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Nationale

La presse en Algérie: La mort ou la réforme

La presse en Algérie: La mort ou la réforme

On achève bien les chevaux ! Dans le cas présent, les « chevaux » en question ne sont pas ces danseurs jusqu’au risque de la mort dans le livre et le film de même nom de Horace Mc Coy et Sidney Pollack. Ici même, ceux qui dansent avec la mort ne sont pas ces couples de crève-la-faim dans la Californie des années 1930, en pleine période de la « Grande dépression », qui entrent dans un marathon de danse, avec une grosse prime pour le vainqueur. Ces chevaux du désespoir sont ici, en l’occurrence, les quelques centaines de titres de la presse nationale, tous supports, formats et langues confondus. La journée internationale de la presse célébrée le 3 mai est une halte pour remettre au gout du jour un vrai débat sur l’état des lieux des plus moribonds du secteur menacé de mort.

A l’instar des « chevaux » de la fiction américaine, la presse algérienne, en crise structurelle et financière profonde depuis au moins une décennie, est désormais plongée dans un cycle infernal de misère et de désespoir. L’écrasante majorité des titres de la presse écrite ne survivent plus que grâce à des réductions drastiques des coûts de production et, du même coup, à la baisse subséquente et substantielle de l’ambition éditoriale. Notre presse, déjà globalement pauvre, sous-équipée, sous-administrée et sous-développée, est dans une logique implacable de survie. Avec le tarissement de l’offre publicitaire en provenance du marché, l’écrasante majorité des titres ne sont encore en vie que grâce à une rachitique subvention indirecte et soumise au bon-vouloir politique ou clientéliste du donateur étatique, via l’ANEP, la centrale publicitaire qui gère la manne de l’annonce publique. Il est question ici de « grande dépression » consécutive à la pandémie durable de la Covid-19, et donc de prime de « danse », comme dans le livre et le film « On achève bien les chevaux » !

Charges et poids fiscal
La crise multiforme et profonde que subit le pays, à l’image du reste du monde, depuis presque un an et demi, a accentué l’appauvrissement de la presse, à une vaste échelle. De nombreux titres ont déjà disparu et d’autres menacent, à chaque instant, de déposer le bilan. Personne n’est à l’abri. Sauf, en premier lieu, les médias audiovisuels publics, et les six titres d’une presse publique en faillite perpétuelle, mais dont l’agonie est retardée par sa mise sous perfusion financière permanente par l’Etat qui n’en tire pourtant aucun dividende en termes de défense des politiques publiques et de son image de marque. A côté de ces gouffres financiers, ne survivront, après coup, que quelques rares titres privés qui ont accumulé par le passé des rentes financières. Des entreprises qui ont une masse critique leur permettant de mieux tenir le coup, comparativement à d’autres journaux plus fragiles du point de vue structurel. Ou encore des titres appartenant à de richissimes hommes d’affaires qui trouvent un intérêt politique à les maintenir en vie, en mettant chaque fois la main à la poche.

Les sociétés de presse les plus fragiles souffrent donc plus que d’autres des charges d’exploitation et du poids fiscal de plus en plus lourd. De même qu’elles sont les plus lésées en matière de ventilation de la publicité publique, plus que jamais soumise à des règles alchimiques et à des critères magiques ! Et ce sont ainsi les plus faibles, qui constituent la base élargie de notre presse, qui souffrent le plus de l’augmentation exponentielle du coût de la vie et des charges d’exploitation. Tout en étouffant sous le poids de très lourdes dettes à l’égard des imprimeries publiques et des organismes sociaux et patronaux. Créances que l’Etat laisse s’accumuler sans pour autant songer, un seul instant, à les éponger pour permettre aux endettés de souffler un tant soit peu.

