La justice veut récupérer les fonds transférés à l’étranger
Le ministre de la Justice Slimane Brahmi est longuement revenu ce lundi dans son discours sur le combat que le troisième pouvoir est en train de mener contre la corruption, ajoutant que son ampleur « est beaucoup plus importante qu’on l’imaginait ». S’exprimant à l‘Ecole supérieure de la magistrature dans le cadre d’un séminaire consacré justement à la corruption, le garde des Sceaux, qui n’hésite pas à faire un parallèle entre ce phénomène et celui du terrorisme, considère que la lutte ne peut être efficace qu’avec « la récupération de l’argent volé » planqué dans des paradis fiscaux.
Le ministre rappelle que l’Algérie a signé des conventions internationales avec des pays qui permettent d’envisager un partenariat entre la justice algérienne et ses homologues en international. Slimane Brahmi a soutenu que la corruption a sapé les fondements de l’Etat, provoquant du coup une perte de confiance entre les citoyens et les institutions de ce même Etat, rappelant que la prévention et la lutte contre ce phénomène demeurent la priorité de l’heure.
« Il faut récupérer cet argent pour protéger les droits des générations futures », estime le ministre qui rappelle que « le juge travaille en toute autonomie, n’obéissant qu’à sa conscience et à la loi », en réponse aux réserves de l’opposition, selon laquelle l’opération « mains propres » n’est qu’une instrumentalisation de la Justice à des fins de règlements de comptes. L’ancien clan présidentiel devra désormais rendre compte à la justice suisse pour « prévarication et accumulations d’avoir illicites ». C’est en tout cas ce qui ressort de la sortie du chef du Département suisse des Affaires étrangères, Ignazio Cassis. Le gouvernement fédéral est « disposé à collaborer avec les autorités algériennes pour garantir le retour de l’argent pillé par le clan familial et politique de l’ex-Président », a annoncé le mois dernier le chef de la diplomatie suisse, en réponse à une demande déposée le 5 juin dernier par un député du parti socialiste suisse, Sommaruga Carlo.
La plupart des scandales financiers qui remontent à la surface depuis que les oligarques ne sont plus en cour à Alger ont un prolongement en Suisse. Une partie de l’argent détourné y a transité avant d’être réinvestie ou transférée vers Dubaï. Parmi les dossiers brûlants, il y a les possibles rebondissements dans les enquêtes sur les pots-de-vin versés par le groupe pétrolier Sonatrach. Sur la liste noire figure le nom de Rym Sellal, la fille de l’ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal, destinataire de versements illicites via une société offshore créée en 2004 aux îles Vierges britanniques par le cabinet Multi Group Finance installé à Lausanne. Un secret jadis éventé dans le cadre de l’enquête sur les Panama Papers. La justice algérienne a désormais le feu vert pour en retracer tous les flux financiers. Limogé en 2015 par Abdelaziz Bouteflika pour avoir poussé un peu trop loin les investigations sur les malversations financières autour des contrats de Sonatrach, Belkacem Zeghmati vient de retrouver son poste de procureur général de la Cour d’Alger. Les procédures lancées contre Reda, Abdelkader, Karim et Noah Kouninef-qui sont nés et ont grandi en Suisse-sont parmi celles qui pourraient faire le plus de bruit dans les mois qui viennent.
Cette richissime famille proche de l’ancien président Bouteflika aurait bénéficié de financements bancaires colossaux. Arrêtés et placés en détention, les quatre frères vont devoir rendre des comptes. Là encore, les montages incriminés passent par la Suisse. Leur sœur, domiciliée dans le Canton de Vaud, a elle aussi reçu une convocation de la justice algérienne. Elle n’y a pas répondu. Les Kouninef sont loin d’être les derniers sur la liste des personnalités déchues qui pourraient faire l’objet d’une traque jusque sur les rives du lac Léman. Deux noms reviennent, celui d’Abdelouahab Rahim à la tête de la holding Arcofina et d’Abdeslam Bouchouareb, ancien ministre de l’Industrie et des Mines. La Confédération s’est dotée d’une
loi pour bloquer à titre préventif les avoirs des « potentats ». Le président Bouteflika pourrait-il en être la première cible ? Compte tenu des liens étroits qu’entretient Bouteflika avec la Suisse, il n’est en effet pas exclu que lui-même ou ses proches jouissent aussi d’intérêts financiers au sein de cette place financière. La loi sur les valeurs patrimoniales d’origine illicite (LVP) est entrée en vigueur le 1er juillet 2016, en réponse notamment aux événements du printemps arabe. A ce titre, la crise institutionnelle en Algérie pose la question de l’application de cette loi. Il s’agirait d’une situation inédite.