Le constitutionnaliste Betatache au JI : «L’article 317 ouvre la voie aux dérives»
La question de la parité homme –femme dans les listes de candidature semble susciter un capharnaüm. Le constitutionnaliste et enseignant à l’université de Bejaia, Ahmed Betatache, affirme que les concepteurs du code électoral de 2021 n’ont pas tenu en ligne de compte une autre loi organique existante à savoir la loi n° 12-03 fixant les modalités d’élargissement de la représentation des femmes dans assemblées élue. Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, le spécialiste précise que la loi des quotas n’a pas été modifiée ou annulée, ce qui conduit d’une part au maintien de deux lois organiques « contradictoires ». D’autre part, les dispositions de l’Art.317 du nouveau code électoral donnent un large pouvoir discrétionnaire à l’Autorité des élections l’ANIE en lui permettant d’accorder ou pas une dérogation aux listes n’ayant pas pu réunir la condition de parité prévue dans l’Art.191, explique-t-il, mettant en garde ainsi contre d’éventuelles dérives.
Le Jeune Indépendant : Les chiffres annoncés par l’ANIE au sujet des intentions de candidatures par wilaya révèlent un engouement pour le scrutin du 12 juin. Quelle lecture faites-vous de ce constat ?
Ahmed Betatache : L’affluence sur le retrait des formulaires de souscription des signatures n’est pas une nouveauté et se reproduit lors de chaque élection. Aux présidentielles précédentes nous avons déjà assisté à un nombre de 100 candidats ayant retiré les formulaires de parrainage et finalement il n’en restait que 5 candidats. On ne peut pas donner une lecture exacte à ce phénomène, il y a parmi ces candidats ceux qui sont convaincus du processus électoral mis en œuvre par le pouvoir, comme il y a ceux qui sont mus par des intentions opportunistes et lorgnent des postes pour améliorer leur situation socio-économique.
Des partis et des candidats indépendants estiment que la tenue des élections a été décidée dans la précipitation, ce qui ne leur a pas permis de bien cerner les amendements du nouveau code électoral et de préparer en toute aisance ce rendez-vous. Est-ce que cette courte période de préparation ne profite pas plutôt aux partis mieux structurés comme le FLN ou le RND?
Ces élections ont été prévues dans l’agenda du pouvoir depuis les présidentielles précédentes, donc ceux qui ont décidé d’y participer n’ont pas à se plaindre de sa tenue précipitée. Il est aussi inconcevable que celui censé devenir le législateur et légiférer de ne maitrise pas les dispositions contenues dans la nouvelle loi. Par ailleurs, il est tout à fait naturel que cette situation profite non seulement aux partis traditionnels, mais aussi aux listes qui bénéficieront du soutien du pouvoir. Les grands partis sont bien structurés à travers toutes les wilayas, quant aux listes indépendantes proches du pouvoir, elles auront l’administration à leur service.
Des candidats aux législatives évoquent la mainmise de la « chkara » dans la validation des parrainages et pointent du doigt les agents des APC. Quels seraient les mécanismes adéquats pour endiguer de telles pratiques ?
Le phénomène de l’achat des consciences, que ce soit pour la collecte des parrainages ou pour l’achat des voix, est un phénomène transnational et n’est pas une spécificité algérienne. Il existe aussi aux pays où les traditions démocratiques sont bel et bien ancrées et les textes de loi ne peuvent pas l’endiguer. Seule la conscience des citoyens est en mesure de bannir ces pratiques à travers la sanction des corrupteurs par voie des urnes.
Plusieurs candidats ont relevé que cette première étape de collecte des parrainages est encadrée par l’administration locale en l’absence des structures de l’ANIE. Cette situation ne risque-t-elle pas de compromettre la transparence des élections ?
En réalité, l’Autorité indépendante des élections n’a de l’indépendance que le nom. Tous ses membres sont désignés par le président de la République qui est le chef du pouvoir exécutif, donc il n’y a pas de différence entre cette instance et les autres administrations en matière de dépendance. Et c’est pour cette raison que l’Autorité des élections se sert de l’administration dans l’accomplissement de ses fonctions en l’absence des structures de l’ANIE. Concernant la transparence, je ne pense pas qu’il y a une différence aussi entre les deux, elles ne sont pas indépendantes et ne peuvent garantir par conséquent la transparence nécessaire.
Concernant la parité homme –femme dans les listes de candidature, la loi stipule que les candidats qui n’ont pas réuni cette condition peuvent solliciter l’ANIE en vue d’une dérogation. Est-ce que cette disposition ne servirait-elle pas justement à contourner cette condition ?
Les concepteurs de la loi électorale n’ont pas tenu en ligne de compte une autre loi organique. Il s’agit de la loi n° 12-03 fixant les modalités d’élargissement de la représentation des femmes dans assemblées élue promulguée en janvier 2012. Cette loi n’a pas été annulée ni modifiée jusqu’à ce jour et elle définit, avec exactitude, la représentation de la femme que ce soit sur les listes ou en termes de répartition des sièges. La loi électorale ne devrait pas trancher sur cette question tant elle est déjà définie dans la loi 12-03. Résultat : nous sommes devant deux lois organiques contradictoires , cela d’une part, d’autre part, le code électoral n’a pas précisé les conditions objectives permettant à l’Autorité des élections de déroger à la disposition relative à la condition de parité en faveur des listes qui n’ont pas pu réunir cette condition et prononcer leur recevabilité , ce qui est grave et ouvre la voie à des dérives à même d’accorder des dérogations à certaines listes et en priver d’autres. C’est-à-dire que la loi ne limite pas l’ANIE et lui accorde un large pouvoir discrétionnaire.
Entretien effectué par Aziza Mehdid