Poumons verts pour un Alger asthmatique !
Ville méditerranéenne de soleil quasi éternel, Alger manque beaucoup d’espaces végétaux et de convivialité. Sous la Régence ottomane et jusqu’aux premières années de l’Indépendance, Dzaïr Béni Mezghenna célébrait les noces quotidiennes et heureuses de l’eau abondante et de la verdure luxuriante. Parcs, jardins, bois, squares, allées arborées, aqueducs et fontaines lui avaient alors fait mériter son surnom lumineux d’El Bahdja, la radieuse cité qui ravit la vue ! « Ville audacieuse Ville démarrée, ville marine bleu marine saline, ville au large rapide à l’aventure, on l’appelle El Djazaïr », disait la poétesse batnéenne Anna Greki. Ville jadis plus verte, ajouterions-nous.
Ce qui fut hier charme, calme et volupté, est désormais stress, bruit, angoisse, ennui et pollution. Un mal-vivre dans une cité casanière bien avant le couvre-feu subséquent à la fatalité covidienne. Une ville de blancheur passée, décrépite et grise du fait du temps et de la main de l’Homme, où l’Algérois, dès la nuit tombée, entre en réclusion. Mais, fort heureusement, le jardin d’Essai, parure verte et diaphragme respiratoire d’Alger, a été réhabilité après des années de déchéance. Il fallait bien lui rendre sa luxuriance et son lustre d’antan. Surtout sa vocation d’espace d’oxygénation et de recherche scientifique, depuis sa création en 1832 dans un but expérimental.
Ce joyau écologique et haut lieu de l’exotisme floral algérois, avait inspiré le compositeur Camille Saint-Saëns et le peintre Auguste Renoir, entre autres flâneurs séduits et heureux. Ce jardin d’acclimatation, situé au Hamma et descendant jusqu’au battant des lames méditerranéennes, est un mirage d’Orient. S’entrelacent ici voutes végétales, cathédrales de feuillages et compositions de bosquets taillés en topiaire, avec des bassins débordant de papyrus, de lotus et de nénuphars.
Cette «clinique» de phytothérapie est la grande greffe écologique de la capitale. Ville où il y avait, sous la régence turque, 24 squares, sept jardins, deux grandes pépinières et deux bois ouverts au public. C’était aussi l’agglomération des aqueducs et des fontaines à profusion, les «sebbalat» ainsi nommées par les Algérois. Dzayer fut donc la rencontre du soleil, de la mer, de la verdure et de l’eau potable cristalline. Il y avait alors l’aqueduc d’Aïn Zebboudja, et il y a toujours Aïn El M’zoueka, sans compter le jardin Laferrière (Khemisti), coulée de verdure descendant du palais du gouvernement à la Rampe Tafourah, au pied du port. A l’autre bout de la ville, il n’y a plus malheureusement l’ancien square de la Consolation, face à la mer, à l’entrée de Bologhine, transformé en une simple allée aménagée, avec la présence ornementale de quelques ficus victimes récentes d’une taille sévère de restructuration.
On revient à l’écoulement en cascades vertes qu’est le Jardin Khemisti : il n’y a plus, en bas, le square Guynemer tel qu’il fut dessiné. Transformé désormais en une placette bordée de quelques palmiers nains et au milieu de laquelle on a installé un bassin d’eau qui fonctionne rarement, et au milieu duquel nagent parfois des bouteilles en plastique en guise de poissons de décor ! Ah il y a toujours, un peu plus loin vers Bab El Oued, le Square Aristide Briand, ex-de la République, devenu Bresson avant de s’appeler Port-Saïd une fois l’Indépendance acquise. Ce carré de végétation en face de la mer et devant le grand théâtre d’Alger, a longtemps été désaffecté avant son heureuse et tardive réhabilitation. Assaini et restructuré, il est devenu également un lieu de mémoire culturelle dédiée à des noms illustres du théâtre, du cinéma et de la chanson.
Il y avait d’autre part le square Montpensier, détourné de sa vocation première pour devenir un espace de la malbouffe, défiguré par des buvettes et de glauques sandwicheries, au cœur de Soustara. De même que n’existe plus le Square de la Régence, agrémenté de palmiers et de kiosques à musique, là même ou fut érigé la statue équestre du Duc d’Orléans de funeste mémoire coloniale. Monument qui a valu naguère à l’actuelle Place des Martyrs le nom de Place du cheval.
Sans oublier les squares Nelson et Guillemin qui verdissent encore, mais moins qu’avant, le haut et le bas du cœur de Bab El Oued. Comme il n’y a plus les pépinières des boulevards Bru et des Flandres. Mais on se console quand même avec les parcs de Mont-Riant (Beyrouth) et de Galland (la liberté) entre Sacré-Cœur et Télemly. De même qu’avec le bois du Ravin de la femme sauvage et celui du Val d’Hydra, outre ceux de Boulogne et des Arcades qui surplombent la merveilleuse et ennivrante baie d’Alger.
Et même s’il est quelque peu dégradé, il y a toujours le jardin Marengo, dont le sinistre nom colonial a été remplacé par celui de Sidi Abderrahmène, saint tutélaire de la ville, et ensuite par celui de Prague, jumelage avec Alger oblige. Dans cette petite copie verte du Jardin d’Essai, trône désormais le buste de la légende du chaabi et fils du quartier de la Rampe Valley (Louni Arezki) et de Sidi Abderrahmene, Amar Ezzahi.
Alger est depuis longtemps déjà une ville asthmatique qui a tant besoin de poumons verts supplémentaires.