Monsieur Mazri, le Grevisse de Sidi Aich !

« Nos jeunes maîtres étaient beaux comme des hussards noirs. Sévères, sanglés, sérieux et un peu tremblants de leur précoce, de leur soudaine omnipotence ». Pour Charles Péguy, auteur de cette description amoureuse, ces jeunes élèves-maîtres « étaient vraiment les enfants de la République […], ces hussards noirs de la sévérité, ces instituteurs étaient sortis du peuple, fils d’ouvriers, mais surtout de paysans et de petits propriétaires ».
En ces temps d’école fondamentalement indigente, ces soldats du savoir en uniforme civique manquent cruellement à une Algérie qui en a connu beaucoup au lendemain de son Indépendance.
M. Boualem Mazri de Sidi Aich, instituteur à vingt-quatre ans en 1962, en était un. Monsieur, avec un grand M, qui fut mon premier enseignant de français dans le primaire, dans l’algéroise Soustara, est mon premier et mon meilleur maître de la langue de Voltaire. Pédagogue émérite, sévère mais si affectueux.
Profondément passionné par son métier vécu comme une religion. Ce prêtre de l’accord des verbes m’a appris la conjugaison à tous les temps, l’analyse logique et l’écriture correcte sous la dictée. Lorsque j’ai mémorisé au lycée le poème d’Ahmed Chawki, émir des poètes arabes modernes, dédié au maître d’école, j’ai eu alors pour Si Boualem une pieuse pensée. « Qom lil mouâllimi waffihi ettabjila, kada el mouâllimou ann yakouna rassoula « , disait le rhapsode cairote : Lève-toi devant ton maître-enseignant pour lui rendre les insignes honneurs, car il est presque l’égal des Prophètes !
Ce cousin kabyle du grammairien belge Grevisse et du lexicographe et conjugueur français Bescherelle, j’ai fini par retrouver sa trace ultime au cimetière algérois d’El Alia, entre le carré des GI’S US et celui des Chinois. Grâce à sa petite fille Ainas, enseignante et matheuse, par vocation, comme son grand-père !
Fils d’un cheminot, cet enfant de la Soummam correspondait idéalement au portrait-robot de Charles Péguy qui a célébré les valeurs de la noblesse naturelle de l’homme et de son labeur.
Bachelier en maths, le jeune Boualem ne put donc poursuivre des études universitaires, contraint qu’il fut de subvenir aux besoins de sa grande famille. Mieux qu’un simple lot de consolation, ce pédagogue-né trouva vite sa voie naturelle dans l’Education. Ce bibliophage choisit alors d’apprendre le français aux loupiots que nous fûmes, à l’école primaire Ourida Meddad sur le boulevard éponyme, un sublime belvédère à étages face à la Méditerranée.
Pour cet éducateur spontané, qui n’eut pas besoin d’être normalien, il était « normal » d’enseigner. Pour lui, la pédagogie « n’était qu’amour » et l’apprentissage, un « sacerdoce ». Lui qui disait mener son « grand djihad » pour une république de la méritocratie, venait en classe comme il serait entré dans une mosquée : Le corps purifié et l’âme pure. Quelle chance alors pour les centaines de poulbots qui apprirent donc, et dès le cours moyen un, la conjugaison à tous les temps, l’analyse logique, la locution et l’expression ! Et, bonheur additionnel, les délices du participe et la dictée à la manière d’un Pivot toujours intransigeant.
Le grand maître, à l’image des hussards noirs de Péguy, était aussi un sacré sapeur, l’année durant ou presque fringué d’un costume sombre de noble étoffe et d’une cravate sobre sur une chemise blanche immaculée. A ses yeux, l’amour du métier et l’exigence de rigueur commandaient d’être en « uniforme de soldat ». Le maître se voyait donc en djoundi propre sur lui et beau à voir.
Notre précepteur républicain n’était certes pas Coluche dans « l’Instituteur » de Claude Berri, poète qui n’hésitait pas à laisser faire ses élèves ce qu’ils voulaient faire. Mais, à l’instar de cet éducateur libertaire, et même s’il lui arrivait de graver les mots dans les têtes à l’aide d’une férule ou à coup de formules kabyles exprimant le mieux son éruptive colère, il n’était pas pour autant un antipathique « éducastrateur ».
Ses potaches les plus méritants en savent quelque chose, eux qu’il embrassait, parfois ému aux larmes, lorsqu’ils rendaient une parfaite copie ou formulaient leur pensée avec aisance ou subtilité. M. Mazri leur disait à l’occasion que c’était bien, mais que lui « n’exigeait pas le parfait, mais le plus que parfait », de tout temps !
Gloire éternelle à celui qui a rejoint le premier janvier 2004 le royaume de l’orthographe juste et du verbe parfaitement conjugué. Et que la grâce du Seigneur soit rendue au Grevisse du hameau d’Iguer Amar, prophète du subjonctif et amant du gérondif ! Qu’il crève donc, mille fois par jour, au paradis du bonheur de lire !
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