L’écrivain Mahdi Boukhalfa au Jeune Indépendant : «Le hirak a mis fin aux mandats à répétition» – Le Jeune Indépendant
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Nationale

L’écrivain Mahdi Boukhalfa au Jeune Indépendant : «Le hirak a mis fin aux mandats à répétition»

L’écrivain Mahdi Boukhalfa au Jeune Indépendant : «Le hirak a mis fin aux mandats à répétition»

L’auteur et ancien journaliste de l’agence APS, Mahdi Boukhalfa, livre dans cet entretien au Jeune Indépendant, les raisons l’ayan motivé à écrire deux livres sur le hirak, ce mouvement populaire qui a commencé le 22 février 2019 et qui a conduit à la chute du régime du président Abdelaziz Bouteflika.

A l’occasion de la célébration de la troisième année de sursaut populaire, consacré journée nationale par la Constitution du 1e Novembre 2020, M. Boukhalfa évoque aussi sa perception de ce mouvement politico-social pacifique et inédit, de la dimension qui était la sienne servant, au demeurant, de matière pour les chercheurs et les universitaires.

Boukhalfa est l’auteur de « La révolution du 22 février, de la contestation à la chute des Bouteflika » et de « Sociologie d’une révolution inachevée’’ (Les raisons de la colère) ».

Le Jeune Indépendant : Qu’est ce qui a motivé l’écriture d’un livre sur le Hirak alors qu’il se poursuivait lors de sa sortie chez les libraires, s’agit-il d’un besoin de marquer l’histoire?

Mahdi Boukhalfa : Le Hirak, était un mouvement social spontané (que seules des études sociologiques sérieuses pourront le prouver ou l’infirmer), une formidable revendication populaire pour un changement radical dans le mode de gouvernance du pays. Et, surtout, un rejet massif des algériens d’un 5eme mandat ; cela aurait été un mandat de ‘’la Honte ’’, que briguait le président Bouteflika, si ce n’était pas une autre fourberie du clan’’, au sens spécifique que donnait le défunt Gaïd Salah à cette expression. Et donc les algériens sont sortis dénoncer cette volobnté du pouvoir de prolonger ‘’à vie’’ la présidence Bouteflika, sinon la main mise du clan sur les affaires du pays.

L’expression ‘’ Y en a marre de ce pouvoir’’, scandée dés les premières minutes du Hirak, dés les manifestations de Chlef, Bordj Bou Arreridj, Jijel et Kherrata, bien avant le 22 février, résume à elle seule tout le rejet social et politique d’une non gestion du pays, durant 20 ans, par Bouteflika. Ce magnifique mouvement populaire, policé, urbain, dans la joie et le sourire pour faire barrage pacifiquement à un 5eme mandat que briguait le défunt président Bouteflika, a été quelque chose d’extraordinaire, un lumineux instant figé dans le temps dans une Algérie où toutes contestation, toute manifestation contre le pouvoir était interdite, voire empêchée par la ‘’force publique’’.

L’intervention salutaire de l’ANP dans ce débat extrêmement civilisé pour le refus du mandat de trop a donné encore plus de consistance et de perspectives sociologiques et politiques à un mouvement social, le Hirak, inédit en Algérie. Lors du Printemps arabe, l’Algérie a été épargnée par une révolte de la rue arabe contre ses dictateurs, un changement politique brusque et violent dictée par la rue, mais surtout des ‘’agendas stratégiques étrangers’’. Grâce à Dieu l’Algérie en a été épargnée. Cela ne voulait pas dire que les algériens ne pouvaient pas rester insensibles, encore moins perméables à une la fourberie politique de trop.

Nous ne sommes pas ‘’une république bananière’’, et la rue, appuyée par son ANP a dit non à une mascarade politique qui se tramait sur le dos des Algériens. Personnellement, à ce moment là, dès les premiers moments du Hirak, j’ai été surtout un témoin des premiers jours de manifestations populaires à Alger, Place Maurice Audin et rue Didouche Mourad, des fleuves de manifestants qui convergeaient vers la Grande Poste, en passant par les grandes artères du centre d’Alger. Ayant rejoint après avoir pris ma retraite de l’APS deux sites électroniques, dont les sièges étaient juste en face de cette emblématique place Audin, j’ai été le témoin des premières apparitions de manifestants anti-5eme mandat, avec leurs chants, leurs slogans et leurs dégaine désinvolte, portant fièrement l’emblème de la Patrie, qui coloraient chaque jour un peu plus les mornes avenues algéroises.

C’était la joie du Hirak, celle des algériens qui se retrouvaient chaque jour dans une folle ambiance pour dit ‘’Non’’ au 5eme mandat. Non, ce n’était pas ‘’mai 68’’ avec ces milliers d’étudiants en colère qui ont fini par avoir la sympathie des manifestants et organisé leur propre journée de ‘’manifs’’, mais seulement une réaction, à la limite épidermique des Algériens contre tous les aspects politiques, sociaux et en matière de respect des droits humains et de la liberté d’expression négatifs que représentaient les mandats présidentiels de Bouteflika. 

LJI : En lisant le livre, on constate que l’approche journalistique a dominé l’analyse politique et sociologique, est- ce que c’était un choix?

