Jeu des USA au Maghreb, l’Algérie revoit ses cartes
A quoi joue l’Amérique de Trump ? La transaction tripartite entre les USA, le Maroc et Israël est non seulement douteuse par son timing mais aussi par sa nature a de quoi pousser les analystes à poser certains nombres de questions.
La décision de Trump de reconnaitre la souveraineté du Maroc sur le Sahara occidental occupé est-elle structurelle dans la nouvelle politique étrangère américaine ? Si ce n’est pas le cas, donc si le caractère conjoncturel prime, cette décision est-elle réversible ? Washington est-elle en train d’attiser la tension en Afrique du Nord afin de mieux se placer et par là même couper la route aux nouveaux partenaires des pays africains, la Russie et la Chine ? Chose est sure, l’Algérie se doit d’opérer un aggiornamento stratégique afin d’évaluer ses options d’alliances et de partenariats.
Le fait de solder deux questions à la fois entre deux twittes donne l’impression que le président américain dont le mandat s’achève dans un mois ai fait bouger les lignes sur les registres sahraouis et palestiniens. Ces deux questions de décolonisation sont régies par les résolutions du Conseil de sécurité de l’Onu, et ne sont en réalité, pas soumis aux désidératas de n’importe quelle administration américaine, donc la décision de dépasse pas l’effet d’annonce «numérique». D’ailleurs, Camara Harris, la future vice-présidente a déclaré que la décision de Trump n’engage en rien l’administration Biden qui prendra ses quartiers après lea 20 janvier 2021.
Ainsi, la sortie Twitter de Trump est, ni plus ni moins, dictée par une conjoncture défavorable au locataire de la Maison blanche qui veut, par des actes spectaculaires, attirer l’attention sur sa personne et légué à la postérité une pax hebraïca à défaut d’une pax americana.
Cependant, cette position américaine, toute conjoncturelle qu’elle soit, ne doit pas faire oublier une chose : pour les Américains, il y a les alliés et les partenaires. S’ils déclarent que l’Algérie est un partenaire solide en Afrique du Nord, ils proclament, actes à l’appui, que le Maroc demeure un allié qu’ils ne laisseront pas tomber. Pourquoi ? Cette grille de lecture, reliquat de la Guerre froide est importante à saisir. Le Maroc depuis son indépendance en 1956 s’est inscrit résolument dans le camp occidental, et plus précisément sous l’aile de la France et des Etats-Unis.
Et jusqu’à présent, les Marocains sont les premiers clients du complexe militaro-industriel américain dans la région de l’Afrique du Nord selon le magazine spécialisé Forbes. En 2019, le Maroc a acheté de l’armement américain pour la somme de 10.3 milliards de dollars, dont le plus gros est destiné à l’armée de l’air. En plus, Trump, en bon magnat de l’immobilier lorgne des marchés du côté du Maroc dans sa nouvelle vie post-présidentielle.
Reste qu’en soufflant le chaud et le froid entre l’Algérie et le Maroc, l’administration américaine semble vouloir maintenir un statu quo dans la région, une sorte de jeu à somme nulle : ni gagnant ni perdant où se greffe aussi les crises libyenne et malienne. En réalité, ce sont les peuples de la région qui paient le prix fort de ce jeu dangereux des puissances. L’instabilité géopolitique avec la reprise des hostilités au Sahara occidental occupé suite à la violation par le Maroc des accords de cessez-le-feu avec le Polisario est perçue à Washington comme une aubaine. Pourquoi ? Le casus belli fait les affaires des Américains qui vont vendre davantage d’armes aux Marocains et les arrange en empêchant les concurrents directs d’investir davantage la région. Russes et Chinois vont voir leurs projets économiques et commerciaux remis en cause par cette instabilité.
Quid de l’Algérie ? La politique de diversification des partenaires a été payante jusqu’à présent, ce qui a fait sortir le pays du tête-à-tête avec la France. Cependant, ce dernier épisode a démontré que le partenaire américain reste peu fiable, lui qui ne veut pas changer de postulats stratégiques qui datent de la Guerre froide, du moins pour la lutte d’influence en Afrique du Nord. En confortant le Maroc, même dans une démarche conjoncturelle, Washington démontre à Alger qu’elle a fait un choix.
C’est à l’Algérie maintenant de faire les siens. Sans prétendre couper avec la superpuissance américaine, Alger gagnerait à renforcer sa coopération stratégique multiforme avec les puissances économiques et militaires montantes du bloc eurasiatique, c’est-à-dire la Russie et la Chine. L’Algérie peut devenir un hub régional pour ces puissances, un débouché de la Route de la Soie chinoise et une porte vers l’Afrique pour les Russes.
Et le fait que le Maroc normalise avec Israël avec la bénédiction des pays arabes, et en premier lieu de l’Etat de Palestine, qui pourtant a été proclamé à Alger en novembre 1988, renseigne sur la nature réelle de la Ligue des Etats arabes. Un autre aggiornamento stratégique concernant l’appartenance de l’Algérie à cet organe né en 1945, avant même les Nations unies, est semble-t-il nécessaire.
Alger dispose de plusieurs cartes pour faire valoir ses atouts et affirmer ses positions, n’en déplaise à tout le monde.
La raison est édifiante. Le Maroc est désormais présenté comme le pays pivot des Etats-Unis dans la région du Maghreb. L’Algérie doit cependant tourner le regard vers l’Est afin de conforter son alliance tous azimut avec son partenaire de toujours la Russie ainsi que son alter-égo la Chine. Il est advenu clair qu’il n’y a plus rien à attendre de Washington pour la stabilité dans la région.