L’article 51 entre citoyenneté et patriotisme

Il aura fallu moins d’une semaine seulement de débats et de controverses pour que l’article 51 subisse un autre amendement. Entre la présentation des grandes lignes de l’avant-projet de révision de la Constitution et le Conseil des ministres, il s’est passé sans doute des choses dans les salons feutrés du Palais d’El Mouradia. Alors que dans la première mouture « dispatchée » aux médias l’article en question stipule que « l’égal accès aux fonctions et aux emplois au sein de l’Etat est garanti à tous les citoyens, sans autres conditions que celles fixées par la loi.
La nationalité algérienne exclusive est requise pour l’accès aux hautes responsabilités de l’Etat et aux fonctions politiques », voilà qu’une dépêche de l’agence publique, citant une source officielle, rapporte hier soir, à l’issue du Conseil des ministres, que le président Bouteflika a ordonné d’élargir l’article 51 du projet de révision de la Constitution en y ajoutant une disposition : « la loi déterminera la liste des hautes fonctions de l’Etat ».
Une information de dernière minute qui révèle le malaise que cet article a suscité au sein de la classe politique. Le premier à avoir réagi avec détermination est le patron du FLN, Amar Saâdani, qui rejeta catégoriquement l’esprit et la lettre de cet article sur les binationaux, estimant qu’il « sanctionnera » des milliers d’Algériens qui pourraient apporter beaucoup au pays en termes de développement et de compétences.
Selon des indiscrétions, Saâdani aura usé de tous les moyens possibles, notamment à travers l’intervention de ministres affiliés au parti lors du Conseil, ainsi que de courriers conséquents, pour que le chef de l’Etat use de son pouvoir pour « réorienter cet article ou le préciser sans se déjuger ». Pour les observateurs, l’action du chef du FLN serait dictée par le fait que cet article 51 serait inspiré par Ahmed Ouyahia lui-même, directeur de cabinet de la Présidence et SG par intérim du RND.
On avait expliqué à travers les médias que cette disposition est une arme constitutionnelle « fatale » contre certains acteurs politiques qui cherchaient depuis des années à briguer de hautes fonctions au sein de l’Etat, alors qu’ils possèdent une autre nationalité et résident depuis longtemps à l’étranger.
D’ailleurs, deux ou trois noms étaient cités en exemple, comme Ali Benouari, un ancien ministre sous le gouvernement de Sid Ahmed Ghozali en 1991 et qui vit depuis en Suisse.
Possédant la nationalité helvétique, grâce à sa résidence permanente et surtout en raison de ses biens, Benouari a voulu postuler à la magistrature suprême en 2014. Vainement. Il s’évertue depuis à vouloir créer un parti politique qui peine à arracher un agrément du département de Mohamed Bedoui.
L’autre cas plus médiatisé et néanmoins « bourgeois », c’est le phénomène Rachid Nekkaz, un autre homme d’affaires qui a vécu en France et a volontairement mis en déchéance sa nationalité française pour se porter candidat à la dernière présidentielle.
Bouteflika a tranché
Cependant, au-delà de cette disposition relative à la fonction de la magistrature suprême, des appréhensions sont apparues sur certaines fonctions supérieures au sein des ministères, de la haute administration de l’Etat, des grandes entreprises publiques ou des offices ou organismes.
Faut-il y être permissif seulement sur les fonctions électives, comme la députation ou la représentativité au sein des institutions populaires (APC et APW) ? Rien n’est précis, car il faudra attendre d’autres dispositifs juridiques pour y délimiter les ambitions politiques de nos binationaux, comme l’a ordonné le président Bouteflika.
Bien plus que cela, l’interrogation des partisans de l’article 51 met en lumière un fait inédit : la loi électorale algérienne exige pour le candidat P/APC une résidence permanente dans la commune de son « mandat ». Moralité : pourquoi exige-t-on pour un maire d’une petite agglomération une résidence permanente dans le lieu de son mandat et pas pour un candidat à la Présidence ?
Pour les observateurs, acquérir la nationalité étrangère, notamment française, est bien plus facile, car elle est liée généralement à des attributs de résidence et de séjour, c’est-à-dire le droit du sol (jus soli) ou grâce à des naturalisations et des acquisitions. Pour l’algérienne, elle est plutôt liée au sang et à la filiation (jus sanguini).
La jurisprudence algérienne est plus « bétonnée » dans l’octroi de la nationalité à des étrangers, même s’ils ont vécu des décennies sur le sol national. D’ailleurs, des Maghrébins et des Sahéliens qui ont toujours vécu ici n’ont pu obtenir ce droit. Mais cela est une autre histoire. Car le problème est plus politique et moral qu’on ne le pense.
En verrouillant l’accès des binationaux aux hautes fonctions étatiques (en attendant prochainement la liste), le pouvoir semble vouloir mettre un frein à un phénomène qui prend de l’ampleur ces derniers temps. De hauts cadres et des responsables supérieurs réussissent, durant l’exercice de leurs responsabilités, à postuler pour une nationalité étrangère et surtout à acheter une résidence ailleurs. Ils expatrient rapidement leurs progénitures.
Les récents procès et les scandales à répétition ont mis en lumière cette propension de nos « dirigeants » à « investir » ailleurs. Pour certains analystes, la loi devrait spécifier nettement le caractère résidentiel de la personne concernée par un poste, c’est-à-dire l’exigence d’une résidence sur le sol national pour au moins un nombre déterminé d’années, cinq ou sept ans. Faire de la politique tout en étant résident à l’étranger serait suspect pour les locaux, alors que diriger ou manager tout en ayant une résidence ailleurs serait comme une coopération technique.
Dans les deux cas de figure, le binational serait « malvenu » et moins accueilli ou apprécié. En tous les cas, cela rappelle le débat sur la citoyenneté et le patriotisme : Faut-il une primauté de l’un sur l’autre ? Si la nationalité est une exigence administrative à la source de toute l’architecture de l’Etat civil, la résidence ici au « bled » risque de devenir un …acte patriotique de résistance.
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