La crise sans fond et sans fin, dans laquelle est plongé le pays, et qui a aggravé l’état de santé de notre presse écrite et audiovisuel dont le pronostic vital est engagé, est cependant propice à un examen de conscience et surtout à un état des lieux. D’où l’extrême urgence d’organiser des « assises nationales de la presse », réunissant l’ensemble des acteurs du paysage médiatique national. Des assises nécessairement inclusives et obligatoirement démocratiques. Un débat large qui permettrait de faire le diagnostic le plus juste et de proposer les protocoles thérapeutiques les plus efficaces. A l’issue duquel les acteurs du secteur, c’est-à-dire la presse publique, la presse privée, les syndicats et l’Etat s’entendraient sur les termes des réformes nécessaires dont la mediasphère nationale a un besoin vital.

Les révisions déchirantes doivent s’appuyer sur un nombre précis de réformes inévitables, incontournables, nécessaires, vitales mêmes. Au premier rang de celles-ci, la mise en place d’une loi sur la publicité qui donnerait la part belle à la loi naturelle de l’offre et de la demande incluant aussi la publicité publique. Outre d’être désormais basée sur des règles simples, claires et transparentes, celle-ci ne devrait plus relever d’un monopole étatique. Monopole dont on a vu à quelles dérives et à quelle dilapidation de l’argent public il a donné lieu par le passé, sans que la logique de prédation et de déprédation soit un jour réellement cassée, à l’exception d’une courte parenthèse vécue en 2019.

Le vrai rôle de l’Etat
Il est également indispensable de procéder à une profonde remise à plat de la loi sur l’Information, afin de la mettre au diapason de l’époque. C’est-à-dire de la placer à l’heure des défis de la numérisation, sachant que l’abandon du format print ou de l’adoption d’une offre mixte (imprimé et CMS) sont inéluctablement à l’ordre du jour. En parallèle, l’Etat devrait impérativement veiller à favoriser, dans les meilleurs délais possibles, l’émergence de l’environnement économique nécessaire, a savoir l’extension du e-commerce et la généralisation du paiement électronique. Faute de quoi la numérisation de la presse serait une pure chimère.

De même, l’Etat devrait veiller à mettre en place un véritable fonds d’aide à la presse, avec, là aussi, des critères d’éligibilité simples, précis et transparents. Un fonds qui serait beaucoup plus orienté vers le développement de la presse numérique.

Outre ce fonds, l’Etat devrait songer aussi à la création d’un fonds d’aide spéciale pour le développement de la presse régionale, locale et de proximité, un genre presque inexistant dans un pays dominé outrageusement par une presse à caractère nationale pléthorique et redondante. Ce fonds devrait favoriser indiscutablement l’éclosion d’une presse dans les zones d’ombres et les zones enclavées, notamment dans les Hauts-Plateaux et le Grand Sud qui soufrent de la désertification médiatique et de la fracture numérique entre le Nord et le Sud du pays.

En même temps qu’une mise en conformité avec la loi algérienne des télés offshore, l’Etat avec la participation de la profession, devrait réviser en profondeur la loi sur l’audiovisuel et mettre de l’ordre légal dans le marché de la communication soumis à l’absence de règles, à l’anarchie et à la gestion clientéliste. De même qu’il devrait adopter une loi sur les sondages, qui est un outil d’information et d’éclairage pédagogique pour la presse.

Ces réformes ne devraient plus être confiées à l’administration du secteur de la Communication qui a fait preuve jusqu’ici, gouvernement après gouvernement, de son incapacité structurelle, technique et politique à lancer les réformes audacieuses tant attendues par les professionnels du secteur et voulues par le plus haut sommet de l’Etat. Ces réformes devraient désormais être impulsées par la Présidence de la République et confiées, pour leur mise en musique, au Premier ministre lui-même. Dans le cadre de commissions ad hoc, associant, de bout en bout, les acteurs de la profession.

Ce partenariat public-privé serait une œuvre éminemment patriotique. Il serait le meilleur garant de la réussite des réformes dont le premier critère est le consensus le plus large. Il sera aussi question de favoriser l’émergence d’une presse algérienne capable de défendre les intérêts suprêmes du pays face aux louvoiement externe et prête aussi à tenir la dragée haute aux médias mainstream des grandes puissances.



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