Le Pr Mohand Berkouk au Jeune Indépendant : «Une nouvelle logique de coopération solidaire arabe est nécessaire»
Au cours des travaux du Forum intergénérationnel pour le soutien à l’action arabe commune, l’analyste politique et spécialiste des questions géopolitiques, le Pr Mohand Berkouk a insisté sur l’impératif de sceller les stabilités systémiques internes du monde arabe en développant une nouvelle logique de coopération solidaire, et ce afin d’éviter la confrontation stratégique avec les puissances occidentales dans cette zone.
Dans une déclaration accordée au Jeune Indépendant, en marge des travaux dudit Forum tenu à Oran, le Pr Berkouk s’est basé, dans son analyse de la situation mondiale et ses répercussions sur le monde arabe, sur les différents rapports et comptes-rendus émis par les pays occidentaux et les pays émergents.
Dans cette analyse, il précise que le monde vit des mutations profondes liées aux bouleversements que connaissent les relations internationales à l’aune de ce qui s’apparente à une refondation du système mondial qu’« on ne sait plus définir, bipolaire, unipolaire ou multipolaire, avec une compétition stratégique de plus en plus ardue, pernicieuse mais visible », affirme-t-il .
« Une lutte internationale qui n’épargne pas les pays arabes. Ces derniers souffrent d’une campagne de dénigrement et sont ainsi devenus l’une des cibles favorites des luttes d’influence entre les Etats puissants ». Il cite les Etats-Unis, puissance mondiale actuelle, comme premier exemple. Ces derniers voient la région arabe comme un couloir à la fois stratégique et énergétique, formulé dans ce qui est appelé « la boussole stratégique » qui définit la politique étrangère de Washington. « Cette boussole stratégique, dans son orientation de mars 2022, détermine le rôle à jouer des Etats-Unis, son déploiement à l’extérieur, notamment dans notre région », détaille le professeur.
Dans le même contexte, Mohand Berkouk cite le quatrième concept stratégique de l’OTAN de juin 2022, notamment le point onze qui stipule, selon lui, que « notre région du monde arabe ainsi que le Sahel sont définis comme étant une source qui sème des menaces ». Quant à la vision chinoise, la même le Pr Berkouk précise qu’elle définit le monde arabe comme étant non seulement une zone à « intérêt économique mais aussi une zone d’intérêt stratégique potentielle et prospective ». M. Berkouk cite au passage la vision russe ainsi que sa stratégie navale et sa dimension sur la mer méridienne, qu’il juge « importante ».
Du coup, l’analyste géopolitique affirme et insiste sur l’impératif de sceller les stabilités systémiques internes du monde arabe à travers la création d’une sécurité collective, laquelle ne peut être réalisée que si cinq conditions sont réunies. La première, dit-il, exige le retour à la notion de souveraineté et le retour des Etats ainsi que la non-ingérence dans nos affaires. La deuxième, ajoute le professeur, est la consultation de l’indépendance décisionnelle de ces Etats.
La troisième est le recentrage de la question palestinienne car « c’est une question qui réunit les efforts des pays arabes », précise-t-il. La quatrième c’est la refonte de la logique de la Ligue arabe afin qu’elle soit plus démocratique mais surtout plus performante en matière de développement de nouvelles initiatives de coopération multilatérale. Enfin, la cinquième condition c’est donner à cette Ligue arabe la capacité de fédérer les efforts dans un schéma non concurrentiel, un schéma de dialogue dans les relations internationales.
Pour le Pr Berkouk, qui insiste sur les cinq conditions citées précédemment, faillir à la réalisation de ces objectifs rendra difficile tout effort de travail arabe commun. « Si l’on n’arrive pas à réunir ces conditions, il est difficile de s’imaginer que notre région du monde arabe puisse émerger, notamment aujourd’hui alors qu’il y a plus de conflits internes, à l’instar de la Lybie, de la Syrie et du Yémen, ou encore dans les autres pays de plus en plus fragiles, à l’image de l’Irak, du Liban et de la Tunisie, surtout avec la normalisation des relations de certains pays arabes avec l’entité sioniste aux dépens de la question palestinienne au niveau de la Ligue arabe », a-t-il averti.
Reconstruire la conscience collective civique arabe
Pour ce qui est du Forum intergénérationnel pour le soutien du travail à l’action arabe commune, M. Berkouk a estimé que cette rencontre est une reconstruction de la conscience collective civique arabe. Dans ce cadre, il a affirmé qu’il est nécessaire que la société civile soit une force de proposition mais aussi une force de mobilisation pour accompagner les Etats vers plus de démocratisation, de développement et plus de transparence dans le cadre interarabe, en sus d’impulser une dynamique sérieuse dans les réformes et interactions. M. Berkouk a ajouté qu’il faut surtout créer plus de centres intérêt communs.
« Cette rencontre, organisée par l’Observatoire national de la société civile, regroupe un bon nombre de personnalités et d’académiciens des pays arabes. Elle vise à créer une conscience collective par rapport aux mutations arabes mais aussi par rapport aux besoins de développer de nouveaux consensus opératoires.
Quant à cette notion de solidarité, il s’agit d’établir un destin commun pour ces peuples et ces pays », a-t-il dit. Il a ajouté que la dimension populaire de l’action arabe est mise en avant dans le programme des différents ateliers. « Cette action populaire est basée principalement sur la maturation des sociétés civiles, non pas seulement des organisations et associations. Il s’agit d’établir une certaine vision structurelle de cette société civile par rapport aux besoins de stabilité interne des pays et par rapport aux schémas coopératifs des sociétés civiles quant aux défis auxquels sont confrontés ces pays », conclut le Pr Mohand Berkouk.