L’énigme des évaporés au Japon
Au japon, des gens disparaissent du jour au lendemain. Un phénomène social d’ampleur bien connu qui demeure, néanmoins, tabou. On parle de 100 000 personnes qui se volatilisent subitement chaque année. Une statistique probablement sous-estimée puisque cela pourrait avoisiner les 200 000 par année selon plusieurs associations. Les chances de retrouver les évaporés sont infimes, ce qui est accentue la douleur des proches.
Grand nombre de Japonais ont compris, que, pour échapper à une situation inextricable, il existe une alternative au suicide : la disparition pure et simple. Beaucoup de personnes n’arrivant plus à assumer économiquement, décident tout simplement de se faire oublier, d’où cette volonté de s’effacer à jamais.
Cette pratique existe depuis le Moyen Age. À l’époque, on appelait le vagabond « l’homme qui va avec le vent ». La figure de l’évaporé a toujours suscité crainte et fascination dans les esprits. Ces personnes fuient car elles ont perdu la face. Pour laver l’honneur de leur famille, elles s’évaporent. Des adolescents ou jeunes en difficulté chez eux, prennent a tangente au grand désespoir de leur parents.
Le Japon a une culture immensément raffinée, l’insécurité y est l’une des plus faibles au monde, et la tranquillité et la confiance aux plus hauts degrés. La société valorise la réussite sociale dès l’école. L’échec est inacceptable, et l’amour-propre y est pour quelque chose. La force de caractère se révèle dans l’obéissance aux règles et non dans l’insoumission.
La société nippone est connue pour sa culture et son soft power (puissance douce), mais est aussi, en réalité, très repliée sur elle-même. En dehors du cadre professionnel, il peut être difficile de faire des rencontres. Conservateurs, les Japonais ont la réputation d’être hermétiques aux interactions sociales. Une pression sociale aussi forte peut en partie expliquer l’émergence de ce phénomène des « johatsus », autrement dit, « les évaporés ».
Loin des tours ou des temples, il existe des lieux vers lesquels les évaporés sont comme attirés. Un homme qui part une corde à la main dans la forêt profonde dans le but de mettre fin à sa vie, mais ne se suicidera pas car sauvé par un mystérieux homme qui le nourrira en le remettant sur les rails de la vie. Il y a aussi les bains dans lesquels les évaporés viennent tenter de se vider l’esprit, de se muer en vapeur, de disparaître aux yeux du monde. Et puis il y a ces quartiers qu’on ne trouve pas sur les cartes : Sanya est un ghetto de Tokyo pour les destins cabossés. Jeunes et vieux s’y mêlent, tentant d’oublier leur passé tortueux dans l’alcool ou le travail journalier stressant, mal payé, ou simplement la misère morale aux multiples couleurs.
À Osaka, le quartier s’appelle Kamagasaki, c’est le refuge des amputés de la mémoire, des anonymes en bout de course. Les solitudes se mêlent. Pour les plus désespérés, ceux qui veulent en finir, il y a les falaises de Tojimbo. Les touristes viennent admirer le paysage à couper le souffle, et cherchent parfois s’il n’y aurait pas un corps en contrebas.
Heureusement de bonnes âmes déambulent à la recherche de vies à sauver, de femmes et d’hommes à accompagner dans leur reconstruction. Au cours de ce voyage, on découvrira aussi Toyota City, qui avec la crise, n’est plus l’Eldorado promis et laisse sur le carreau des chômeurs qui parfois s’évaporent dans les rues de cette ville idéale. Il y également cette étrange école de redressement des cadres que l’on croirait sortie d’un mauvais film, pourtant bien réelle ! Et ce dicton japonais hante le lecteur : « Il faut taper sur la tête du clou qui dépasse. »
Certains sont tourmentés par les dettes, d’autres cherchent à préserver leur honneur ou celui de leur famille, ou encore à éviter un mariage difficile… Au Japon, personne n’en parle. C’est l’omerta. Et c’est contrevenir aux règles de parler d’un sujet qualifiée de tabou. Tout comme le suicide, ceux qui sont encore présents pour en parler se taisent. On considère qu’une personne qui fuit au Japon n’a pas rendu honneur à la société. La famille de l’évaporé vit donc la fuite comme une honte. La notion d’honneur est primordiale au Japon, inscrite dans les normes sociales et culturelles du pays. Un Japonais fera alors tout pour garder la face et ne pas salir le nom de sa famille. Tous les moyens sont bons pour garder l’honneur sauf, notamment, le fait de disparaître.
Cela semble plus facile de disparaître que de réapparaître… Bien souvent, les familles ne recherchent pas les évaporés. Tout ce que ces dernières peuvent faire, c’est de payer très cher un détective privé. Ou juste attendre, voire oublier. Des familles engagent des détective privés qui pistent le fugueur dans les hôtels bon marché, à travers les compagnies de téléphone ou les banques pour retracer leurs appels ou les retraites d’argent pou paiement par carte. Rares sont ceux qui arrivent à des résultats car parfois l’évaporé laisse derrière lui sa carte bancaire et son téléphone. Il recommence tout à zéro.
Ce qui est encore plus surprenant au Japon est que des manuels de disparition sont vendus pignons sure rue, destinés selon les maisons d’édition à encourager la fuite au lieu du suicide pour les personnes ayant des difficultés à résister au mode de vie nippon.
Les familles dont l’un des membres a pris la fuite tentent avec plus ou moins de succès de poursuivre leur vie. Certaines femmes se remarient, fondent une nouvelle famille et trouvent le bonheur. D’autres au bout de sept ans, lassés d’attendre, déclarent le disparu mort comme le permet la loi, puis tentent d’avancer. Mais pour certains, tourner la page est très difficile.