Khalida Toumi : « Je suis victime d’un complot »
Après plusieurs reports pour divers motifs, Khalida Toumil’ex-ministre de la culture au temps du défunt Président de la République Abdelaziz Bouteflika, incarcérée depuis vingt-neuf mois et une semaine a fini par être jugée ce jeudi 24 mars par le président du pôle judiciaire spécialisé en matière de traitement des dossiers liés aux infractions économiques et financières du tribunal de Sidi M’Hamed.
L’ancien cadre du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD) a entamé sa défense en affirmant: « Je me tiens aujourd’hui devant le tribunal en qualité d’accusée de dilapidation de deniers publics, d’octroi d’indus privilèges non justifiés en matière publics et d’abus de pouvoirs : Ce sont des accusations que je rejette catégoriquement monsieur le président dans le fond et dans la forme ».
Dans le même contexte, elle déclare: « J’ai prouvé depuis le début de l’instruction au niveau de la Cour Suprême puis au niveau du tribunal de Sidi M’Hamed (juge d’instruction de la 5e chambre), que les accusations citées en haut ne sont pas fondées par rapport aux expertises établies en ma faveur ».
Traumatisée par son incarcération, elle a affirmé :« en réalité, monsieur le président je ne suis pas concernée par les questions liées à la gestion dans le cas où il y’aurait eu d’éventuelles fautes parce qu’en ma qualité de Ministre, j’occupais un poste politique et non pas un poste de gestionnaire et parce que j’ai toujours agi en conformité avec les lois de la République ».
Elle ajoute que durant toute la durée de ma mission à la tête du secteur de la culture, « j’ai veillé à la préservation de l’argent public, j’ai contré toutes les tentatives de pillage des biens et de l’argent du secteur, les rapports des 11 expertises le prouvent ».
S’agissant de l’organisation des manifestations culturelles à caractère international par l’Algérie elle a souligné : « On m’accuse injustement pour la simple raison que ces manifestations ont été organisées au nom de l’Etat Algérien sur instructions des plus hautes autorités du pays en application des engagements des pouvoirs publics vis-à-vis des organisations internationales et dont notre pays est membres (Union Africaine, Isesco-Alecso-Unesco) ».
Très calme et contrairement à ses collègues ministres poursuivis pour des faits de malversation, l’accusée a expliqué au président du tribunal que « l’organisation de chaque manifestation est placée sous l’égide d’une commission nationale de haut niveau présidée par le Premier ministre composée de 10 secteurs et corps constitués dont le Ministère de la Défense Nationale, le Ministère de l’Intérieur, le Ministère des Affaires Etrangères et le Ministère des Finances ».
Elle souligne aussi que le ministère de la culture n’est qu’un simple membre de cette commission nationale, ajoutant que les experts de l’IGF ont confondu entre ses missions de Ministre, membre du Gouvernement et de ses attributions en qualité de Présidente du Comité Exécutif de chaque manifestation culturelle .
Un réquisitoire contre l’IGF
La mise en cause a dressé un dur réquisitoire contre les enquêteurs de l’IGF : « Toutes les dépenses financières, nécessitées par la nature de ces manifestations représentaient la contrepartie de réalisation et de prestations réellement effectuées, il n’y a eu aucune dilapidation volontaire ou involontaire de deniers publics et pour preuve, aucun rapport ne mentionne « Trou financier ».
Toujours à propos de l’IGF, Khalida Toumi a reproché aux enquêteurs de s’être trompés de qualification : « Ne connaissant pas la nature spécifique du marché de l’art et de la culture, les experts ont analysé les activités et les réalisations comme s’il s’agissait de la réalisation de structures administratives ! ».
En ce qui concerne l’octroi d’indus privilèges dans les marchés publics, l’ex-ministre a appelé la sagesse du président affirmant: « Monsieur le président, comment voulez-vous que j’accorde des privilèges alors que je n’ai ni conclu ni signé avec qui que ce soit, ni intervenu en faveur de l’obtention d’un quelconque marché ? » et de poursuivre : « Je ne suis intervenue que pour résoudre certains problèmes par le biais de « Passer outre ». J’ai procédé de la sorte pour préserver la réputation du ministère, voire la réputation de l’Etat, pour protéger les droits des citoyens et éviter des procès perdus d’avance qui auraient englouti de l’effort et de l’argent. D’autant que les factures correspondaient à des travaux qui avaient réellement été effectués ».
Elle a par ailleurs estimé que les inspecteurs de l’IGF ont considéré à tort certaines de ses actions comme non conformes à la loi et à la réglementation « c’est parce qu’ils ne sont référés à l’article 43, paragraphe 4 du code des marchés publics et parce qu’ils ont ignoré les décisions gouvernementales ainsi que les décisions interministérielles entre le ministère des finances (tutelle de l’IGF ) et le ministère de la culture autorisant des dérogations et des exceptions ».
