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Nationale

Le livre qui continue de déranger dix-ans après sa publication

Le livre qui continue de déranger dix-ans après sa publication

Prompts à donner écho aux nouvelles qui rythment l’activité du secteur de l’édition, les chroniqueurs livresques et les magazines spécialisés n’en ont pas du tout fait état. C’est par « ActuaLitté », magazine littéraire en ligne, que le grand public l’a appris, attiré par un titre à la déclinaison très accrocheuse : ‘’Fayard éclipse en catimini un de ses ouvrages sur la Palestine’’.

Jusqu’à la semaine dernière, des quotidiens généralistes aux chaînes télé en passant par les sites à l’affiche, aucun grand média ne s’est emparé d’une information en résonance avec l’actualité et digne d’être soumise à vérification. C’est la maison d’édition elle-même qui a confirmé le fait non pas par une communication classique — communiqué de presse — mais au moyen d’une annonce pour le moins laconique sur son site officiel : « Ce livre n’est plus disponible à la vente ».

L’annonce de « Fayard » pose plus de questions qu’elle n’apporte de réponse. Pour quelle raison la vielle maison d’édition française a-t-elle décidé à actualiser son site et annoncer que « Le nettoyage ethnique de la Palestine » — c’est de lui qu’il s’agit — n’est ’’plus disponible à la vente’’. Aucune explication n’est donnée à ce sujet. En revanche, la FNAC — premier réseau de diffusion de livres en France, y compris des titres publiés voici des années — ne donne pas écho à l’annonce de « Fayard ». Sur le site officiel du distributeur des produits culturels, tout se passe comme si « Le nettoyage ethnique de la Palestine » est toujours disponible à la vente dans les magasins en via une commande en ligne.

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Ce titre est un livre qui date. Sorti en France en février 2008, c’est la traduction française de « The Ethnic cleansing of Palestine », la version originale publiée deux ans plus tôt chez Oneworld Publications, un éditeur britannique indépendant. Son auteur, Ilan Pappé, fait partie des ‘’nouveaux historiens’’ israéliens, un groupe d’universitaires et de chercheurs qui, depuis le milieu des années 1980, s’emploient à remettre en question ‘’plusieurs des fondements sur lesquels s’est édifié l’État d’Israël’’, selon « Annales », la revue francophone d’histoire la plus diffusée dans le monde et référence en la matière.

Composée d’universitaires et de chercheurs à pied d’œuvre dans les universités israéliennes, la communauté des ‘’nouveaux historiens’’ a produit énormément de travaux documentés qui ont ‘’ébranlé’’ le récit historique porté par le gouvernement israélien et ses appareils idéologiques. Outre l’auteur du livre retiré de la vente par les éditions Fayard, le groupe des ‘’nouveaux historiens’’ compte dans ses rangs Benny Morris, Simha Flapan, l’israélo-britannique Avi Shlaim, Tom Segev et Shlomo Sand, auteur que Le Jeune Indépendant avait interviewé en 2004 à l’occasion de la sortie, chez Le Seuil (Paris), de « Le XXe siècle à l’écran », son livre qui traite du rapport du cinéma à l’histoire avec un focus très appuyé sur « La Bataille d’Alger » de l’italien Gillo Pontecorvo.

Livre vieux de dix-sept ans pour la version originale et quinze ans pour la traduction française, « Le nettoyage ethnique de la Palestine » a rebondi dans l’actualité, poussé en cela par la énième guerre qui frappe Gaza. Au fil des jours et sur fond d’alignement des médias occidentaux sur les vues d’Israël, « Le nettoyage ethnique de la Palestine » s’offrait à la lecture via des groupes WhatsApp et sur les réseaux sociaux.

Le PDF du manuscrit émargeait au rang des lectures les plus partagées. Ilan Pappé était loin de s’attendre à un rebondissement irrésistible de son livre. Depuis 2008, date de la sortie de la traduction française chez Fayard, pas moins de huit nouveaux livres ont été signés par l’auteur dont deux s’inscrivent dans le travail des ‘’nouveaux historiens’’ israéliens : « La Propagande d’Israël » et « Les dix légendes structurantes d’Israël », traduits de l’anglais.

En 2008, à l’heure de la sortie, dans les librairies hexagonales de la traduction française de « The Ethnic cleansing of Palestine », les éditions Fayard n’avaient pas hésité à faire valoir à grand trait le profil de l’auteur. La plus vielle maison d’édition française spécialisée dans l’histoire avait mis à profit la très exposée quatrième de couverture pour attirer les yeux du lectorat sur cet auteur né à Hefa sept jours après le déclenchement de la guerre d’indépendance algérienne.

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Ilan Pappe

‘’Ilan Pappe est l’un des + nouveaux historiens + israéliens, connu pour sa critique des politiques d’Israël à l’égard des Palestiniens’’, précisait Fayard sur la quatrième de couverture. Et la maison d’édition de signaler, parmi la bibliographie de l’auteur, deux de ses titres traduites en France et disponibles dans les librairies hexagonales : « La Guerre de 1948 en Palestine. Aux origines du conflit israélo-arabe » (La Fabrique, 2000), et « Une terre pour deux peuples. Histoire de la Palestine moderne » (Fayard, 2004).

