Libye et la vision algérienne
La Libye verra-t-elle le bout du tunnel ? Après une décennie de guerre atlantiste directe et des guerres par procuration opposant différents protagonistes par Libyens interposés, l’accord de cessez-le-feu signé le 23 octobre à Genève est-il le premier pas vers la stabilisation de ce théâtre de conflit qui risque d’enliser toute l’Afrique du Nord ? L’espoir est permis, d’autant que les deux principaux belligérants, le GNA de Tripoli et l’ANL de Benghazi semblent vouloir respecter un cessez-le-feu réclamé, par les citoyens libyens, de tous leurs vœux. Le pays, autrefois prospère, grâce à sa manne pétrolière, se conjugue avec désastre et désolation.
A «effet immédiat», cet accord stipule que, «dans les trois mois», les «unités militaires» et les «groupes armés» devront déserter les lignes de front, et les «mercenaires» et «combattants étrangers» devront «quitter le territoire libyen». Un forum de discussion, la «commission militaire conjointe» est composé de dix officiers représentants à parts égales le GAN et l’ANL, le groupe dit «5+5». C’est-à-dire que les deux parties s’engagent à discuter directement, sans « parrains» ni ingérence étrangère directe. Mieux, «les accords militaires de formation» que chaque partie a conclu avec une partie tiers, «étrangères» doivent être suspendus selon l’accord de Genève. Une allusion à l’accord sécuritaire signé par le GNA avec la Turquie qui a autorisé cette dernière à agir militairement dans le conflit libyen.
Aussi, un Forum du dialogue politique libyen (FDPL) a été mis sur pied. «Le FDPL est un cadre de dialogue politique intra-libyen pleinement inclusif établi par les résultats de la Conférence de Berlin, qui ont été approuvés par les résolutions 2510 (2020) et 2542 (2020) du Conseil de sécurité », rappelle le communiqué de la Mission des Nations unies en Libye (MANUL). Selon la même source, les participants au forum sont issus de différentes circonscriptions basées sur les principes d’inclusion et de juste représentation géographique, ethnique, politique, tribale et sociale. L’objectif global du FDPL est de parvenir à un consensus mettant en place un cadre de gouvernance unifié ayant pour vocation de « restaurer la souveraineté de la Libye et la légitimité démocratique des institutions libyennes », a fait savoir la MANUL.
Selon l’architecture de l’accord, les ingrédients d’une dynamique interne inclusive sont mis en place ce qui implique la participation de toutes les forces et toutes les entités libyennes sans exception. Exit les interférences étrangères. Déjà, le groupe pro-russe Wagner n’est pas présent en Libye, et depuis des mois, selon les analystes de la situation libyennes. Il est en est de même pour tout groupe armé parrainé par l’Egypte ou les Emirats arabes –Unis. Reste la présence des troupes turques et des mercenaires ramenés par la Turquie en Libye pour porter main forte à leur allié, le GNA de Tripoli. Si Ankara refuse d’appliquer les résultats des accords de Berlin, et Erdogan l’a bien signifié à tout le monde en transportant des dizaines de milliers de mercenaires de Syrie vers la Libye, Washington ne l’entend pas du tout de cette oreille.
Les Etats-Unis et la Turquie membres de l’Otan, se sont alliés sur le théâtre libyen pour faire face ce qu’ils appellent « la menace russe » alors que Moscou n’est pourtant pas un protagoniste en Libye. Or, la discorde entre Ankara et Washington est palpable. Quelques heures après la signature de l’accord militaire à Genève, Erdogan a affirmé qu’il n’en tiendrait pas compte. Et son ministre de la Défense a publié les photos des membres des forces de l’Ouest libyen à l’entraînement.
Un geste suivi en Libye d’une déclaration de Salah Eddine al-Namrouche, ministre de la Défense au sein du GNA qui déclare que l’accord de Genève n’empêche pas l’armée turque de former les forces de l’Ouest libyen. Il annonce également que des dizaines de combattants poursuivent leur formation en Turquie en vertu de l’accord militaire signé avec Ankara en 2019.
Or, l’américaine Stéphanie Williams, l’envoyée spéciale de l’ONU, avait annoncé la suspension des entraînements sur le terrain libyen et de tous les accords militaires jusqu’à l’arrivée d’un nouveau gouvernement d’union nationale (GNA).
Toutefois, l’entrée en lice des français et grecs a fait que le jeu atlantiste se complique davantage en Libye. Et quand on sait que l’Egypte, les Emirats arabes unis et l’Arabie Saoudite ne sont pas très loin, l’équation devient quasiment inextricable.
Aujourd’hui, l’urgence est d’aider les Libyens à mettre en œuvre l’accord de Genève, de débarquer toutes les forces étrangères étatiques ou infra-étatiques et de revenir ainsi aux propositions défendues par l’Algérie depuis des années, à savoir un dialogue inter-libyen inclusif, sans interférences étrangères et la primauté de la solution politique sur la solution militaire. Dans cette perspective, la Russie s’inscrit en droite avec la posture algérienne et ambitionne de concourir, selon le ministère des affaires étrangères, avec les libyens au règlement du conflit fratricide qui a poussé à l’exil quelque 300 000 personnes. La Tunisie qui elle aussi en phase avec la position algérienne, du moins officiellement, est accablée par le nombre réfugiés libyens sur ces terres tout en vivant avec la hantise des intrusions terroristes en provenance de son voisin de l’Est.
Les Libyens ne sont pas loin de trouver la solution à leur drame. Il leur appartient de s’émanciper des diktats de parrains très intéressés. Il leur appartient également d’écouter la voix de la raison, une voix que l’Algérie porte depuis le début de leur drame.