Absolument ! J’ai travaillé l’ouvrage sur la base d’une ligne éditoriale simple : rapporter tous les événements marquants se rapportant aux manifestations du Hirak entre le 22 février et le 5 avril 2019.  Avec une périodicité également simple : un carnet quotidien était tenu pour consigner ces événements, et surtout les déclarations de chefs de partis politiques, de membres de la société civile, les slogans des manifestants… C’était comme si on faisait un reportage, selon les bonnes vieilles méthodes journalistiques. D’ailleurs, dans ma préface j’avertis le lecteur sur cet aspect éditorial de mon livre, car j’ai plutôt sacrifié l’histoire complète du Hirak en attendant bien confortablement installé devant mon téléviseur la fin du mouvement et ses retombées politico-sociales, et économiques, en optant pour celle, plus vivante, qui consiste à cerner un moment dans la trajectoire en continue de ces manifestations populaires, et le livrer, sous forme d’ouvrage, à l’opinion publique, aux lecteurs.


LJI : Vous qui êtes sociologue de formation, qu’est ce qui a pu, selon vous, donner lieu à cette inattendue sortie en masse pendant des semaines des algériens à travers tout le pays?

Je pense, et les études qui devront être faites ou qui sont en cours sur le sujet le confirmeront, c’est bien le ras-le-bol général dans le pays quant à la gestion et la dictature politique des partis du pouvoir, du clan présidentiel, qui a fait sortir les algériens dans la rue et revendiquer pacifiquement une vraie alternance au pouvoir, la fin des mandats à répétition de Bouteflika. Voici un passage de mon livre qui résume les conditions sociologiques qui ont donné naissance au Hirak : ‘’ Le vendredi 15 février, à BBA comme à Jijel, puis le lendemain à Kherrata, les manifestants ont exprimé et porté dans la rue le malaise profond qui étouffe les jeunes Algériens. 

A une crise sociale profonde, dont le chômage, le sous emploi, la crise du logement, l’inflation, la précarité sociale ambiante dans ces villes et villages livrées au népotisme, il y a surtout l’injustice sociale, la « Hogra ». « Hogra » dans la distribution de logements, dans les offres d’emploi, devant l’administration pour l’obtention de documents administratifs pour la constitution de demandes d’emploi pour l’AnemANEM Agence nationale de l’Emploi ou l’Ansej, il y a également la « Hogra » devant l’école avec des résultats parfois en fonction du statut social et professionnel des parents. « La Hogra » devant un système de Santé anachronique, lui-même « malade », lorsque les hôpitaux ne soignent que les « riches » et les poches de la « nomenklatura », et que le reste des Algériens peut mourir, faute d’un lit d’hôpital, d’une prise en charge à temps. 

LJI : Beaucoup ont écrit sur le hirak, est-ce que, selon vous, il y a encore de la matière à puiser dans cet événement exceptionnel dans l’histoire de l’Algérie post-indépendance?

Oui, bien sûr. On n’écrira jamais assez sur cet élan populaire, qui n’a pas été enregistré depuis les premiers jours de l’Indépendance nationale, si l’on met entre parenthèses ‘’les événements du 5 octobre 1988’’. Moi, personnellement, j’ai écrit deux ouvrages sur ce phénomène politique et social qui n’a pas encore révélé tous ses impacts autant politiques que sociologiques sur la société algérienne ; l’un sur les premiers moments du Hirak, le second, à paraître prochainement chez les Editions El Qobya, sur les raisons profondes qui ont fait que les algériens se dressent tous, comme un seul homme, contre la volonté du clan présidentiel d’imposer aux algériens, dont l’âge moyen oscille entre 25 et 35 ans, un homme malade, grabataire, qui aurait mérité, au vu de son statut de Moudjahid, d’homme politique qui a tant donné au pays au temps du président Houari Boumediene, et rehaussé l’aura de l’Algérie dans le monde, une sortie honorable, un autre destin que celui dont lequel il est parti.

Dommage, car le président Bouteflika a beaucoup fait pour les algériens, le pays, son histoire. Qu’il repose en paix. Allah Yerehmou ou Yerham Echouhada. Sur bien des aspects, le Hirak a incontestablement marqué un tournant dans la vie politique en Algérie. Ses conséquences, bonnes et mauvaises, attendues ou non, sont en train de forger une autre Algérie. Une autre mentalité politique dans cette Algérie post-Bouteflika, qui a dirigé le pays, sinon régné, il ne faut pas l’oublier, presque un quart de siècle sur l’Algérie.

Tous les ouvrages écrits sur cette dimension temporelle de l’Algérie hirakienne ne seront pas de trop pour exorciser cette terrible mentalité de l’algérien lambda, le défaitisme, qui le fait désespérer de son incapacité à provoquer lui-même le changement en faisant son devoir de citoyen, en se demandant ce qu’il peut faire pour son pays et ne pas attendre ce que peut faire pour lui son pays…Et ne pas attendre ce changement adossé aux murs de ses fuites en avant, comme on attend que la pluie vienne nous purifier, nous laver de nos lâchetés politiques. 

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