Il avait ‘’vendu’’ à Sarkozy la dénonciation des accords d’Évian: Patrick Buisson retrouvé mort chez lui
Au plus fort de l’actuel débat sur l’immigration, Edouard Philippe et Eric Cioti ont demandé l’abrogation de l’accord franco-algérien de 1968. Patrick Buisson est allé bien plus loin. À la différence du Premier ministre à l’aube du premier quinquennat de Macron et du chef des Républicain qui ont voulu solder le texte sur ‘’la circulation, le séjour et le travail des Algériens en France’’, l’ex conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée a plaidé la dénonciation des accords d’Évian. L’écrivain et politologue a été retrouvé mort, mardi, chez lui aux Sables d’Olonne en Vendée.
Né en 1949 dans la très bourgeoise Neuilly-sur-Scène — municipalité qui a servi de rampe de lancement politique à Nicolas Sarkozy —, Patrick Buisson a grandi dans une famille ‘’Algérie française’’ dans l’âme. Cette filiation a nourri son imaginaire et l’a accompagné de bout en bout de son parcours. ‘’Nostalgérique’’, il n’a pas cessé de souffler sur ‘’les feux mal éteints de la guerre d’Algérie’’, pour reprendre la formule du journaliste-écrivain Philippe Labro.
Il avait à peine 13 ans quand, en mars 1962, il avait refusé de respecter la minute de silence organisée, dans la cour de son lycée, à la mémoire de Mouloud Feraoun et ses cinq collègues des Centres sociaux assassinés par l’OAS. Étudiant en histoire à l’université de Nanterre, il avait choisi pour modèle académique notamment Philippe Ariès et Raoul Girardet, deux historiens résolument opposés à l’indépendance de l’Algérie.
Illustration pédagogique de son attachement à la ‘’nostAlgérie’’, les sujets qu’il a choisi de traiter. En 1971, il a soutenu sous la direction de René Rémond un mémoire de maîtrise sur « Les Courants idéologiques dans le mouvement de défense de l’Algérie française ». Cinq ans plus tard, il a voulu labourer — sous la direction de son modèle Raoul Girardet — un corpus plus dense : ‘’Les Courants idéologiques dans le mouvement de défense de l’Algérie française’’. Mais, faute de soutenance, il n’a pas été jusqu’au bout de son pari.
Tour à tour Journaliste de l’hebdomadaire d’extrême-droite « Minute » avant d’en devenir le directeur de rédaction puis directeur de la rédaction de « Valeurs actuelles » et éditorialiste-chroniqueur à « LCI », il s’est rapproché de Nicolas Sarkozy lors de son passage à la tête du ministère de l’Intérieur. C’était en 2005 sur fond d’adoption du très controversé article 5 sur le ‘’rôle positif de la colonisation’’.
Entre autre dommages collatéraux de l’adoption de cet article, l’annulation de la visite du ministre Sarkozy à Alger. Sous l’effet d’une grande mobilisation des historiens et de pans entiers de la classe politique dont une majorité de ‘’chiraquiens’’, le texte a fini par être retiré.
Candidat à la présidentielle de 2007, Nicolas Sarkozy a fait du natif de Neuilly un des conseillers les plus à même de l’aider dans sa quête de l’Élysée. C’est, du reste, lui qui lui a suggéré l’idée de création d’un ministre de l’Immigration et de l’Identité nationale. Et c’est encore lui qui, à l’heure de la campagne pour un second mandat, lui a suggéré de dénoncer purement et simplement les accords d’Évian. Cette information a été révélée trois ans après les faits dans « Le Mauvais Génie », un livre publié par deux journalistes du Monde chez Fayard en 2015.
Revisitant le parcours de cet homme non professionnel de la politique mais ‘’très influent’’, Ariane Chemin et Vanessa Schneider — journalistes d’investigation — y racontent, par le menu détail, comment Patrick Buisson a ‘’vendu’’ au candidat Sarkozy cette idée pour le moins inédite. « Qui peut imaginer que, en 2012, Nicolas Sarkozy a failli proposer de dénoncer les accords d’Evian qui ont mis fin à la guerre d’Algérie ? C’est l’idée qui a germé à quelques semaines du premier tour, dans le cerveau du conseiller », écrivent les deux journalistes.
