Harcèlement sexuel en milieu de travail : Des femmes brisent le silence

Le harcèlement sexuel à l’égard des femmes dans le milieu professionnel prend de l’ampleur en Algérie. Il continue de causer beaucoup de problèmes, notamment d’ordre mental et psychique. Autrefois tabou et écrasé par les interdits, le phénomène est aujourd’hui dénoncé par les victimes même si, dans la majorité des cas, la loi n’a pas pu les protéger puisque les prédateurs ne répondent pas de leurs actes. Chez certaines femmes, parfois, c’est leur destin professionnel qui est brisé et toute une carrière qui est mise entre parenthèses. Témoignages…

Les cas de harcèlement sont malheureusement répandus dans les milieux professionnels. Les victimes souffrent de désagréments engendrés par ces agissements. C’est le cas de Samira, une jeune fille âgée de 34 ans, ambitieuse et qui a bossé très dur. Son travail rigoureux et sa volonté lui ont valu un poste en tant que responsable dans une entreprise privée à Alger. Les premiers jours, tout paraissait calme et tranquille. Elle entretenait de bonnes relations avec tout le personnel. Après deux mois de répit, son responsable hiérarchique a commencé à lui rendre la vie difficile. 

Se confiant au Jeune Indépendant, elle a raconté toute la souffrance, surtout morale, dont elle a fait l’objet, indiquant que son supérieur ne cesse de lui lancer des regards déplacés, la complimenter sur son physique à longueur de temps. « A chaque fois, je le remettais à sa place en lui expliquant que je ne tolérerais guère ce genre de comportement, lequel n’est pas professionnel. Sa réaction a été de me faire des misères au boulot », a-t-elle précisé. 

Elle a ajouté qu’en plus des provocations et des remarques insensées auxquelles elle était confrontée devant le personnel, il cherchait des prétextes infondés pour me faire des questionnaires auxquels elle ne répondait jamais. De plus en plus, la situation a pris une proportion plus grave.

La jeune fille a déclaré qu’un jour, alors qu’elle était allée consulter ce même supérieur dans le cadre du travail, ce dernier lui a attrapé les mains, la plaquant contre le mur pour l’empêcher de bouger, tout en abusant de sa dignité. « Je l’ai repoussé de toutes mes forces et je suis sortie en courant de son bureau, paniquée et affolée. J’ai pris mon sac et je suis rentrée à la maison », a-t-elle affirmé. 

Samira a confié que la scène dont elle avait été la victime l’a choquée. Elle a déclaré que « le lendemain, elle a pris la décision de quitter l’entreprise sans aucun préavis vu que l’atmosphère était délétère ». Avant de partir, Samira a écrit au P-DG de l’entreprise une lettre dans laquelle elle a dénoncé le harcèlement dont elle a fait objet. « Malheureusement, aucune suite n’a été donnée à mon écrit. Au contraire, le jour où je suis partie récupérer mon attestation de travail, j’ai croisé mon supérieur dans le couloir qui affichait un sourire moqueur. J’ai su alors que j’avais bien fait de décider de quitter ce milieu pourri. Je ne regrette pas de l’avoir dénoncé », a-t-elle conclu. 

La même situation a été vécue par Kenza, une jeune fille de 22 ans qui n’a pas encore terminé ses études universitaires à la fac de droit d’Alger et a préféré apprendre le métier sur le terrain. Se confiant au Jeune Indépendant, elle a précisé avoir pris contact avec une entreprise privée pour un stage de trois mois, surtout que c’était les vacances d’été. Elle a raconté être tombée sur un pervers. Ce dernier, une fois dans son bureau, avait fermé la porte et tenté d’abuser d’elle. Kenza l’a repoussé et, depuis, n’a plus remis les pieds dans cette entreprise. 

Il faut dire que nombreuses sont les femmes qui souffrent en silence, de peur des préjugés de la société qui la jugera sans tenir compte de sa souffrance et de son humiliation. Malheureusement, les harceleurs ont tiré profit de cette situation et de la peur des victimes.

