Les prix de pétrole grippés: Quelle issue de secours ?
Personne n’est plus crédible dans notre pays en termes de trésorerie que le gouverneur de la Banque d’Algérie. Cette fois, c’est Laksaci Mohamed qui n’a pas hésité à lancer un avertissement clair et sans ambages à notre gouvernement.
Au-delà des chiffres que tout le monde connaît, le gouverneur de la Banque d’Algérie affirme que la « capacité de résistance de notre pays face aux chocs pourrait s’éroder rapidement si les prix du baril restent à des niveaux bas pendant une longue période ». Il dira même que nos atouts en termes de réserves de change ne peuvent pas couvrir plus de deux ans et demi d’importations.
Mieux encore, Laksaci a voulu se montrer moins « cru » en termes d’alarmisme, lorsqu’il a noté dans son rapport de conjoncture que notre « économie reste fragile car dépendant uniquement du secteur des hydrocarbures et que celui-ci est en net déclin en dépit des lourds investissements ».
Autrement dit, les fameux amortisseurs dont parle le ministre de l’Energie Youcef Yousfi ne résistent pas à la réalité et à la comptabilité brute. Car, on se souvient, le gouvernement a rapidement pris les devants dès que le monde entier s’est mis à évoquer la chute vertigineuse des cours du brut. Sur les plateaux de la télévision publique, tour à tour, le ministre des Finances et celui de l’Energie ont tenté de rassurer sans convaincre, annonçant que la dégringolade n’est pas un drame et que la baisse de nos recettes n’éliminera jamais les actuels dispositifs d’aide et de soutien aux millions d’algériens.
Ces ministres placés aux avants postes des débats déclarent fièrement que l’Algérie dispose de mécanismes de résistance au choc pétrolier, feignant de dire que cette résistance est vraie uniquement sur le court terme, mais jamais à moyen terme. Comme le fameux FRR (fonds de régulation des recettes) alimenté par les excédents budgétaires liés à nos exportations de pétrole et de gaz, qui fut longtemps brandi comme la parade aux crises, voilà que Laksaci met à nu ses limites, car « sa cagnotte » ne nous sauvera pas si le baril descend encore plus bas.
D’ailleurs, une baisse continue des cours va imposer à nos décideurs une déchirante réévaluation de toute notre politique économique, budgétaire et sociale. D’ailleurs, tous les experts le notent et l’affirment : les cours du brut vont baisser durant toute l’année 2015. Hier à Londres, dont la Bourse est la référence pour notre pétrole, le Brent est tombé sous la barre « psychologique » des 60 dollars, oscillant entre 59,3 et 59,5 dollars le baril.
C’est la première fois en plus de cinq ans que le cours descend aussi bas.
Des experts et autres analystes, comme des intervenants dans les marchés libres, avancent la possibilité d’un baril à 40 dollars, en notant que le ralentissement économique mondial sera encore accentué par la guerre des prix, les divisions au sein des cartels et la perpétuation des tensions géostratégiques dans certaines régions chaudes de la planète.
Seulement, pour le cas algérien, Laksaci n’a pas tout dit, car il n’a ni les prérogatives institutionnelles pour le faire, ni les compétences politiques. Il a beau donner l’alerte, il a bien joué son rôle de « klaxonneur », mais ce n’est pas lui qui allumera les feux de détresse.
Et c’est justement au Premier ministre, pour ne pas dire au président de la République, de le faire et d’assumer les « mauvais jours ». C’est à eux de nous dire le vérité et de nous préparer au pire.
Déjà, en secret, on évoque le gel de beaucoup de projets et de programmes inscrits dans le programme 2014-2019, comme le report de la réalisation de l’autoroute des Haut Plateaux Béchar-Batna, des projets de tramway dans plusieurs villes du pays, le gel des projets d’agrandissement des voies ferrées dans certaines régions, des projets d’aménagement de zones portuaires, car ces projets exigent de forts investissements à long terme et n’ont pas d’impact économique immédiat, comme tous les gigantesques chantiers des travaux publics. Toujours en catimini et dans les salons feutrés, on susurre que ce gouvernement envisage une loi de Finances complémentaire exceptionnelle en 2015 dans laquelle l’Etat va enfin afficher sa prudence.
Certains annoncent une rigueur budgétaire, une limitation des dépenses et du train de vie de l’Etat, une révision de la gratuité de quelques services coûteux, l’abandon de quelques subventions sociales, bref la fin du « tout social » de l’Etat algérien, un modèle de gestion politique depuis l’indépendance qui consiste à donner une partie de la rente pétrolière à toute la société, aux couches pauvres et riches, aux travailleurs comme aux oisifs, au public comme au privé.
Reste à savoir si ce gouvernement a le courage de brandir le drapeau orange ou rouge, s’il est capable encore une fois de créer l’alternative ? En a-t-il les capacités ? A-t-il l’imagination ou l’innovation managériale ? Faut-il recourir à un cabinet exécutif plus politique ou plus consensuel ?