Pakistan: Hostile à Washington, Imran Khan renversé par une motion de censure
Le Premier ministre pakistanais Imran Khan a été renversé ce samedi 9 avril par une motion de censure votée à son encontre par l’Assemblée nationale.
À l’issue de plusieurs semaines de crise politique, la motion de censure a été « approuvée » ce samedi soir – dimanche au Pakistan – par 174 des 342 députés, a annoncé le président par intérim de la chambre, Sardar Ayaz Sadiq.
Il s’agit d’une victoire sans surprise pour la coalition de l’opposition qui avait la majorité depuis plusieurs jours. Des scènes de liesse et des cris de joie ont retenti au cœur de l’hémicycle au fur et à mesure que les chefs de l’opposition faisaient leur entrée dans l’Assemblée, rapporte notre correspondante à Islamabad, Sonia Ghezali. Aucun membre du gouvernement n’était en revanche présent ; tous avaient quitté les lieux quand la tenue du vote a été annoncée.
Aucun Premier ministre n’est jamais allé au bout de son mandat au Pakistan, depuis l’indépendance du pays en 1947, mais Imran Khan est le premier à chuter sur un vote de défiance. Le chef du gouvernement, au pouvoir depuis 2018, a néanmoins résisté, en s’accrochant jusqu’au bout. Jusqu’à même éprouver les institutions démocratiques.
Ses soutiens ont d’abord refusé dimanche dernier de soumettre la motion de censure au vote et choisi de dissoudre l’Assemblée, pour convoquer des élections anticipées. Mais la Cour suprême a jugé l’ensemble de ce processus anticonstitutionnel, restauré l’Assemblée et ordonné la tenue du vote ayant mené au départ d’Imran Khan.
Reste à savoir comment le prochain gouvernement va se mettre en place. Il sera formé par une coalition de partis de l’opposition, mais historiquement rivaux. Certains craignent une période d’instabilité politique, d’autant qu’Imran Khan a déjà prévenu qu’il ne respectera pas ce nouvel exécutif qu’il surnomme « gouvernement importé ». Le Premier ministre déchu a également appelé à des manifestations ce dimanche soir. La crise politique au Pakistan est donc loin d’être terminée.
Hostile à la politique américaine en Irak en Afghanistan et en Ukraine, Imran Khan était devenu la cible des dirigeants et des médias américains.
Ancien sportif de haut niveau, Imran Khan, 69 ans, est célèbre pour avoir mené l’équipe nationale de cricket, sport roi dans le pays, à sa seule victoire en Coupe du monde en 1992. Toujours populaire auprès de larges pans de la population, il n’a sans doute pas dit son dernier mot en vue des prochaines échéances électorales.
Vendredi il a affirmé avoir accepté le jugement de la Cour suprême qui devrait lui valoir d’être renversé par une motion de censure, tout en continuant à dénoncer une conspiration ourdie par les Etats-Unis.
Imran Khan pensait avoir réussi un coup politique de premier ordre dimanche, en obtenant que la motion de censure ne soit pas soumise au vote et que l’Assemblée soit dissoute, ce qui ouvrait la voie à des élections anticipées sous trois mois.
Mais dans une décision qui devrait faire date, la Cour suprême a considéré jeudi que cette manœuvre orchestrée par le Premier ministre et ses alliés était inconstitutionnelle. Elle a annulé la dissolution et ordonné à l’Assemblée de se prononcer sur la motion de censure dès samedi.
« J’accepte le jugement de la Cour », a-t-il ajouté, tout en regrettant que la plus haute instance judiciaire du pays n’ait pas pris en compte ses accusations d »’ingérence » portées à l’encontre des Etats-Unis, auxquels il reproche d’avoir chercher à le renverser avec la complicité de l’opposition.
A l’en croire, les Etats-Unis, déjà offusqués par ses critiques répétées à l’encontre de la politique américaine en Irak ou en Afghanistan, ont été ulcérés par sa visite à Moscou le jour même du déclenchement de la guerre en Ukraine.
La victoire très probable samedi de l’opposition ouvrirait la voie à un possible retour au pays de Nawaz Sharif, trois fois Premier ministre. Il avait été destitué en 2017 pour corruption présumée et emprisonné, puis libéré sous caution en octobre 2019 pour raisons médicales. Il vit depuis en exil au Royaume-Uni.
Son frère cadet Shehbaz apparaît comme le dirigeant d’opposition le plus compatible avec les intérêts de la toute puissante armée, qui avait été accusée de soutenir Imran Khan en 2018 et silencieuse ces derniers jours.
Le Pakistan, une république islamique de 220 millions d’habitants dotée de l’arme nucléaire, a connu quatre putschs militaires réussis et passé plus de trois décennies sous un régime militaire depuis son indépendance en 1947.