Si ce livre ‘’n’est plus disponible à la vente’’, son résumé était encore consultable en ligne hier soir sur le site officiel de l’éditeur. C’est ce résumé qui a été consigné par la maison d’édition sur la quatrième de couverture dans le but de capter le regard du lecteur et donner à lire. ‘’A la fin de 1947, y lit-on, la Palestine compte près de 2 millions d’habitants : un tiers de Juifs, deux tiers d’Arabes. La résolution 181 des Nations unies décide sa partition en deux Etats : l’un doit être presque exclusivement peuplé d’Arabes ; dans l’autre, les Juifs seraient légèrement majoritaires. Un an plus tard, c’est un Etat à très forte majorité juive, Israël, qui occupe 78 % de la Palestine. Plus de 500 villages ont été rasés, de nombreuses villes ont presque entièrement perdu leur population arabe. Et 800 000 Arabes palestiniens originaires des territoires qui font désormais partie d’Israël peuplent des camps de réfugiés hors de ses frontières’’.

Ce rappel pour restituer le contexte fait, la quatrième de couverture s’est attachée à préciser le champ historique que laboure désormais Ilan Pappé et avec lui ses collègues de la nouvelle école historienne israélienne.

‘’À en croire l’historiographie israélienne traditionnelle, écrit Fayard pour les besoins de la quatrième de couverture, cette situation serait la résultante imprévisible, involontaire, des aléas d’un conflit armé : la + première guerre israélo-arabe +. Mais Ilan Pappe en donne ici une explication bien différente.

A l’aide de documents d’archives, de journaux personnels, de témoignages directs, il reconstitue en détail ce qui s’est vraiment passé à la fin de 1947 et en 1948, ville par ville, village par village. Apparaît alors une entreprise délibérée, systématique, d’expulsion et de destruction : un + nettoyage ethnique de la Palestine +. Et l’éditeur de poursuivre, résumant un pan important du manuscrit : ‘’En quelques mois, forts de leur supériorité militaire, de leur accord secret avec le roi de Jordanie, de la passivité complice des soldats britanniques et de l’impéritie de l’ONU, les dirigeants du mouvement sioniste ont organisé le + transfert +, par la violence et l’intimidation, d’une population arabe plutôt pacifique, sans défense, abandonnée de tous’’.

Le 19 novembre dernier, l’Institut du monde arabe (IMA, Paris) avait invité un historien, le Palestinien Elias Sanbar, un essayiste-journaliste, le Français Dominique Vidal, et un député arabe de la Knesset, Ayman Odeh, à participer à un débat croisé sur l’expulsion des Palestiniens entre 1947 et 1949. Ancien rédacteur en chef du « Monde diplomatique » et auteur d’une moisson de lives sur le conflit du Proche-Orient, Dominique Vidal s y est présenté avec le souci de remettre en perspective un épisode qu’il n’a cessé de labourer.

Fort d’un titre écrit en 1998 en collaboration avec le journaliste et historien israélien Joseph Algazy — « Le péché originel d’Israël : l’expulsion des Palestiniens revisitée par les +nouveaux historiens+ israéliens » (chez l’Atelier) —, Dominique Vidal a préféré évoquer ‘’la voix étouffée des +nouveaux historiens+’’. Sa communication devant un public endimanché a pris l’allure d’une galerie de portraits des ‘’nouveaux historiens’’ au rang desquels l’auteur de « The Ethnic cleansing of Palestine ».

Situant l’auteur par rapport à ces collègues de cette nouvelle école historienne, Dominique Vidal a souligné à grand trait une des facettes qui dessinent son profil. Ilan Pappé, ‘’n’a pas attendu 2004 pour parler d’+épuration ethnique+’’, a fait remarquer l’ancien rédacteur en chef du « Monde diplomatique ».

Ilan Pappé — Vidal le rappelle avec des accents d’insistance — reproche à ses pairs parmi les « nouveaux historiens » de ‘’s’être appuyés exclusivement sur les archives, considérées comme l’expression d’une + vérité absolue +’’. Et Dominique Vidal de sérier dans son intervention — consultable dans la rubrique ‘’blogs’’ de « Mediapart » — les mérites de Ilan Pappé comparativement à ses collègues.

L’usage presque exclusif des archives israéliennes déclassifiées ‘’les a conduits à une appréhension déformée de la réalité. S’ils s’étaient tournés vers l’histoire orale, y compris arabe, ils auraient pu mieux saisir la + planification systématique derrière l’expulsion des Palestiniens en 1948 +’’.

Résumant le livre pour le public de l’IMA, Dominique a en tiré une fiche de lecture qui explique pourquoi, dix-sept ans après sa sortie, « Le nettoyage ethnique de la Palestine » reste un opus non-grata aux yeux du gouvernement israélien. Le récit de Ilan Pappé, résume Dominique Vidal, ‘’s’ouvre sur la + Maison rouge +, cet immeuble Bauhaus de Tel-Aviv servant de QG à la Hagana. Le 10 mars 1948, 11 hommes + apportent la touche finale à un plan de nettoyage ethnique de la Palestine.

Le soir même, des ordres militaires sont diffusés aux unités sur le terrain afin qu’elles préparent l’expulsion systématique des Palestiniens de vaste zones du pays. Ces ordres comprenaient une description détaillée des méthodes à employer pour chasser les gens par la force +. 6 mois après, + plus de la moitié de la population autochtone de la Palestine, soit près de 800 000 personnes, avait été déracinée, 531 villages détruits et onze villes vidées de leurs habitants +’’.

Pour Ilan Pappé cité par Dominique Vidal, ce plan du 10 mars et + sa mise en œuvre systématique dans les mois suivants constituent donc un cas évident d’opération de nettoyage ethnique, lequel est désormais considéré par la loi internationale comme un crime contre l’humanité +. Avant de conclure son intervention, Dominique Vidal n’a pas manqué de rappeler que, lorsqu’il avait écrit ce manuscrit,

Ilan Pappé avait déjà quitté Israël pour le Royaume-Uni et l’Université de Haïfa, où il enseignait depuis plus de vingt-trois ans, pour celle d’Exeter.



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