Publication de la nouvelle doctrine étrangère de la Russie: Vers un monde multilatéral
Publiée le 31 mars dernier, la doctrine de la politique étrangère de la Fédération de Russie est un document révolutionnaire dans le sens où il détermine dans la durée la place et le rôle de leadership mondial qui échoit à ce pays-continent.
Partant de l’histoire dans le temps long (mille ans), le document met en relief le caractère très particulier de la Russie en tant que pays-civilisation « unique », puissance eurasiatique et euro-pacifique qui joue un rôle particulier dans le développement pacifique de l’humanité et dans le maintien de l’équilibre mondial.
C’est à travers ce prime que les stratèges russes pensent, regardent et interprètent le monde en mutation. La Russie en tant que puissance historique ne peut et ne doit être reléguée à un rang de subalterne par des puissances inamicales dont l’histoire récente a démontré l’hostilité croissante, une hostilité qui s’est cristallisée à l’occasion de l’affaire ukrainienne. D’ailleurs, le curseur de la stratégie russe à l’égard des autres Etats est placé entre leur approche constructive, neutre ou inamicale. Des approches déjà mises en pratique depuis le 22 février 2022, date du début de l’opération spéciale russe en Ukraine.
Tout en dénonçant certains « Etats habitués à penser conformément à la logique de la prédominance globale et du néocolonialisme. … qui refusent de reconnaître les réalités d’un monde multipolaire et de se mettre d’accord sur les paramètres et les principes de l’ordre mondial en partant de ce fondement », le document insiste sur les mutations profondes de l’ordre mondial qui tend vers une plus grande démocratisation des relations internationales.
Nonobstant le fait que le système du droit international est soumis à rude épreuve par « un groupe limité d’Etats qui essaie de le substituer par le concept d’ordre mondial basé sur des règles (imposition de règles, de standards et de normes élaborés sans avoir assuré la participation égale de tous les États intéressés) ». Tel est, selon la vision stratégique russe, le point d’achoppement entre Moscou et Washington et ses alliés.
Tout de go, le document précise un point essentiel : « la Russie ne se positionne pas comme ennemie de l’Occident, ne s’en isole pas, n’a pas d’intentions hostiles à son égard et compte que dans l’avenir les États faisant partie de la communauté occidentale prendront conscience de l’inutilité de leur politique conflictuelle et des ambitions hégémonique, prendront en compte les réalités compliquées d’un monde multipolaire et reviendront à l’interaction pragmatique avec la Russie en se basant sur les principes d’égalité souveraine et de respect des intérêts mutuels. C’est dans ce contexte que la Fédération de Russie est prête au dialogue et à la coopération ».
C’est ainsi, que la Fédération de Russie préconise « un système des relations internationales qui protège l’identité et l’égalité des conditions du développement de tous les États et qui accroît la participation des pays en développement à l’économie mondiale ». Pour ce faire, « le droit international doit évoluer en fonction des réalités d’un monde multipolaire » débarrassé de la domination occidentale. D’ailleurs, « la Russie entend accorder une attention prioritaire à l’élimination des vestiges de la domination des Etats-Unis et d’autres Etats hostiles dans les affaires mondiales ».
Et c’est sur le terrain des problématiques sécuritaires que le document annonce que « la Russie peut utiliser ses forces armées pour se défendre et défendre ses alliés ou empêcher une attaque contre elle ou ses alliés ». Une nouveauté, étant donné l’acharnement des puissances occidentales contre le Russie dans une guerre hybride par procuration via le proxy ukrainien.
Pragmatique et rationnelle, cette doctrine n’est pas un document belliciste, loin s’en faut. Moscou cherche « à assurer la sécurité de tous les États sur un pied d’égalité, mais uniquement sur la base du principe de réciprocité ». Une rupture nette avec la pratique occidentale.
C’est d’ailleurs la priorité de la Russie que d’éliminer les « vestiges de la domination » des Etats-Unis et d’autres Etats inamicaux dans les affaires mondiales, de réduire leurs capacités d’abuser de leur position dans l’économie mondiale. Car pour les Russes, la politique de Washington est la principale source de risques pour sa propre sécurité et la sécurité internationale, pour la paix et pour le développement équitable de l’humanité dans son ensemble.
Sur la vision à moyen et long termes, le document russe défini « l’Eurasie comme un espace de paix, de stabilité, de confiance et de prospérité », ce destin promit à cet ensemble « est le projet phare de la Russie pour le 21e siècle ». Une sorte de complémentarité avec le projet chinois de l’Initiative Ceinture et Route, les nouvelles Routes de la Soie.
Dans la même logique, la Russie considère qu’il est particulièrement important d’approfondir les liens avec « les centres mondiaux de pouvoir, tels que l’Inde et la Chine ». Ces deux partenaires coopèrent déjà avec Moscou au sein des BRICS et de l’OCS. La Russie « entend contribuer à faire de l’Afrique un centre influent du développement mondial et d’accroître la coopération avec l’Amérique latine ».
La doctrine insiste également sur la nécessité du renforcement de « la coopération globale et mutuellement bénéfique » avec la civilisation « amicale » islamique. Des pays sont considérés comme des points d’ancrage russe dans cette aire civilisationnelle, il s’agit de la Syrie, de l’Iran, de la Turquie, de l’Egypte et de l’Arabie saoudite.
Dans le reste du monde, la Russie dit s’opposer à une politique des lignes de fracture dans la région Asie-Pacifique, tout en cherchant des solutions pacifiques aux problèmes internationaux dans l’Arctique. Dans le même registre, Moscou souhaite préserver l’Antarctique en tant qu’espace de paix démilitarisé.
Lors d’une réunion de son Conseil de sécurité nationale, le président Vladimir Poutine a précisé que des « bouleversements sur la scène internationale » obligent la Russie à « adapter ses documents de planification stratégique, notamment celui sur la conception de la politique étrangère de la Fédération de Russie », a-t-il dit après la présentation du document sur la doctrine étrangère russe.
Pour le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, le nouveau document relève « la nature existentielle des menaces (…) créées par les actions des pays inamicaux », qualifiant les Etats-Unis « d’instigateur principal et chef d’orchestre de la ligne antirusse ». D’où l’actualité de la nouvelle doctrine de politique étrangère de la Russie.