L’artiste palestinien Ghannam Ghannam au Jeune Indépendant: « J’appelle les pays arabes à inclure la Palestine dans leurs agendas culturels »

L’artiste et comédien palestinien Ghannam Ghannama abordé, dans cet entretien, les défis du théâtre palestinien sous occupation, l’impact des financements étrangers, et la nécessité de stratégies internationale.
Rencontré à la deuxième édition des Journées théâtrales arabes qui s’est tenue du 15 au 18 février dernier à Sétif, il a plaidé pour une reconnaissance accrue de la Palestine dans le paysage culturel arabe. Il a exhorté les ministères de la Culture des pays arabes à faire de la Palestine une wilaya à part entière.
Le Jeune Indépendant : Quelle est votre réaction et vos sentiments à l’égard de l’honneur accordé à la Palestine lors des Journées théâtrales arabes à Sétif ?
Ghannam Ghannam : Tout d’abord, je tiens à exprimer ma gratitude envers les organisateurs des Journées théâtrales arabes pour avoir accordé une place prépondérante à la Palestine. Dans mes œuvres théâtrales précédentes, j’exprimais l’idée que chaque intellectuel et artiste, dans ce monde, est Palestinien jusqu’à ce que la Palestine soit libérée. La question palestinienne transcende les frontières territoriales pour devenir une question humanitaire, une identité et une lutte.
Ce geste n’est pas surprenant venant des intellectuels algériens, car l’Algérie, solidaire de la cause palestinienne, connaît elle-même l’oppression et l’injustice. L’indépendance de l’Algérie demeure incomplète tant que la Palestine reste occupée.
Cependant, je comprends que certaines régions du monde arabe peuvent hésiter à élever la Palestine comme un étendard fort lors d’occasions spécifiques. Les événements tels que ces Journées et d’autres similaires envoient un message clair à ceux qui hésitent : ne tergiversez pas, car l’histoire ne pardonnera pas à ceux qui n’auront pas soutenu la Palestine. Des comptes difficiles les attendent dans le futur, non seulement avec les Palestiniens, mais aussi avec eux-mêmes et leur entourage. La Palestine demeure une cause perpétuelle, et son appel à la justice et à la solidarité doit être entendu.
Ce n’est pas la première fois que je suis honoré en Algérie. En 2012, j’ai eu le privilège d’être distingué aux côtés d’autres dramaturges palestiniens. La cérémonie s’est déroulée au Théâtre national algérien Mahieddine-Bachtarzi, où j’ai reçu cette reconnaissance des mains des regrettés M’hamed Benguettaf et Sonia. Cette image est gravée dans ma mémoire, elle symbolise l’honneur immense d’avoir été entourée par deux figures légendaires du théâtre algérien. Aujourd’hui, avec cette seconde distinction, l’Algérie m’accueille à nouveau après 12 années.
Comment se porte actuellement le théâtre palestinien ?
Le théâtre palestinien, hier, aujourd’hui et demain, est intrinsèquement lié au contexte de la lutte. En réalité, le Palestinien n’a guère d’autre alternative. Concevoir un théâtre léger ou comique, axé uniquement sur le divertissement, serait tout simplement illusoire. La réalité est que la politique imprègne chaque conversation, que ce soit au café, à la maison et même à l’école. C’est la préoccupation centrale qui hante les esprits et nourrit les discussions.
Le théâtre palestinien se distingue par un parcours unique, différent de celui des autres. Cette singularité réside dans le fait que la Palestine a été divisée dans le cadre d’un complot, une grande partie de son territoire étant sous occupation israélienne. Plus de 3 millions de Palestiniens vivent sur cette terre et ont développé leurs propres théâtres, distincts des institutions israéliennes. Ces scènes authentiquement palestiniennes présentent des œuvres d’une importance capitale.
De nombreux théâtres existent en Palestine, constituant des expériences concrètes sur le terrain. Il est important de noter que certains ne peuvent les fonder sans l’autorisation de l’État d’occupation. Cela ne signifie pas qu’ils collaborent avec l’entité israélienne. Certains ont choisi de travailler là-bas, croyant au dialogue et à la coexistence, mais ils ne constituent pas la majorité. Par conséquent, il est crucial de porter un regard positif sur le théâtre palestinien, même à l’intérieur des territoires occupés depuis 1948, et de le considérer comme une composante essentielle du théâtre palestinien dans son ensemble.
