Liban : Un luxe …Des ouvriers étrangers.

Il est aujourd’hui indéniable que le Libanais moyen cherche un certain luxe dans son train de vie. Dans son domicile, sur son lieu de travail, ou durant ses sorties, il veut ce qu’il pense être un luxe : être bien servi, ne pas se fatiguer.
Deux employés de nationalités égyptienne et somalienne lavant avec dévouement une Honda à Amchit, pour la modique somme de 6000 livres libanaises soit 4 dollars américains-avant pourboire-(Photo: F.Zakhia)
Ce besoin a engendré une multiplication des emplois d’ouvriers étrangers à faible coût, coût de plus en plus bas avec l’afflux de nouveaux déplacés syriens fuyant la guerre. Cet article se penche sur la main d’œuvre étrangère et sur son impact sur le bien-être des Libanais.
« Aucun pays n’offre ce qu’offre le Liban », lit-on dans des publicités produites au pays. Le Liban, pays des contradictions, est un lieu où la pauvreté cachée côtoie une richesse ostentatoire, où les belles voitures défilent devant les yeux des enfants travailleurs, et où « le taxi vous appelle au lieu que vous l’appeliez ».
C’est l’endroit unique où le mokhtar vous fait livrer votre certificat de résidence avec le livreur de pizza histoire de vous gagner pour le prochain vote.
Mme Josiane Khoury-Abboud, prise dans un trafic intolérable et ne voulant pas rater un rendez-vous professionnel, n’a pas hésité à lâcher sa voiture pour se sauver avec un livreur inconnu sur une mobylette qui l’a emmenée vers le taxi le plus proche (Photo: Josiane Khoury)
Même le narguilé arrive à domicile avec son charbon chauffé, prêt à l’utilisation. Et la liste en est bien longue : les bidons d’eau potable, les bonbonnes de gaz ou le pain. Tout arrive à votre porte sur un simple coup de fil.
Les femmes libanaises embourgeoisées se font désormais accompagner aux supermarchés avec leurs domestiques étrangères et il est presque devenu un must d’afficher dans sa maison au moins une domestique, ou dans son jardin un jardinier
Ce n’est pas seulement cette aspiration au statut de bourgeois dont il est question ici, mais une vraie volonté de vivre le luxe et dans une certaine mesure, la paresse.
Cependant, derrière cette apparence aisée et luxueuse se cache souvent un prolétariat libanais, affaibli par la situation économique dégradée du pays, des personnes endettées qui briguent le statut de bourgeois.
Ce prolétariat libanais se fait servir par un prolétariat étranger. Les travailleurs étrangers à qui on fait appel viennent des pays arabes tels que la Syrie et l’Égypte, mais aussi de l’Inde, du Bangladesh, ou de l’Éthiopie.
Certains viennent par l’intermédiaire de bureaux, à condition d’avoir trouvé un garant. C’est le cas surtout de la main-d’œuvre domestique. À l’inverse du système dans les pays du Golfe où une grande composante des travailleurs étrangers est qualifiée et professionnelle, ce ne sont pas les bureaux qui paient les salaires, mais directement l’employeur.
D’autres, comme les Syriens, se font embaucher sur place. Le nombre estimé d’étrangers au Liban tourne autour d’un million et demi pour les Syriens, et 700 milles pour les réfugiés palestiniens.
Avec les autres ressortissants (Irakiens, Égyptiens, Bangladais, Philippins, etc.) on estime qu’on arrive à la moitié de la population libanaise, et les problèmes qui en découlent sont nombreux : naissance d’enfants non enregistrés, travail clandestin qui fait augmenter le chômage des Libanais (qui tourne autour de 30 %), augmentation du taux de criminalité, cellules terroristes, augmentation du seuil de pauvreté de certaines familles libanaises et étrangères, cas de maltraitance de domestiques « cloîtrées « par la confiscation de leurs passeports, problèmes d’éducation et de santé, réseaux clandestins de prostitution, mariages précoces, etc.
Malgré tout, on a affaire à des hommes et des femmes qui quittent leur pays et viennent assurer un vrai service pour le bien-être, avec un salaire de loin moins élevé que le salaire minimum au Liban.
De l’emploi classique à l’emploi inimaginable !
Faire une promenade à pied dans son village ou même en ville, suppose aujourd’hui de rester très vigilant pour ne pas se faire faucher par les nombreuses motocyclettes qui sillonnent les rues, matin et soir et la journée durant, livrant toutes sortes de produits alimentaires.
Sur un simple coup de fil, un livreur de gaz de nationalité syrienne se pointe à votre porte (Photo: F.Zakhia)
Ce sont eux, ces livreurs étrangers « à faible coût « , qui œuvrent pour le luxe du Libanais en gagnant leur propre pain. Les personnes de nationalité libanaise faisant ce travail sont rarissimes.
On retrouve l’ouvrier étranger aujourd’hui presque partout, aussi bien dans des emplois classiques – comme la construction, l’agriculture, la restauration, la conciergerie, etc. – que dans des emplois qu’on ne peut même pas imaginer.
Dans les boulangeries, ils vous préparent les mana’ishs, les pizzas. Quand vous sortez du supermarché, ils se précipitent pour vous transporter vos courses vers votre voiture garée au parking, d’autres vous pèsent vos fruits et légumes, et tout cela contre un pourboire « abordable « .
Certaines Éthiopiennes ou Philippines qui maîtrisent l’arabe, se voient même embaucher comme vendeuses dans des librairies, ou réceptionnistes, et même – et c’est la surprise – on leur confie des tâches très sérieuses au ministère de l’Éducation, là où selon la loi il faut être libanais depuis plus de dix ans pour pouvoir faire ce genre de missions.
On rapporte en effet avoir vu une dame de nationalité étrangère, en train d’apposer le tampon de la république sur des centaines de diplômes officiels. Et le ministre de l’Éducation d’alors Élias Bou Saab s’en justifie : « il est normal que le ministère fasse appel à des collaborateurs externes « …A-t-on exigé la cote de sécurité nécessaire pour travailler dans les édifices du gouvernement ?
La main d’œuvre étrangère : une arme à double tranchant ?
À propos du logement, quand ces employés n’habitent pas chez le particulier, ils sont souvent confinés dans des chambres qu’ils louent à plusieurs donc vivant dans une promiscuité. Ce sont eux, ces employés étrangers qui font tourner plusieurs business du pays.
Grâce à eux, c’est le succès de l’entreprise. Si certains se lamentent que la main d’œuvre à faible coût enlève les postes à des Libanais et cause un impact négatif sur l’économie, il faut reconnaître que c’est bien cette main d’œuvre qui est recherchée par l’entrepreneur du pays.
Nondita, une employée bangladaise de religion hindoue vit au Liban depuis 9 ans. Elle a développé ses compétences pour qu’en plus du service de ménage, elle prépare les plats libanais les plus délicieux (Photo: F.Zakhia)
Notons que certains de ces expatriés réussissent à ouvrir leur propre business et à avoir leur propre clientèle, même si cela reste illégal.
Une mise en garde s’avère toutefois nécessaire : cette forte implication dans le marché libanais est une arme à double tranchant. Car le jour où ces ouvriers, faisant face à une nouvelle réglementation de travail ou forcés à retourner dans leur pays d’origine une fois la guerre finie, lâcheront leurs emplois subitement et feront effondrer tous ces systèmes dont ils sont des acteurs de base.
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