Quand une suppression d’emploi et un effacement de soi vont de pair
Facile à l’annoncer ; difficile à l’accepter. La suppression d’emploi est toujours perçue comme brutale et agressive. La crise vue d’en bas est dévastatrice car cela rime avec une perte d’un emploi, une culpabilisation, une pauvreté et de l’isolement, d’où l’image véhiculée du stéréotype de la psychologie sociale dans ses connotations négatives.
Seulement, il faut relever sa tête pour gérer sa situation de façon constructive afin de contrôler sa colère sans se laisser contrôler par celle-ci. Certes, quand on se sent victime d’une décision jugée inconcevable, il est humainement difficile de penser de façon logique et cartésienne. Toutefois, il faut positiver et essayer de tisser des liens sains avec ses semblables en sachant s’extérioriser et exprimer ses besoins en parlant des problèmes qui bouleversent et perturbent, ainsi on apprend à contrôler son courroux de façon proactive. À tout problème sa solution ! Un échec ouvre toujours d’autres perspectives. S’armer de patience, croire aux lendemains certains, avoir confiance en soi et une bonne volonté, des ingrédients qui serviront d’appui pour bien se reconstruire.
La peur au ventre en sachant que la fermeture annoncée se dessine. La réalité du monde du travail et l’avenir incertain au menu des discussions. Cette loyauté inconsciente de sa personne hésitant à opter pour une reconversion professionnelle, surtout si l’individu est en fin de carrière. Il y aura des collègues de travail qui partiront ; il y aura ceux qui resteront. Le marasme de la réalité amère… Perdre son emploi, c’est d’abord subir un réel changement. Néanmoins, la décision s’apparente souvent à une grande injustice. Ainsi sont les conséquences de l’instabilité d’un travail face aux lois du marché et de la mondialisation. Déjà on a en tête que beaucoup d’entre nous ne se reverront plus. Déjà on sait qu’on sera loin de la famille en cas d’une concrétisation d’un éventuel emploi. Déjà on a imagine qu’on sera loin de la connivence des amis et des habitudes complices, et ce, juste pour suivre un emploi, ce gagne-pain de quoi subvenir à ses besoins. La nécessité oblige.
Le licenciement pour motif économique est causé par une suppression ou une modification de l’emploi faisant suite à des réorganisations liées à des difficultés économiques sérieuses, mettant en jeu la sauvegarde de l’entreprise, ou encore à la suite de mutations technologiques ou scientifiques. Tout normalement devrait se transformer et non se perdre !
Parfois brusques car annoncées d’une manière impromptue, les suppressions d’emplois sont abordées fréquemment en des termes simplistes. Ce simplisme caractérise non seulement les salariés qui en pâtissent, ou leurs représentants, mais également les observateurs extérieurs et jusqu’aux responsables d’entreprise qui décident d’y recourir. Ce simplisme peut s’expliquer doublement. D’une part, il s’agit d’un acte dur appliqué à des personnes, donc fortement chargé psychologiquement. Cette dureté touche premièrement les salariés dont l’emploi est supprimé mais aussi les salariés « survivants » et les responsables de la décision ou de la mise en œuvre opérationnelle des suppressions d’emplois. D’autre part, il s’agit d’une décision de gestion dont les prémisses comme les conséquences sont trop complexes pour être totalement comprises, maîtrisées et, a fortiori, expliquées exhaustivement. D’où un refuge commode dans un certain schématisme qui, à la fois, rassure et permet d’agir. Dans les faits, les suppressions d’emplois présentent des modalités, des justifications et des effets multiples et ravageurs.
Classiquement, on justifie les suppressions d’emplois par des facteurs technico-économiques tels que la faiblesse de la demande, un projet voué à l’échec, la non augmentation de la productivité liée à la modernisation des équipements de production, la pression de la concurrence, etc. Si une quelconque entreprise est dirigée, non par des personnes impliquées moralement, plutôt par de purs financiers et lobbies associés, le déclin progressif s’émergera, ce qui entraînera tôt ou tard sa chute. Et quand on parle d’une chute, la suppression d’emplois suivra car elles vont de pair.
Il est au préalable utile de rappeler que les suppressions d’emplois peuvent prendre des formes très diverses comme notamment le non remplacement des départs, une incitation au départ volontaire au moyen de primes ou encore l’ajustement des effectifs soumis à des statuts précaires.
Les motifs explicites et implicites connus, et la liste des licenciés divulguée, s’amorce ensuite une phase de sidération lorsque les soi-disant « chanceux » pénètrent dans leur entreprise, vidée de leurs collègues. Le soulagement laisse rapidement place à la culpabilité, accentuée par la proximité affective vis-à-vis des licenciés : « Pourquoi m’avoir choisi moi et pas lui ? », « Je ressens du soulagement alors que ma collègue a perdu son emploi… » « J’aurais aimé (e) être à leur place car le couple licencié a des enfants… », « Les contraintes arbitraires, l’injustice… »
Son emploi, sa vie, son organisation et son adaptation sont donc au centre des croyances individuelles et des penchants naturels car ils guident les choix de chacun en lui donnant un sens.
Ce que nous observons lors d’une perte d’un emploi est généralement le déni de la réalité accompagné de la colère, de la déprime et du rebond.
Le déni étant le refus d’accepter la réalité extérieure. L’individu ignore les signes précurseurs, croit qu’une solution sera trouvée, n’imagine pas de faire partie des licenciés. La colère, quant à elle, apparaît une fois le licenciement annoncé, elle se dirige sur les différents facteurs pouvant servir de refuge auxiliaire tels l’encadrement, les ressources humaines, les syndicats, l’État… Quant à la déprime, cette dernière est une phase plus ou moins longue. Elle s’accompagne d’un sentiment de mélancolie, de tristesse, de dévalorisation et de perte de confiance en soi. Si l’individu ne dispose pas des ressources nécessaires pour entamer la phase de rebond, cette situation peut se transformer en syndrome anxio-dépressif.
Tomber et se relever ; se ressaisir, se relever et se projeter. Le passage d’un changement subi à celui choisi à ses dépens passe par une transition délicate. Une phase d’estime de soi s’invite, et on parle du narcissisme inventé. Ce dernier redore l’estime de soi, permet au sujet d’appréhender la réalité du marché de l’emploi et de critiquer son profil en le mettant en valeur tout en conservant sa capacité d’action. Il sera ainsi progressivement en mesure de s’adapter aux besoins d’une nouvelle entreprise et d’un nouveau poste.
Face aux émotions négatives, face aux sentiments parfois sombres, parfois lumineux, face à sa passivité trop lancinante, analyser les bénéfices de sa nouvelle situation permet de relativiser, mais aussi de définir ses besoins puis de mettre en œuvre un nouveau projet de vie.
Oublier la sclérose des institutions, rimer sa cohérence cognitive avec son Carpe Diem, appliquer la philosophie du roseau face à la bourrasque sachant fléchir sans se briser, faire de son temps un ami, la lumière devant et l’ombre derrière, remettre du sens dans sa vie pour se sentir à nouveau utile, profiter de sa famille et de ses petits-enfants, voyager, changer de décor à ses décors visuels et imaginaires, faire confiance à son potentiel, s’investir dans un loisir sont autant de projets qui permettent de redonner du sens à soi, à sa famille et à sa vie, maintenir le lien social, utiliser ses acquis et se projeter à nouveau dans l’avenir. La notion de résilience permet de « rebondir » et non seulement de « résister ».