Existe-t-il une censure de la part de l’entité sioniste sur ces théâtres ?
Non, car notre adversaire a ses propres lois et règlements. En comprenant comment naviguer au sein de ces systèmes, il est possible de les contourner. En d’autres termes, si quelqu’un a un problème avec l’une de ses productions, il peut porter plainte devant la cour et intenter un procès. Un individu extrémiste peut vous accuser d’incitation à la violence et vous poursuivre en justice. Un exemple concret est celui de Mohammed Bakri qui a réalisé « Jenin », qui fait face à des poursuites judiciaires depuis 18 ans en raison de ce film. Malgré cela, il n’a pas été arrêté, et l’affaire est toujours en suspens devant les tribunaux, grâce à des avocats qui manœuvrent habilement dans un contexte légal, ayant une compréhension approfondie des règles et des systèmes en place.
Le problème du théâtre palestinien, comme celui de nombreux théâtres arabes, réside dans l’absence de stratégies nationales. En raison de l’absence d’institutions nationales, les théâtres palestiniens ont été, à un moment donné, victimes de financements étrangers. Ces financements étrangers ont profité de l’occasion pour octroyer des fonds sans aucune orientation. Mais ces bailleurs de fonds ne sont pas stupides. Ils ne vous orientent pas, c’est vous qui le faites vous-même, car vous êtes soucieux de la pérennité de ce financement. En conséquence, ils obtiennent ce qu’ils veulent.
J’appelle à hisser le drapeau de la Palestine lors des événements culturels et j’encourage tous les pays arabes à intégrer la Palestine dans leurs agendas culturels. Je suggère que chaque pays la considère comme une de ses wilayas ou gouvernorat, en lui allouant ainsi une part du budget. En adoptant cette approche, nous pourrions avoir 22 wilayas palestiniennes œuvrant dans l’ensemble du monde arabe de manière simple. De plus, chaque pays pourrait publier, par exemple, cinq livres sur la Palestine par an, totalisant ainsi plus de 100 ouvrages abordant la question palestinienne.
Dans quelle mesure le théâtre arabe explore-t-il la question palestinienne ?
Toutes les œuvres théâtrales arabes n’abordent la question palestinienne, mais je pense qu’elles s’articulent autour des concepts de liberté et de justice. Par conséquent, ces œuvres théâtrales, d’une manière pratique, parlent de la Palestine. Cela n’empêche pas d’exiger une orientation spécifique, et je pense que cette orientation devrait être pédagogique.
Nous ne voulons pas qu’elle soit juste une vague qui survient dans une période ou un moment de tension, mais plutôt une démarche durable, grâce à l’éducation des générations sur la justesse de la cause, ce qui permettra de créer des artistes dans de nombreux domaines, qui à leur tour produiront des œuvres sur la Palestine.
Je suis fier que la Palestine ne soit jamais absente de mes pièces de théâtre, et je n’utilise jamais de grossièretés dans mes textes. Je peux exprimer le mal de manière respectueuse. Je n’aime pas offenser la pudeur et la vérité. Tout cela représente pour moi ce que je suis. C’est pourquoi, quand je dis que je suis Palestinien, je suis conscient de la responsabilité que je porte, et quand je dis c’est la Palestine, je dois présenter un travail à la hauteur de son niveau.
Selon vous le théâtre arabe aborde-t-il sa propre réalité ?
Oui, je pense que le théâtre arabe d’aujourd’hui assume ce rôle. Je dis cela car j’ai eu la chance de visionner plus de 300 représentations, sélectionnées pour le festival annuel de théâtre arabe organisé par l’Institut arabe du théâtre. J’ai remarqué que le théâtre arabe est engagé dans son époque.
Cependant, il est important de se demander quand les bonnes pièces engagées ont toujours été limitées et peu nombreuses et pas que dans les pays arabes, car elles reflètent la conscience gramscienne, ou ce que nous appelons la conscience organique. Cette conscience n’est pas présente chez tous les intellectuels. Il y a des intellectuels et des intellectuels organiques, des dramaturges et des dramaturges organiques.
Malgré les efforts individuels, l’absence de stratégies condamne l’innovation à l’échec. La mort de l’initiateur sonne la fin de l’expérience. L’exemple d’Abdelkader Alloula est criant, personne n’a su perpétuer son approche, malgré son immense potentiel. 30 années après son assassinat, il aura fallu attendre l’émergence d’une nouvelle figure pour voir une tentative similaire.
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