Le lait en Algérie, c’est vachement compliqué !
C’est produire un truisme que d’affirmer que le lait est toujours un problème endémique en Algérie. Autrement dit un produit économique stratégique à forte valeur ajoutée sociale. D’où une politique de subvention permanente.
En la matière, la production locale est largement insuffisante en 2021, ce qui favorise encore d’onéreuses importations de lait en poudre et de vaches laitières.
Selon une étude d’une chambre de commerce spécialisée de Bretagne, marché d’exportation par excellence vers l’Algérie, en 2018, notre pays était le troisième importateur de produits laitiers après la Chine et le Mexique. La consommation de produits laitiers était de 120 L/an/hab, la plus forte d’Afrique ! Et au cours de la même année, en termes de valeur, les produits laitiers représentaient 16% des importations alimentaires.
D’autre part, les boissons lactées à base de poudres de lait reconstituées, étaient en tête de la consommation nationale, marché majeur pour la poudre de lait entier et de lait écrémé. L’Algérie a donc importé à la même période 268000 tonnes de poudres de lait entier et 166000 tonnes de poudres de lait écrémé pour répondre aux pénuries de produits laitiers. Pour compléter ce tableau, soulignons que les Algériens consomment beaucoup de produits laitiers qui représentent globalement 6 milliards de litres/an, dont les 2/3 importés !
Et, ce qui n’est pas fait pour arranger les choses, le nombre global de vaches laitières est bien en deçà de la taille du cheptel requis pour répondre aux besoins. Selon le président algérien du Comité national interprofessionnel du lait (Cnil), le pays disposait en 2017 de 200 000 vaches, alors qu’il en faudrait environ un peu plus d’un million pour satisfaire la forte demande. Ce professionnel préconisait comme solutions le renforcement de la production fourragère et les activités liées à la filière, l’instauration d’un système de contrôle de la production et l’importation de vaches laitières pour combler le déficit. Réaliser donc une offre assez suffisante pour répondre à une demande de l’ordre global de 6 milliards de litres/an en 2021, alors que la production locale peine a atteindre le milliard de litres ! Soit un déficit de 5 milliards de litres/an comblé par les importations.
Autre solution proposée, l’instauration de licences d’importation, c’est-à-dire le contingentement du lait. De son point de vue, cette politique serait de nature à obliger les importateurs à investir au pays. L’idée aurait d’ailleurs été soumise à l’époque au ministère de l’Agriculture. Les idées, c’est bien, mais il faudrait voir, dans la réalité, leurs conséquences, notamment en termes de coûts en devises. «Encore une saignée en devises en perspective», comme le disait Aziz Mouats, agronome-chercheur-enseignant à Mostaganem.
Selon sa propre calculette de fin connaisseur de l’agriculture et de l’élevage en Algérie, pour 800 000 vaches laitières, il faudrait au bas mot 800 000 hectares de surfaces fourragères en irrigué ! Et ce n’est pas fini : il faudrait former aussi les techniciens nécessaires à l’encadrement de cette «grande tribu» de bovidés, singulièrement dans la production fourragère et dans la santé animale. Sans oublier «l’incontournable formation à l’insémination artificielle» qui nécessitera un taureau reproducteur pour 40 vaches, soit 20 000 taureaux à importer par-dessus le marché !
On le voit bien, le lait en Algérie, c’est toujours vachement compliqué ! D’autant plus complexe que le lait et ses dérivés constituent des sources de protéines alternatives, et alors même que le prix des viandes bovines et ovines n’a cessé d’augmenter, devenant inaccessible à une grande partie de la population, surtout en ces temps moroses de crise mondiale « covidée » ! On constate alors l’étendue de la complexité quand on observe que la plus grosse partie du lait liquide, des yaourts et des fromages frais ou à pâte molle produits en Algérie sont fabriqués avec de la poudre de lait importée. Sans compter les ferments lactiques et autres présures d’origine animale ou végétale importés eux aussi.
Tout cela chiffre énormément et l’addition doit être appréciée par rapport au fait que l’Algérie est le premier consommateur laitier au Maghreb et d’Afrique en général : environ 6 Mds de litres-équivalent-lait par an, dont 4 Mds de litres sont des produits transformés et presque 2 Mds de litres correspondraient à l’autoconsommation et à l’alimentation des veaux. Au moins 3 Mds de litres sont importés sous forme de poudre, 250 millions sous forme de fromages et 150 millions sous forme de poudres infantiles. Constat banal, la filière lait est fortement dépendante du marché mondial, du fait même de la totale déconnexion de l’industrie laitière de la sphère de production locale. Pis encore, et malgré les efforts de rattrapage ces dernières années, l’Etat a quand même encouragé la consommation au détriment de la production, aidé en cela par un contexte international alors favorable, précisément les faibles prix des produits laitiers.
Pourtant, l’intensification de la production laitière nationale aurait dû constituer depuis le début l’élément de base de la stratégie de l’Etat au niveau de la filière, laquelle aurait requis l’extension des périmètres irrigués et des superficies fourragères. De même qu’un encadrement adéquat des éleveurs par un système de crédit efficient et la formation efficace des techniciens d’encadrement, entre autres mesures nécessaires.
En d’autres mots, pour une politique du lait efficace et rentable, il faudrait que l’Etat en fasse désormais tout un fromage politique pour que l’on ne voie plus les sempiternelles queues dans nos villes pour les sachets en plastique de lait, et pour que le ministre du Commerce ne soit plus affublé du sobriquet péjoratif de « monsieur sachet de lait » !