Moral en berne
Les remarquables marches du sourire du peuple algérien seront elles encore aussi rassérénées alors que la menace de la cessation de paiement de l’Etat se précise de plus en plus ?
Non pas qu’il y a lieu de craindre une tournure violente dans ce mouvement de protestation paisible qui fait à ce jour, un sans faute et une approbation mondiale, tant est transcendante la prise de conscience collective qui l’anime sur ce qui est en jeu pour la patrie.
Et à moins d’une dérive orchestrée par les forces têtues de l’ombre d’ici et d’ailleurs, qui depuis trois mois déjà, ressuscitent de mauvais souvenirs, et manipulent via une simple page Facebook, et sous toutes leurs aspérités, les clivages socio-politiques afin de défaire la cohésion du mouvement populaire, rien ne semble en mesure, d’éloigner ces magistrales marches de la discipline pacifique qui les préserve encore.
On observe cependant, à l’approche de la date « fatidique » ou « opportune » du 4 juillet prochain, chacun selon son angle de tir ; un ballet de messages encodés et enveloppés dans des formules ampoulées émanant de nombreux politiques opportunistes dans la force de l’âge, allant tous, dans le sens du vent, à quelques nuances superfétatoires de leur crû. A l’opposé, c’est dans un registre de veillée martiale, que fusent d’autres messages trahissant malgré un habillage éthique, et un ton didactique, la dent dure de leurs dispensateurs. Le scepticisme pour religion, ils focalisent sur le sombre scenario.
Raison d’Etat
Bien sûr, la raison d’Etat et l’intérêt supérieur de la nation, ces argumentorum sans appel, peuvent à tout moment et sans justificatif aucun, suspendre la vigueur du faible droit un tantinet consensuel pour faire place à la logique de puissance d’un Etat fragilisé par ses serviteurs, et en rupture avec la masse silencieuse qui a été « gouvernée » contre sa volonté et en dehors même de sa volonté. Mais cette masse qui se réveille face aux multiples dangers comme un seul homme, a pour elle le pacifisme que la planète verrouillée arabe ne comprend pas ! En Algérie, ce n’est pas une foule en furie, bête et inconsciente qui rue aveuglément dans les brancards.
Ce sont des marches ordonnées auxquelles se rallient de plus en plus de corporations qui tracent les premiers sillons pour le changement du mode de gouvernance ; un objectif qui remporte chaque vendredi, tous les suffrages. Le changement du mode de gouvernance, s’impose comme l’inévitable et incontournable ordre du jour pour restaurer l’Etat, restaurer tous les équilibres de la nation et mettre sérieusement, l’économie sur les rails de la croissance.
Avec des marges aussi étroites, le temps est ce qui risque de manquer si on ne prêtait oreille qu’à ceux qui ont développé cette « énigmatique maladie à faire des nœuds » en accordant plus qu’ils ne le méritent, un traitement médiatique ridicule au sujet de ces quelques banderoles farfelues, caricaturales et outrancières noyées dans la densité des mots d’ordre intelligents.
Et lorsqu’un judicieux trio de sages livre de précieuses indications, il ne prétend pas transformer le plomb en or. Ce trio fait mieux, il éclaire ce qu’une méfiance tenace et des peurs primaires assombrissent, en prônant pour libérer la solution possible, le rapprochement entre des interlocuteurs qui occupent le même espace vital. Il est d’une évidence basique qu’on ne dialogue qu’avec ses contradicteurs pour trouver une solution à un différent aussi lourd soit-il.
Sans ce dialogue rassembleur face au monde inquiétant de Donald Trump, qu’adviendrait-il de la révolutionnaire Algérie, si le sang de ses enfants coulait de nouveau, suite à une erreur de calcul ou à un coup de sang, alors qu’ils appellent unanimement à libérer leur Etat pour qu’il soit possible de concrétiser les nobles objectifs que leur ont permis d’espérer, par leur sacrifice, leurs aînés morts sur le champ d’honneur ?
Ce peuple aux martyrs consentis sans compter, au cours des siècles, et qui a survécu au joug de tant d’envahisseurs ; des barbares comme des « civilisés » d’entre eux, a fait preuve d’une grande et longue résilience face à son premier échec en tant qu’Etat indépendant.
Rester sur cet échec à mesure que se profilent de sérieuses menaces pouvant le réduire à d’autres jougs plus puissants, est un suicide inconscient ou un geste de profond désespoir qui ne lui ressemble guère. Dans un monde étrangement multipolaire, où la doctrine la mieux partagée est celle du real politik, combien d’Etats contemporains ont été catalogués de rock states, sachant que ceux qui les dénoncent font peu cas de la légalité internationale.
