Le lepénisme, « rejeton idéologique et politique du colonialisme »

Il avait entamé l’année 2023 comme il avait abordé la précédente. Une quotidienneté chargée au rythme effréné de la recherche et des déplacements incessants entre les centres d’archives. Depuis cinq ans et la mi-septembre 2018, en duo avec sa collègue Malika Rahal, Fabrice Riceputi était à pied d’œuvre sur un travail de longue haleine : un excitant projet de recherche sur la disparition forcée, la torture et les exécutions sommaires durant la « bataille d’Alger ».
Voulu par les deux historiens comme un projet d’histoire du ‘’temps présent’’ et un projet d’’’histoire publique’’ sur cette forme de répression coloniale, « Mille autres »est un projet de recherche ‘’fondé sur un appel à témoin’’. Désireux de le mener à bien, Malika Rahal et Fabrice Riceputi avaient lancé « 1000autres.org », un site internet conçu pour collecter les témoignages de proches et de descendants de victimes de la disparition forcée du fait de l’armée française.
Entre travail de terrain dans les quartiers d’Alger à commencer par la Casbah et recherches fouillées dans les archives en France, ils avaient beaucoup avancé dans la collecte de témoignages circonstanciés de proches des disparus. Cela a permis d’identifier un grand nombre de personnes enlevées et, à travers le recueil d’histoires transmises, de ‘’comprendre comment les familles ont patiemment élaboré le récit de cette disparition’’.
Acquis inédit dans le processus de recherche sur la guerre d’indépendance algérienne, les témoignages et les données recueillis ont permis de créditer le savoir académique d’une ’’cartographie de la répression’’. Un précieux document iconographique qui, tel un GPS, dessine les itinéraires de la répression coloniale et précise la localisation des ‘’lieux détention — formels ou informels — dont beaucoup étaient aussi des centres de torture’’.
À l’aube de 2023, F. Riceputi était complément pris par le projet en commun avec M. Rahal. Rien ne semblait le presser à changer de fusil d’épaule et à prendre — momentanément — du recul par rapport à un chantier de recherche pour en ouvrir un autre. Courant février 2023, précisément pour les besoins du projet « Mille autres », il s’était mis ’à l’écoute de « Jean-Marie Le Pen, l’obsession nationale », une série documentaire radiophonique sur France Inter consacrée à la vie de Jean-Marie Le Pen. « Des millions d’auditeurs d’une radio de service public française purent alors entendre son producteur, Philippe Collin, affirmer que + le soldat Le Pen n’a sans doute pas pratiqué la torture en Algérie+, rappelle Fabrice Riceputi dans l’introduction de son livre.
Le propos du producteur, « était déduit plus ou moins logiquement d’une intervention malencontreuse de l’historien Benjamin Stora, qui venait d’affirmer par erreur que Le Pen n’avait pas participé à la « bataille d’Alger».
Fabrice Riceputi transcrit, en annotation, l’intégralité du propos tenu par Benjamin Stora sur l’épisode algérois de dirigeant du Front national : « En fait, Jean-Marie Le Pen, à ma connaissance, quitte l’Algérie au moment où commence la bataille d’Alger. Et c’est surtout pendant la bataille d’Alger, sous la conduite de Robert Lacoste et du général Massu, bien sûr, que va s’organiser la plus terrible des batailles où sera pratiquée la torture en Algérie. Donc, à ce moment-là, à ma connaissance, Jean-Marie Le Pen n’est pas en Algérie. »
« Bien sûr, cette contre-vérité factuelle fut bien vite démentie, relève Fabrice Riceputi. Mais Philippe Collin, loin de corriger le message, s’obstina ensuite à affirmer qu’on n’aurait + pas de preuves + que Le Pen avait torturé ». À ce jour, France Inter n’a pas modifié l’émission, l’a rediffusée à l’été 2023, et « s’est seulement fendue sur son site d’une + note + ne rectifiant en réalité aucunement le propos tenu ».
Du jour au lendemain, Fabrice Riceputi — chercheur associé à l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP) — se détache momentanément du projet « Mille autres » pour s’attaquer à un autre travail. « C’est l’ignorance, l’oubli ou l’occultation ainsi manifestés, spécialement à l’égard des nombreux témoignages de victimes algériennes, à nouveau silenciés comme ils le furent au temps du colonialisme, qui m’ont décidé à écrire ce livre ».
Coédité en janvier dernier par Le Passager clandestin et Mediapart, le livre est sorti le 5 mars dernier à Alger chez Barzakh. Il montre « comment et pourquoi Le Pen, dans les années 1980 et 1990, fut rattrapé par son passé colonial, et comment furent alors connues les pièces, jusqu’ici restées éparses » que je rassemble pour la première fois dans une même publication.
De surcroît, l’opus revisite les témoignages et les documents rassemblés « à la lumière des acquis récents de l’historiographie », en particulier les travaux menés dans le cadre du projet « Mille autres ».
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