Le Monde épingle Macron sur l’immigration
« Le jeu dangereux d’Émmanuel Macron ». Le quotidien Le Monde n’a pas lésiné sur la charge et la férocité des mots pour commenter la responsabilité du chef de l’État français dans le dernier épisode de la très controversée loi sur l’immigration.
Au lendemain de la censure par le Conseil constitutionnel de pas moins de 40% des dispositions de la loi portée par l’Exécutif, le quotidien du soir a battu le rappel de son éditorialiste qui ne s’est pas fait prier d’épingler l’Élysée d’emblée et dans un titre pour le moins accrocheur.
« On ne joue pas impunément avec la législation sur l’immigration, sujet au cœur des controverses publiques et des stratégies de conquête du pouvoir. Pour avoir ignoré cette vérité d’évidence en faisant voter coûte que coûte une loi dont 40 % des articles viennent d’être déclarés inconstitutionnels, le président de la République rend un bien mauvais service à l’Etat de droit en France, valeur suprême de la démocratie ».
Plume trempée dans une encre vitriolée, l’éditorialiste du jour n’a pas accordé à Emmanuel Macron la moindre circonstance atténuante.
Au contraire, la teneur de son commentaire a pris l’allure d’un procès. «En faisant passer l’exigence d’un accord avec la droite sur le projet de loi Darmanin avant l’exemplarité constitutionnelle attachée à sa fonction », le président de la république « a transformé le nécessaire débat sur l’immigration en une partie de billard politique de court terme aux lendemains inquiétants ».
Pour une loi qui cristallise le débat politique depuis une bonne trentaine d’années, la censure du texte à hauteur de 40% est un rappel à l’ordre constitutionnel énorme. Observation qui n’a pas échappé au égard des analystes, les Sages ont épargné l’essentiel des dispositions figurant dans le projet de loi initial présenté, au nom du gouvernement, par le ministre de l’Intérieur.
Exemples : la fin de certaines protections et possibilités de recours contre les éloignements forcés d’étrangers, l’instauration « controversée » du juge unique pour statuer en dernier ressort sur les demandes d’asile.
« En apparence, bien sûr, l’exécutif peut crier victoire, note l’éditorialiste. Mais la reconnaissance du caractère non constitutionnel de presque toutes les mesures introduites par les élus de droite Les Républicains (LR) et adoptées par la majorité présidentielle reflète au minimum, chez cette dernière, le cynisme politique et l’indifférence aux règles parlementaires.
Au pire, elle traduit le mépris pour des principes républicains de base comme le droit du sol – remis en cause dans le texte voté –, et l’égalité devant la loi – malmenée pour le bénéfice de prestations sociales ».
Vu de la fenêtre éditoriale du Monde, l’examen constitutionnel auquel a été soumise la loi quelques semaines seulement après son adoption a sonné le glas d’un calcul politique chez un large spectre du paysage politique, de l’Elysée/Matignon jusqu’aux rangs de l’Assemblée nationale.
Telle est la conviction de l’éditorialiste : « En réalité, ni l’exécutif, qui s’est servi du Conseil constitutionnel pour tenter de faire oublier le vote de ses élus avec l’extrême droite et jeter en pâture les élus LR, ni ces derniers, qui ont perdu leur âme – et presque rien apporté au texte final – en reprenant des mesures inspirées par l’extrême droite comme la + préférence nationale +, ne sortent indemnes du terrible et vain + crash-test + de la loi sur l’immigration.
Pas plus que la gauche, dont le refus de débattre, manifesté par son vote de la motion de rejet à l’unisson de Marine Le Pen, traduit les ambiguïtés et la panne d’idées ».
Une loi « brouillonne », une majorité « abîmée après des mois de controverses sur les thèmes de prédilection de l’extrême droite », des juges constitutionnels « qui ont limité les dégâts mais sont désormais en position de boucs émissaires ». Tel est, aux yeux de l’éditorialiste, le « si piètre bilan » de l’épisode de cette trentième version de la loi sur l’immigration.
Et l’éditorialiste de s’interroger non avec une certaine inquiétude : « Qui peut se réjouir d’un si piètre bilan, mis à part la cheffe du Rassemblement national, qui rêve de monter + le peuple + contre + les juges + et de faire sauter les garde-fous constitutionnels et européens pour légaliser la discrimination et la xénophobie, défigurer la République et discréditer l’image de la France ? ».
A la veille de la campagne des élections européennes, prévues en juin, « le petit jeu du chef de l’Etat sur l’immigration apparaît comme un gros cadeau aux forces qui spéculent sur l’affaiblissement de l’Etat de droit, le discrédit des institutions et la défiance à l’encontre des politiques ».