Elle a en outre souligné que : « Les comptes d’affectation spéciale de ces manifestation ont été clôturés dans le cadre des lois des finances et tout le monde sait qu’aucun compte ne peut être clôturé sans passer par le contrôle de l’IGF, de la Cour des Comptes et des deux chambres du Parlement ».
« Aucun contrat signé »
Elle a regretté que : « Les enquêteurs aient ignoré les très courts délais accordés à la préparation et à la réalisation de ces manifestations culturelles. Ces derniers n’ont fait ressortir ni détournement, ni dilapidation, ni profit, ni corruption ou encore favoritisme au profit de mes amis et mes proches ».
L’ancienne ministre a par ailleurs réaffirmé : « Je n’ai signé aucun accord ou contrat de manière illégale ».
A propos des manifestations culturelles, la clôture des comptes des manifestations par le ministère des finances et le parlement prouvent mon respect et ma non responsabilité dans d’éventuels dépassements car certains comptes ont été clôturés après mon départ du ministère à l’instar elle a ajouté : « Alger, capitale de la culture arabe 31-12-2014 et Tlemcen, capitale de la culture islamique 2011-31-12-2015 ».
Elle se rappelle avoir dit-elle clôturé que « Le compte du 2e festival culturel panafricain le 31-12-2012 dont les rapports établis par respectivement de la Cour des Comptes et la loi portant règlement budgétaire 2009 ne font état d’aucun dépassement à caractère pénal ».
Pour ce qui est du film « l’Emir Abdelkader », ce dernier a couté zéro centime au trésor public parce qu’il a été financé par la redevance sur la copie privée dont une partie a servi à son avancement et à sa préparation. Ces dépenses ont été approuvées par un expert-comptable ».
A propos du même film, Khalida Toumi a tenu à préciser que : « la date du début du tournage a été officiellement fixée au 4 juillet 2014, mais j’ai quitté le ministère 3 mois avant ce rendez-vous, le 5 mai 2014 j’ai été étonnée d’apprendre par la presse nationale, la mise en arrêt du film en juin 2014 ».
Elle a clamé haut et fort : « Je n’ai jamais appartenu ni appartiendrais à ce qu’ont appelé la « Issaba »puisque je m’y suis opposée. J’ai combattu toutes les dérives et j’ai quitté le gouvernement en 2014 à ma demande, lorsque j’ai constaté avec conviction que le Président de la République est sciemment porté absent, que j’ai vu, plus qu’une fois ce qui est devenu le système de gouvernance dans lequel l’autorité institutionnelle légitime a été remplacée par une autorité parallèle, obscure et illégitime ».
En 2015, conclu-elle j’ai assumé mes responsabilités de citoyenne soucieuse de l’intérêt de mon pays avec la signature avec 18 personnalités nationales, une lettre ouverte adressée au Président, lui demandant de nous recevoir pour lui exposer notre profonde inquiétude face au cours dangereux pris par le régime en légalisant la prédation de la propriété collective et de l’argent public, faisant exploser le pillage de nos ressources nationales à l’intérieur et à la l’extérieur et la généralisation de la corruption ».
Elle n’a pas caché son mécontentement quant à la campagne médiatique lancée à son encontre par le procureur de la République près le tribunal de Tlemcen : « Il a animé une conférence de presse pour déclarer aux journalistes et à l’opinion publique que j’ai fui le pays vers la France et que le procureur de la République près le tribunal de Sidi M’Hamed n’a pas pu m’auditionner pour cette raison. Cette déclaration a été publiée par l’APS, le 19 juin 2019 alors que l’affaire n’était pas encore enrôlée au niveau de la justice et que je n’avais reçu aucune convocation ».
Bouc émissaire
« Juste après, j’ai été convoquée par le conseiller chargé de l’instruction qui a déclaré à la fin de mon audition. Personne sur terre ne peut dire que Khalida Toumi a pris un seul centime ».
Elle a enfin déclaré : « Je suis victime d’un complot qui avait comme objectif la mise en œuvre de représailles sélectives dans lequel la justice a été trainée pour régler des comptes et j’ai été sacrifiée comme bouc émissaire dans le cadre d’un procès illégal organisé par des personnes connues comme mercenaires ».
Elle a tenu à rappeler : « J’ai été incarcérée le 4 novembre 2019 à minuit sur ordre du précédant pouvoir. Etant donné que ce pouvoir est parti et a été remplacé par une nouvelle autorité et à sa tête, le Président de la République qui s’est engagé à garantir l’indépendance de l’appareil judicaire et à mettre un terme à l’arbitraire dans l’exercice du pouvoir ».
D’une voix amarrée, elle a déclaré au président en charge du dossier qui lui prêtait une oreille attentive : « je suis innocente des faits qui me sont reprochés c’est pourquoi d’ailleurs monsieur le président je vous sollicite de me libérer… ».