Le dramaturge Ahmed Rezzag au LJI: « Ce n’est pas le public qui était absent mais plutôt le théâtre »

Dramaturge, metteur en scène et scénographe, Ahmed Rezzag est l’auteur de plusieurs pièces à succès telles que « Torchaqa », « Kechrouda » ou « Et’Tafihoune » qui ne cesse de remplir les salles. Il a su renouer le public avec le 4e art et se faire un nom sur le haut de la liste des plus grands hommes de théâtre en Algérie.
Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant en marge du Festival du théâtre arabe qui s’est déroulé du 18 au 21 février dernier à Sétif, il partage son expérience, la situation du théâtre algérien et sur le secret de son succès.
LJI: Vous avez une formation de scénographe, qu’est ce qui vous a ramené à la mise en scène ?
Ahmed Rezzag: Sincèrement, c’était la période du terrorisme ou durant une dizaine d’année, nous n’avons pas pu travailler au sein des théâtres de l’Etat ou privé. C’était très difficile, mais je ne voulais pas quitter le métier et abandonner, je voulais absolument rester dans ce domaine. Donc, j’ai pris l’initiative de former une petite troupe afin de faire des spectacles. Par manque de moyens, de subventions, et d’espaces de travail à l’époque, il fallait qu’on fasse nous-même la mise en scène, l’écriture, la scénographie, les décors et la construction. C’était un théâtre privé. Au bout d’un moment c’était devenu fatiguant et difficile. Il fallait s’intégrer dans les intuitions de l’Etat pour mieux avancer.
Vos pièces de théâtre ont toutes connues un franc succès, quel est ce secret ?
Le secret est la sincérité et l’amour du travail tout simplement. Quand on fait un travail par amour et par sincérité, on vise en premier le public et une certaine réussite et il faut aussi rester dans les normes. C’est la clé de la réussite pour moi. Je ne vois pas mes pièces comme un succès mais plutôt des réussites certes car nous avons une salle pleine, et c’est cela le but de notre travail.
Justement, vous appelez toujours les mêmes comédiens dans vos représentations, pourquoi ?
Pour moi la réussite d’un spectacle c’est son équipe. La réussite de tous les théâtres dans le monde ce sont les troupes théâtrales, qui travaillent ensemble pendant des dizaines d’années. Si on revient à l’histoire du théâtre algérien par exemple, nous avons la troupe de Alloula, de Kateb Yacine à sidi Bel Abbes, la troupe du TR Constantine, celle du TNA avec Rouiched, dans le monde arabe nous avons la troupe de Dourid El Laham en Syrie, qui a cartonné plus de quinze ans, celle de Adel El Imam qui est resté une longue période, et c’est le cas partout au monde. Ce sont des troupes qui réussissent, donc c’est une équipe.
Gardez les mêmes comédiens, n’est pas un défaut mais au contraire, ces derniers vont se forger ensemble. Mais de temps en temps, on donne une chance à de nouveaux comédiens, ou parce que nous avons besoin d’un certain profil ailleurs. Personnellement, j’aurais souhaité rester toujours avec la même troupe, qui en plus est nationale.
A ce propos, pensez-vous qu’il y a une réelle relève dans le théâtre algérien ?
Oui, c’est impossible qu’il n’y ait pas de relève. Y’en a eu et y’en aura toujours. Aujourd’hui, le problème est dans la formation et dans le pourquoi de la chose. C’est-à-dire, si on forme un tel nombre de comédiens dans un institut et ce pour allonger les ronds des chômeurs ? La politique culturelle en Algérie est inexistante. On essaye d’ouvrir d’autres théâtres, c’est bien, mais est ce que ces derniers sont prêts à accueillir ces comédiens conformes. Même si on les accueille, est-ce qu’ils sont prêts à donner et à monter des spectacles ou à travailler réellement.
Là, nous sommes dans l’activisme, avec une certaine politique de façade, ou il y a plusieurs théâtres mais pas beaucoup de productions. Même si nous avons vingt théâtres et vingt productions, cela reste insuffisant. Car un comédien signe pour ces vingt spectacles durant toute l’année, c’est vraiment minime.
Nous n’avons pas une politique claire, on trouve des justifications par rapport à nos échecs, on se dit qu’il y a une crise de texte par exemple, alors que nous avons des textes des auteurs qui attendent juste d’ être montés.
