La Chine veut exporter «le développement et la prospérité» : Pour une nouvelle Route de la Soie
A l’invitation de l’Association nationale des journalistes chinois, cinq journalistes algériens ont pu se rendre en Chine la semaine dernière pour constater les énormes progrès effectués par la nation communiste de Mao, passée depuis plus d’une vingtaine d’années au mode de production capitaliste. Un voyage organisé pour la présentation d’un projet économique d’envergure internationale : la nouvelle Route de la Soie. Axe de partenariat stratégique promettant développement et prospérité dans un rapport gagnant-gagnant. A Pékin et dans la région du Yu Chuan, focus.
Notre guide Zhang ne fait pas son âge : à 52 ans on lui en donnerait bien 10 de moins et le rythme des nombreuses visites que nous effectuerons, grâce au riche programme élaboré par nos hôtes, confirmera sa vitalité. A Pékin d’abord, cité moderne immense où les embouteillages ne suffisent pas à attester que plus de vingt millions d’âmes habitent la capitale tant la discipline et l’entretien sont performants. Zhang est membre de l’Association des journalistes chinois qui nous a invités. Toujours souriant, il s’adresse à nous tantôt en anglais tantôt dans sa langue. Il compte aussi sur la traduction de Cécile, une journaliste chinoise de la Radio Chinoise Internationale, officiant au service francophone et qui nous accompagne en tant que traductrice. Un coup d’œil sur le planning et nous comprenons que la découverte de la Chine va allier l’utile à l’agréable : rendez-vous très sérieux avec des organes de presse, à la rencontre de confrères, séance de travail avec le gouvernement autonome de Ningxia, et sorties culturelles variées. Quelques heures de shopping rajoutées au programme et, pour terminer, des activités de loisirs pour montrer combien la Chine industrielle prospère a su, néanmoins, promouvoir son tourisme. Voyage organisé au standard international avec un message particulier…
Sur la Route de la Soie
Il s’agit en fait d’un topo présenté en finesse au sujet du nouveau projet stratégique de la Chine : la nouvelle Route de la Soie. Tiré des pages illustres de l’Antiquité chinoise, le concept actualisé reprend cette notion essentielle d’échanges commerciaux importants avec des pays alliés jalonnant un circuit d’influences dépassant la simple vocation économique. C’est aussi cela la sève diplomatique chinoise : tisser des relations de bonne entente jusque très loin de ses frontières, en tablant sur la non-ingérence dans les affaires internes des nations comme garantie d’amitié durable. D’ailleurs, notre guide et les différentes personnalités du tout-puissant Parti Communiste Chinois se garderont d’un exposé trop agressif ou d’une présentation excessivement carrée. L’exposé reste général. On apprend que le projet concernera entre autres six pays arabes, dont l’Algérie, quoique Pékin situe les pays d’Afrique du Nord comme une entité distincte par rapport à ceux du Moyen-Orient. L’ambition affichée tient dans un partenariat « gagnant-gagnant » où la Chine des miracles fera profiter de son savoir-faire les pays de la Route de la Soie. Exporter le développement pour une prospérité contagieuse. Voilà en quelques mots le contenu à promouvoir, dixit nos interlocuteurs qui joignent le geste au discours. Accueil chaleureux, tous aux petits soins à notre endroit. Nos petites différences culturelles d’Algériens en plein ramadhan effleurent à peine leur patience quand nous ne respectons pas toujours les horaires et nous rebellons gentiment contre la rigidité du planning.
Au nom de l’amitié
« La conseillère du ministère des Affaires étrangères chargées du département Asie de l’Ouest et Afrique du Nord, la sympathique SHI Daduo, connaît bien l’Algérie dont elle a suivi le dossier très tôt au cours de ses 23 ans d’expérience en son département. Elle est venue en Algérie à plusieurs reprises pour accompagner des délégations lors de voyages officiels. Son discours veut tout simplement confirmer la place très importante que représente Alger dans la politique étrangère de Pékin dans cette région du monde. Malgré « quelques difficultés d’obtention de visas pour certains cadres chinois », Madame Shi se félicite de la qualité des relations entre les deux pays frères en rappelant les bons offices réciproques : soutien de l’Algérie au niveau de l’ONU pour que la Chine récupère son siège au Conseil de sécurité dans les années 1960 et solidarité chinoise avec l’Algérie dans sa lutte de Libération, la fraternité est bien inscrite dans le marbre. « Nous voulons développer des relations économiques encore plus intenses sur la base du gagnant-gagnant dans tous les domaines avec un transfert technologique assuré. » Et d’appuyer son propos par l’évocation du voyage récent du Premier ministre algérien, Abdelmalek Sellal, reçu avec tous les égards accordés aux dirigeants des pays amis et partenaires stratégiques de la Chine. Récit de petites anecdotes protocolaires attestant de la bonne foi des autorités pékinoises… « L’Algérie, priorité dans nos relations extérieures comme le premier discours de notre président Xi Jinping l’a clairement énoncé ! » ajoute la spécialiste des relations bilatérales Chine-Algérie.
