Tension en Libye dirigée par deux chefs de gouvernement
La tension en Libye s’est exacerbée avec le refus de Abdelhamid Dbeibah de quitter son poste de chef de gouvernement suite à la désignation par le parlement de l’influent ex-ministre de l’Intérieur, Fathi Bachagha, donnant une image d’un pays englué dans la crise.
En fin de mandat, M. Dbeibah a fait savoir à plusieurs reprises qu’il ne céderait le pouvoir qu’à un gouvernement sorti des urnes.
Cet imbroglio institutionnel n’est pas une nouveauté puisque le pays riche en pétrole avait déjà été dirigé entre 2014 et 2016 par deux chefs de gouvernement antagonistes.
Désigné, il y a an, à la tête d’un nouveau gouvernement de transition, Dbeibah a échoué dans sa mission d’unifier les institutions et conduire le pays à des élections présidentielle et législatives initialement prévues le 24 décembre.
Le Parlement avait retenu, après un appel à candidatures, deux prétendants sur un total de sept : en plus de Bachagha, Khaled Al-Bibass, un outsider et haut fonctionnaire au ministère de l’Intérieur a été retenu. Avant de procéder au vote, le président du Parlement Aguila Saleh a affirmé que M. Bibass avait retiré sa candidature, laissant M. Bachagha seul en lice.
Ce chef de guerre originaire de Misrata, dans l’ouest du pays, s’est allié récemment au camp de l’est libyen en allant à Benghazi et en rencontrant Khalifa Haftar.
Tous sont maintenant unis contre Dbeibah, le Premier ministre ayant affirmé à plusieurs reprises qu’il ne laisserait le pouvoir qu’à un gouvernement issu des élections, au risque de se retrouver à nouveau avec deux gouvernements parallèles en Libye.
D’autres alliances se sont d’ailleurs discrètement nouées contre Dbeibah, au Maroc en janvier dernier quand Aguila Saleh, le président du Parlement, a rencontré pour la première fois son ennemi de l’est Khaled al-Mishri, le président du Haut Conseil d’État.
Bachagha et Dbeibah entretiennent une âpre rivalité, alors qu’ils sont tous deux originaires de Misrata. Ils étaient candidats à la présidentielle, et auparavant, au poste de Premier ministre du gouvernement d’union nationale (GNA).
C’est Dbeibah qui l’avait alors emporté, sur fond de soupçons d’achats de voix. L’ONU avait affirmé vouloir ouvrir une enquête sur ce point, mais n’a finalement jamais donné suite sous la pression américaine. Les Nations unies ont, par ailleurs, annoncé jeudi soir qu’elles continuaient de soutenir Abdel Hamid Dbeibah comme Premier ministre intérimaire.
Loi électorale contestée, candidats controversés, tensions sur le terrain… le processus de transition a rapidement déraillé. Et les élections, sur lesquelles la communauté internationale fondait de grands espoirs pour enfin stabiliser le pays et en finir avec les ingérences étrangères, ont été reportées sine die.
Pour le Parlement basé dans l’Est, le mandat de M. Dbeibah a expiré avec ce report. De son côté, le gouvernement Dbeibah s’entête à affirmer que sa mission ne s’achève qu’avec la désignation d’un nouveau gouvernement élu.
Le désenchantement est d’autant plus grand que le scrutin avait suscité un engouement certain chez de nombreux Libyens. Quelque 2,5 millions d’entre eux, sur une population d’environ sept millions, avaient retiré leur carte d’électeur en vue du jour du scrutin.
« Ce qui est potentiellement dangereux, c’est la violence à Tripoli, car Bachagha et Dbeibah ont tous deux des liens profonds dans l’ouest de la Libye », avait présagé Amanda Kadlec, ancienne membre du groupe d’experts de l’ONU sur la Libye.
Dans la région de Tripoli, l’un comme l’autre disposent du soutien de groupes armés encore très influents dans l’ouest du pays, mais dont les allégeances sont traditionnellement mouvantes.
Selon elle, « les milices se rangeront du côté de celui qu’elles perçoivent comme détenteur du pouvoir. S’il n’est pas capable de leur attribuer des postes, de leur verser des salaires et de leur fournir des armes, alors il n’y a aucune raison pour que les groupes armés qui soutiennent Dbeibah continuent de le faire. »
Quelques heures seulement avant le vote du Parlement, des tirs qui n’ont pas fait de victime ont visé le convoi de M. Dbeibah à Tripoli, selon le ministère de l’Intérieur.