Au plan interne, les crises multiples qui n’ont cessé de se produire à partir de la grande crise du lendemain de l’indépendance, ont fini par atteindre le génome de l’Etat, dit républicain, comme ont été bouleversés les tréfonds du corps social.
Il s’en libère aussi naturellement une onde d’énergie, qu’il n’y a pas lieu de craindre outre mesure.
Mais le temps court et la clepsydre se vide
Le moral des algériens n’est pas au beau fixe. Leur moral ira encore plus mal lorsqu’il sera question de faire porter par toutes les catégories sociales, jusqu’à la prochaine génération, le passif astronomique de la gabegie et de la mauvaise gouvernance.
Dès les lendemains de l’irréversible journée du 22 février dernier, les algériens qui ont mis en échec le mandat présidentiel de trop, se prennent en pleine figure, un lâcher inouï et massique de révélations choquantes portant sur des affaires invraisemblables de dilapidation des richesses et des deniers publics par les représentants de l’Etat.
Ces infatués d’eux mêmes ont cultivé le terreau de la corruption et ont poussé jusqu’à l’impudence, leur pouvoir « d’intercession » pour faire octroyer ces catastrophiques lignes de crédit à leurs comparses, alors que les fins limiers des pseudo structures de contrôle n’ont jamais osé les ausculter de bien près.
Une Justice qui semble faire peau neuve et une presse qui se réinvente dans l’investigation, font chorus comme jamais, qui, pour signaler la mise en service de la lourde et brinquebalante machine du droit, qui, pour demander démasquer tous ces malfrats qui ont pillé l’Etat et les richesses du pays.
Un vocable révulsant
Désignés très officiellement par le révulsant vocable de « bande », jugez de l’état d’inquiétude et du sentiment d’anxiété des pauvres algériens, qui se réveillent groggy après quatre quinquennats présidentiels aux dégâts non encore entièrement circonscris.
La plupart de ces affaires concoctées dans les entrailles de l’Etat, auraient été étouffées et noyées dans d’incroyables manœuvres dilatoires, remisées ou classées dans les combles humides et vermoulues des palais de justice, alors que ceux qui ont osé les porter, à titre de plaignants, auraient été éconduits, condamnés aux dépens, et réduits au silence. Au titre de la charge judiciaire, les vaillants justiciers quant à eux, auraient été refroidis sous une pluie de sanctions disciplinaires, mutés sans espoir d’en revenir dans l’arrière pays, ou carrément radiés de la fonction publique en proportion de leur insolente rouspétance.
La médiatisation des affaires constitue pour le moment long de l’histoire en cours, un dérivatif à la colère des algériens qui ne se reconnaissent pas dans une justice aux ordres.
Face à la longue inertie de l’appareil juridictionnel, comment ne pas apprécier la « sanction médiatique ».
La justice dérouille entre temps, ses mécanismes entre espoir et scepticisme.
Mais le moral des algériens va mal, et il ira encore plus mal selon de sérieux experts financiers qui dissèquent à vif, le corps financier anémié du pays.
La mesure de monétisation du déficit budgétaire entreprise dans l’opacité produit déjà ses effets pernicieux. L’endettement public continue de gonfler, l’inflation s’emballe et dissout à vue d’œil la faible épargne des ménages et des quelques entreprises.
Cette situation indique qu’il n’y a pas eu de gardes fous pour contrôler le débit de la planche à billets ni en volume ni en durée. Cette situation indique également que l’on a continué à naviguer à vue en l’absence d’instruments qui auraient permis d’impulser un début de relance de l’économie. Que face au désastre, on n’a pas réengagé un sérieux processus de désengagement de l’Etat afin d’assécher le marécage des créances pourries qui gangrènent le Trésor Public.
Le communiqué de presse du FMI du 12 mars 2018 a sonné comme une funeste horloge : « Esto memor », un rappel récurrent à l’issue des missions de consultation de routine de cette instance sentinelle. La mise en garde est on ne peut plus directe et sentencieuse : le « nouveau dosage de politique économique à court terme (a été jugé) risqué ». S’ensuit le déroulé d’un programme indéfini pour une cure drastique.
La négociation qu’il faudra arracher pour maitriser le degré d’administration de la potion, nécessitera un exercice de haute facture, pour une entreprise de haut voltige que ne peut disputer et assumer qu’un pouvoir fort, légitime et légal.