Pragmatisme chinois
Or, si le projet de la nouvelle Route de la Soie semble un peu flou ou trop théorique,s c’est parce que nos hôtes veulent manifestement éviter le matraquage ou la propagande vulgaire. Des éclaircissements toutefois, à l’occasion « d’une séance de travail » avec des membres du gouvernement local, les hauts responsables de la province autonome Hui du Ningxia , contrée à dominante musulmane située à une heure et demie de vol à l’ouest de Pékin. Dans les locaux de l’exécutif installé dans un bel immeuble du centre urbain en pleine expansion, pivot du développement de la région, les élus nous expliquent que la réflexion sur le projet « La Route de la Soie » n’est pas terminée.
Elle se poursuivra avec les pays alliés qui voudront y participer. « La Chine a déjà formé un noyau dans son périmètre régional pour fonder une banque asiatique de financement de la Route de la Soie. Des prêts seront accordés pour une approche pragmatique du développement, l’objectif étant de partager et d’étendre la prospérité en ces pays frères. » Plusieurs milliards de dollars seraient déjà dans la cagnotte. Pour l’instant, Ningxia prépare une méga-foire sino-arabe qui se tiendra au début du mois de septembre. Nous visitons le chantier géant, à l’échelle chinoise, quartier en plein essor, infrastructures modernes ; le rendez-vous promet un succès commercial, un succès diplomatique. Objectifs : renforcer les liens commerciaux en attirant des capitaux étrangers, présenter les progrès chinois dans les nouvelles technologies pour de nouveaux partenariats avec les pays arabes. Préparer la Route de la Soie.
Le juste modèle
C’est que la Chine a des arguments. Même si la plupart de nos interlocuteurs, dont Madame Chi du ministère des Affaires étrangères, qualifient encore leur grand pays comme une économie en voie de développement, le miracle s’affirme devant nos yeux et défile à travers les vitres du minibus qui nous transporte. D’une ville en pleine rénovation à une autre cité champignon aux milliers de bâtiments et infrastructures ultra sophistiquées. Le programme n’a pas voulu nous montrer que ces mégapoles déjà hyper développées telles Shanghaï ; les concepteurs de notre voyage organisé ont su faire preuve de transparence en nous emmenant vers des régions relativement en retard par rapport au formidable bond en avant de la Chine. Là des villages composés de maisons individuelles récentes, avec panneaux solaires pour chauffer l’eau, sanitaires, cuisine, cour intérieure et même bergerie en annexe, pour reloger les paysans qui vivaient misérablement dans les montagnes lointaines. Villages de type socialiste, avec toutes les commodités : écoles, centres de soins, terrains de sport, administration de proximité… Le capitalisme chinois ne veut oublier personne. La visite d’une usine de fabrication de vêtements musulmans à Wuzhong, chéchias et autres confections, veut prouver, malgré la pénibilité évidente du travail, que le système de production n’est pas si inhumain que certains le prétendent en Occident. Le modèle chinois ne veut oublier personne, ouvriers et paysans auront leur part dans l’essor collectif. Pour atteindre le bonheur promis lors des derniers congrès du parti communiste.
L’analogie suscite notre interprétation. Comme ils ont su faire partager au plus grand nombre, du milliard et trois cents millions de leurs citoyens à l’intérieur de leurs frontières, les Chinois peuvent exporter développement et richesse chez leurs partenaires. Raisonnement simple mais pas forcément naïf. Si l’on s’en tient au principe du gagnant-gagnant et aux enseignements concrets d’un modèle chinois qui se veut juste, malgré tout, malgré les inégalités sociales évidentes au pays des miracles. Des miracles à semer sur la Route de la Soie. Une route à suivre.