Par conséquent, leurs comportements restent impunis. Il convient de noter que le harcèlement sous toutes ses formes, et en particulier le harcèlement sexuel, existe dans le monde du travail, au sein de la famille ou même dans la rue. Il représente un enchaînement d’agissements hostiles et à connotation sexuelle, dont la répétition et l’intensité affaiblissent psychologiquement la victime.

 Des conséquences psychologiques graves 

Selon une étude effectuée par la professeure Naima Ben Si Saïd-Zarguen, à l’université Mouloud-Mammeri campus Tamda, sur « Les conséquences du harcèlement sexuel sur des employées en milieu professionnel algérien », l’auteure a indiqué que « le harcèlement sexuel sur des femmes prend de plus en plus d’ampleur dans les milieux professionnels algériens. Il constitue une menace pour l’intégrité psychique et professionnelle des employées.

Le harceleur utilise un ensemble de comportements verbaux et non verbaux à caractère sexuel, offensants, non désirés ou non réciproques à l’égard de sa collègue. Ce comportement provoque chez sa victime des conséquences psychologiques graves et peut même entraîner la baisse du rendement professionnel et pousser, entre autres, à l’abandon ou à la démission de son poste de travail. 

« Cette étude a été menée auprès d’un échantillon aléatoire de femmes employées dans une entreprise algérienne âgées de 20 à 60 ans. Pour répondre aux objectifs de l’étude, elles ont répondu à un questionnaire d’auto-évaluation sur le harcèlement sexuel. Les analyses statistiques ont montré que 77,92 % des employées auraient été victimes de harcèlement sexuel, soit par un responsable hiérarchique (56,66 %), soit par un collègue (21,26 %). 

Ces comportements non désirés ont produit des effets défavorables sur la santé mentale des victimes. En effet, 99,99 % des victimes ont évoqué une panoplie de troubles psychologiques tels que les troubles émotionnels (53,33 %), les troubles du sommeil (16,66 %), les pensées suicidaires (08,33 %), la dépression (11,67 %) mais aussi des troubles organiques tels que les maladies d’ordre gastrique (10 %), ce qui a induit chez la majorité de la population, soit 99,99 % de l’échantillon à la réduction de leur rendement au travail. 

Ces résultats attirent l’attention sur l’importance des conséquences enregistrées chez ces victimes de harcèlement sexuel au travail, et qui peuvent encore contribuer à la déchéance psychologique de ces cas, d’autant plus que le harcèlement a pris des dimensions morales, soit en couvrant ou en humiliant le harceleur mais rarement en déposant plainte contre lui », a-t-elle ajouté.  

Contacté par le Jeune Indépendant, le Dr Nadia Houaoui, spécialiste en maladies nerveuses et psychologiques, a indiqué que le harcèlement est un mode de persécution consistant à enchaîner, de façon répétée, des agissements ou paroles hostiles afin de démoraliser et d’affaiblir la victime.

Mettant en exergue une autre forme de harcèlement, la psychiatre a expliqué que « le harcèlement moral au travail ou en vie privée peut entraîner pour la personne qui le subit une dégradation de ses conditions, pouvons aboutir à une atteinte à ses droits et sa dignité, ou une altération de sa santé physique et mentale (par des gestes, des paroles, des comportements et des attitudes répétés et systématiques) par l’employeur ou par un collègue (insultes, mise au placard, intimidation, humiliation ) ».

Le Dr Houaoui a fait savoir que la victime souffre ainsi de dépression avec nervosité, irritabilité, anxiété, troubles du sommeil, fatigue, hypertension artérielle, consommation de psychotrope. L’employée devient dès lors non efficace. Elle a rappelé que pendant son parcours professionnel, elle a rencontré plusieurs victimes de harcèlement moral au travail. « Les patients consultent dans des états de stress important, allant jusqu’à la dépression grave, nous sollicitant pour des arrêts de travail. 

Parfois même, elles démissionnent. La prise en charge reste difficile quand les conditions de travail persistent », a-t-elle expliqué. Selon la spécialiste, les symptômes de la dépression s’estompent après avoir dénoncé l’agresseur au niveau de l’Inspection de travail et surtout après avoir eu gain de cause.