toujours concernant le dossier des archives et cherchait des échappatoires pour ne pas restituer celles-ci.
«La bonne foi et la bonne volonté qui ont présidé à la remise des restes mortuaires ne sont pas les mêmes dans la gestion du dossier des archives», avait-il déclaré, affirmant que «l’Algérie demande la récupération intégrale des archives de toutes les périodes historiques d’avant 1962».
Selon toute vraisemblance, la restitution de ces archives incommode au plus haut point Paris, qui tente de justifier sa position «intransigeante» tantôt par la domanialité de ces dernières, alors qu’Alger n’a cessé de les réclamer depuis presque 60 ans, tantôt par «le manque d’un diagnostic global du stock de ces archives en France».
«On nous dit que ces archives n’ont pas été classées et organisées, cela n’est pas vrai car il est impossible que des archives restent entassées sans entretien pendant soixante ans, sauf si l’on veut leur détérioration pour ne pas les restituer», avait fait observer M. Chikhi.
S’agissant des autres aspects de ce grand chantier, notamment la récupération des restes mortuaires des résistants martyrs, dont une partie a été rapatriée le 3 juillet passé, l’historien a relevé que les choses connaissent aussi une certaine lenteur d’ordre «technique et scientifique».
Ce qui reste, selon lui, plus ou moins «compréhensible» par rapport à d’autres comportements lesquels vont à l’encontre des règlements internationaux. En effet, l’autre dossier épineux est celui des essais nucléaires effectués dans le Grand Sud de 1960 à 1966 et l’indemnisation des victimes. Excepté les débats de quelques rencontres scientifiques, cette partie de la question mémorielle n’a pas encore été évoqué avec le même intérêt que l’on accorde à la restitution des archives et des crânes des valeureux chouhada. La France se doit également de déterrer son «passé nucléaire» des sables de Reggane et assumer sa responsabilité quant aux dégâts et résidus de ce désastre humain et écologique.
En plus des tergiversations et du louvoiement du côté de la partie française, le traitement de ce dossier et, partant, le cours des négociations, ont été affectés par la pandémie du nouveau coronavirus ayant plongé le monde entier dans une paralysie quasi totale.
Selon le constat des analystes, la sensibilité de ce dossier a prévalu dès l’annonce de l’entreprise par les deux chefs d’Etat, Tebboune et Macron, affichant un rapprochement mutuel et une volonté de relancer «des relations bilatérales sereines». Une sensibilité qu’on a voulu atténuer en associant à cette démarche des historiens et académiciens, et ce dans l’espoir de trouver un terrain d’entente pour pouvoir «affronter les évènements douloureux» survenus lors de la période coloniale.
Cependant, les deux historiens considèrent qu’une «écriture commune» de l’histoire est loin d’être l’objectif de ce chantier.
«Une écriture commune de l’histoire n’est ni souhaitable ni possible», avait jugé M. Chikhi au lendemain de sa désignation pour cette mission. Quant à M. Stora, il a qualifié cela «d’un travail très difficile, au vu des motivations qui diffèrent d’une partie à une autre», affirmant que chaque partie devrait travailler de son côté sans la mise en place d’une commission mixte.
L’historien français né en Algérie avait toutefois souligné qu’«on a effectivement, de part et d’autre de la Méditerranée, essayer d’approcher au plus près possible une histoire qui soit celle des faits eux-mêmes et qui ne soit pas une histoire idéologisée en permanence».
En tout cas, si les deux parties s’accordent à dire qu’il s’agit bel et bien d’un travail de longue haleine qu’il faudrait conduire des deux côtés de manière «sérieuse et objective», les visions divergent quant à la formulation «des excuses officielles» tant attendues par l’Algérie et auxquelles l’opinion publique française demeure «hostile», selon les sondages d’opinion de certains médias de l’Hexagone.