Selon les deux auteurs, « un temps déconcerté » par la teneur de la suggestion, le président-candidat « finit par se laisser convaincre » en indiquant qu’il en parlera sur France 2 le 26 avril 2012 à l’heure du prime time et de l’entre-deux-tours. Le moment venu, le candidat à sa propre succession n’annoncera pas son engagement de solder les accords paraphés par Louis Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie côté français et par Krim Belkacem côté algérien. « Je ne l’ai pas senti », dit Sarkozy à son équipe de campagne en sortant, selon le récit des auteurs du livre. Ce ‘’ nabot » n’a « aucun courage », réagit alors un Patrick Buisson, condamné, entre autres forfaits, pour avoir enregistré — à son insu — Sarkozy à l’Élysée.
Directeur de la chaîne « Histoire » — une thématique appartenant au groupe TF1 — tout en conseillant Sarkozy, Patrick Buisson s’est également investi dans le registre de l’écriture de l’histoire avec une prédilection pour la guerre d’Algérie.
Après avoir co-écrit, en 1984, avec Pascal Gauchon — ex-rédacteur en chef de « Défense de l’Occident » (une sorte de « Minute ») — « OAS, Histoire de la résistance française en Algérie », il a publié, en 2009, chez « Albin Michel » un beau livre : « La Guerre d’Algérie ». Guidé par sa propre lecture du plus sanglant des conflits de décolonisation, l’auteur a accompagné par sa plume plus de quatre-cent images. Issu du fonds de l’ECPAD, l’établissement de communication et de production audiovisuelle du ministère de la Défense, ces visuels ont été capturés, durant les sept ans de guerre, par les militaires photographes du service cinématographique des armées.
Éditeur, entre autres auteurs algériens, de Mohamed Dib, Rachid Mimouni et Assia Djebar, « Albin Michel » a emprunté à Patrick Buisson ses propres éléments de langage pour les besoins de la quatrième de couverture. « Cinquante ans après, les évènements d’Algérie demeurent très proches du coeur de beaucoup de Français (…) On croyait déjà tout connaître de l’implacable enchaînement des faits et puis voici qu’avec cet album le service cinématographique des armées ouvre ses archives. Ces images, pour la plupart inédites, racontent une autre histoire : celle d’un rêve algérien impossible. Elles nous signalent que l’erreur serait de ne voir dans la guerre d’Algérie que l’ultime et tragique épisode d’une ère coloniale en fin de course ».
Résumant son deuxième livre sur ce qui, jusqu’à 1999, était qualifié d’’’évenements’’ dans le discours officiel français, l’ex conseiller de Sarkozy et historien de formation brosse du conflit une vision complément à rebours des travaux historiens les plus rigoureux.
« Une incroyable force émotionnelle se dégage de ces documents : le défilé de la première harka féminine, les officiers S.A.S transformés en hussards kakis de la République, l’extraordinaire fraternisation du 13 mai 1958 sur le forum, mais aussi l’agonie d’un sergent-chef dans le désert de Timimoun, la traque nocturne des réguliers de l’ALN et tant d’autres aspects insolites de la guerre que les « soldats de l’image » ont saisi au vol pour l’éternité. Un film complète cet album et en fait à la fois un document exceptionnel et un irremplaçable témoignage pour l’histoire ».
Il n’en fallait pas plus pour que sept historiens et chercheurs connus pour la qualité et la rigueur de leur travaux montent au créneau pour épingler le contenu du beau livre. Omar Carlier, Mohammed Harbi, Gilbert Meynier, André Nouschi, Jean-Charles Jauffret, Michel Cornaton et Pierre Sorlin ont passé au crible le texte de Buisson ligne par ligne et passé en revue les quelque 400 images.
Publié sous forme de ‘’tribune livre’’ dans les colonnes du Monde, leur texte s’en prend à un contenu éditorial et iconographique qui rappelle, à bien des égards, le ton du très controversé article 5.
La publication signée Buisson a été décrédibilisée d’entrée. « Si l’histoire vraie s’écrit en confrontant des documents d’origine différente, le luxueux album que Patrick Buisson consacre à la guerre d’Algérie ne montre que des photos militaires françaises conçues comme armes de guerre psychologique. Que dirait-on d’un livre sur la guerre de 1954-1962 qui serait illustré uniquement avec les photos du FLN ? Qu’il s’agirait d’apologie, non d’histoire’’.
« Rien dans le titre, observent les signataires de la tribune libre, ne dit qu’il s’agit de la guerre vue par le service photographique des armées : circulairement, l’armée se raconte l’Algérie qu’elle a rêvée, et fait encore post bellum rêver l’auteur. L’album est un bréviaire de l’esthétisme légionnaire/para, un péan nostalgique au temps viril guerrier. En dépit de la suppression de l’article 4 de la loi du 23 février 2005, il magnifie l’Algérie française et réhabilite le fait colonial ».