Le 1er novembre : Un sursaut contre l’indigénat

Que reste-t-il de l’âme du 1er novembre 1954 ? Alors qu’on pensait tous, joyeux écoliers des années de liberté et d’indépendance, que cette date est une victoire militaire, un vrai sursaut contre l’indigénat et une révolte généralisée contre la domination coloniale.
Pour nous, en ces années-là (les glorieuses décennies 1960 et 1970), immatures et insouciants, pétris du patriotisme de nos aïeux et de leur engagement nationaliste, les « évènements de la Toussaint » étaient avant tout une révolution populaire, une victoire militaire, un fait d’armes historique et une épopée légendaire.
Ce n’est que bien plus tard, au bord de la retraite, que nous mesurons la vraie dimension de cette guerre d’indépendance, sans véritablement saisir l’atmosphère et l’ambiance de l’époque.
Aujourd’hui on ne commémore plus, on ne célèbre plus, mais on questionne et on s’interroge.
Au-delà des témoignages de circonstances, parfois décousus, au gré des archives secrètes qu’on dévoile au compte-gouttes, dans le tumulte des manipulations et des propagandes, au gré des cérémonies officielles et des éditions controversées de révélations des acteurs et d’anciens compagnons, notre guerre de libération nationale demeure encore un authentique chantier académique et intellectuel.
C’est vrai que beaucoup de nos concitoyens énumèrent les bienfaits de l’indépendance, des marges de libertés au statut de sujets, les conquêtes du développement et du progrès, stigmatisant les questionnements qui dérangent, dénonçant les scandales proférés par les historiens ou les historiques. Pour eux, le 1er Novembre est sacré et ne doit pas être désacralisé. Même un demi-siècle après la polémique est interdite pour la Révolution.
Les tentatives de certains académiciens et chercheurs de dépoussiérer les énigmes de cette guerre de libération, d’évoquer les horribles divisions du mouvement national, les sauvageries qu’il a connu et les bains de sang ou les liquidations restent coincées par peur des réactions et des énormes « menaces » d’une famille dite révolutionnaire, qui s’attribue politiquement l’insurrection du peuple anonyme et son héroïsme et qui considère l’indépendance comme un butin de guerre.
Car que faut-il faire, que faut-il croire quand l’un des rares survivants du fameux groupe des 22, Amar Benaouda, soulage son cœur dans une interview récente en révélant les assassinats de vrais révolutionnaires nationalistes ? Que faut-il songer quand il évoque les jugements sommaires et les exécutions gratuites décidés par des conseils de guerre organisés à la hâte au milieu des fracas des bombardements au napalm ou juste après les accrochages nocturnes ?
Que faut-il penser quand il parle longuement, comme dans un soupir, des dénonciations mensongères, des règlements de compte, des liquidations et des disparitions, des incriminations ? D’autres moudjahidine avant lui avaient franchi le pas de la vérité, mais ils n’avaient pas le statut de l’histoire ou les grades et les galons de la Révolution, et ne portaient pas des sceaux de la Révolution comme Benaouda.
On sait, maintenant, que l’épisode Abane Ramdane est authentique et qu’il s’agissait d’un assassinat politique. Sait-on que ce crime ne fut pas le premier délit ? Que d’autres illustres inconnus moudjahidine, jeunes ou vieux, ont été liquidés au nom des clans, des réseaux et de la loi des chefs et des seigneurs de la guerre ? Que certains ont été fusillés pour avoir dénoncé des pratiques « militaires » contraires à l’esprit de la Révolution, ou critiqué des comportements immoraux de quelques gourous de la guerre ?
Et c’est sans doute cela qui nous fait dire que cette insurrection armée du 1er novembre fut avant tout un sacré coup psychologique, un coup de poker gagnant pour galvaniser un peuple paralysé par la peur et la puissance de l’ordre colonial et secouer ses profondes tentations de rébellion. « On fera la révolution avec les singes de la Chiffa, s’il le faut », rétorquait dans une célèbre boutade Boudiaf Mohamed, dans l’une des réunions de préparation de l’insurrection. Evidemment, beaucoup d’Algériens parlaient en 1954 d’utopie, de rêve.
D’autres invoquaient Allah et sa compassion, alors que le reste, comme les partisans de Messali El Hadj, quémandaient un bouleversement des contextes internationaux et des tensions dans la guerre froide pour aspirer à un « lâchage » par Paris de ses colonies sans tirer la moindre cartouche ? Sans doute que la folie « calculée » des jeunots du mouvement national a éclaboussé les convictions de l’époque, a créé la fameuse rupture révolutionnaire.
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