Pour rebondir, plusieurs pièces produites durant l’année se retrouvent dans un tiroir …
Oui, je n’accuse pas les directeurs ou les responsables de théâtre, car ils ont un certain budget. Même la Ministre de la culture n’est pas responsable de cela. Nous avons un budget de la culture qui diminue chaque année par rapport à celui de l’Etat. Il est aujourd’hui à moins de 50%. C’est dommage que le pays laisse aller sa culture comme cela. Il se concentre sur un certain activisme de façade. Nous sommes en train de perdre les choses de fonds et aussi l’élément de population. Et si on perd la population on perd la culture et le pays c’est dommage.
Il faut une certaine étude très simple. Si j’ouvre un théâtre dans telle région, je dois former des comédiens de telle région, pour les intégrer directement, et cela a besoin d’un certain budget pour un travail d’une année, car le théâtre doit s’ouvrir et être activé durant toute l’année. Le public a démontré qu’il est là. Ce n’est pas le public qui était absent mais plutôt le théâtre.
Le problème aujourd’hui est que beaucoup de gens demandent des théâtres dans leur ville, car ils n’ont pas la possibilité de travailler dans celui d’une autre ville. Par exemple, la wilaya de Tébessa n’a pas son théâtre, les comédiens sont au chômage. Si ce dernier s’appelle un théâtre régional ce n’est pas pour rien et cela est la même chose pour le cinéma ou le livre qui se retrouve sans aucun projet réel mais nous avons seulement des projets d’individus.
A votre avis comment se porte le théâtre algérien aujourd’hui ?
Le théâtre algérien est devenu individuel, les réussites sont individuelles, ce n’est plus un travail collectif ni un mouvement. Avant, nous avons eu de grands noms du 4e art, tels que Kateb Yacine, Medjoubi ou autres, pourquoi aujourd’hui nous ne sommes pas capables de créer un nouveau mouvement théâtral ou des noms de cette nouvelle génération peuvent s’imposer et avoir un certain public qui les suit. Car y a un réel manque de pratique.
Le théâtre algérien est devenu occasionnel. Les pièces sont présentées à certaines dates puis plus rien, on les revoit plus.
Concernant le secteur privé, pourquoi délaisse-t-il l’art ?
Le secteur privé n’existe pas en Algérie. Ils ne veulent pas privatiser le marché de l’art. Ils veulent maintenir le domaine culturel avec la subvention, ou l’artiste dépendra toujours de l’Etat. Certes y’a des troupes indépendantes mais il n’y a pas de troupes privées. Elles peuvent louer des salles, qui restent toujours relevant de l’Etat. C’est là où tu peux censurer. Certaines commissions de lecture sont fausses, ce qui retarde aussi la vraie création, c’est toutes ces commissions qui sont dans le théâtre et on ne responsabilise pas le directeur, alors que normalement on le responsabilise par rapport au projet, qui choisi un porteur de projet et un metteur en scène avec un auteur, et qui prend la responsabilité de ce spectacle.
C’est qu’en Algérie qu’on trouve un directeur d’un théâtre qui est alaise quand un spectacle ne fait aucune rentrée. Il met tant d’argent pour vendre la chose car c’est des théâtres épiques et commerciaux et il ne fait aucune rentrée, ce n’est pas normal.
Justement, que pensez vous du terme commercial dans le théâtre ?
Si on part à Broadway ou dans tous les Opéras du monde, c’est commercial, ils jouent durant toute l’année mais le spectacle peut manquer de qualité artistique. Mais ce dernier rentabilise un certain pourcentage pour garder cette activité. Il y en a en Algérie mais il reste minime, c’est plutôt un théâtre de divertissement, c’est des monologues ou des duos qui ont un certain public qui veut se divertir en famille ou entre amis.
Des projets ?
Je suis sur deux projets. Le premier dépasse la vingtaine de comédiens sur scène, et cela demande des subventions. L’autre sera consacré à l’enfant. J’attends l’aide du ministère, de l’ONCI et du théâtre algérien. Nous avons toujours fait des spectacles pour adulte et cette fois-ci, je me suis dit pourquoi pas se tourner vers le jeune public, pour un spectacle conséquent, quelque chose de grandiose comme le Roi lion. Surtout que nous disposons de beaucoup d’histoire et de contes dans notre patrimoine avec lesquelles on peut monter jusqu’à une centaine de pièces. Cela mérite que le pays se retourne aussi vers l’enfant qui lui aussi mérite comme l’adulte ses centaines de spectacles que nous faisons depuis l’indépendance.