Fraude au bac : La facture de l’impunité

Les épreuves du baccalauréat ont pris fin le jeudi 24 juin. Ces examens constituent une étape décisive dans le cursus scolaire de l’élève puisque le résultat influera sur la suite de son parcours, ce qui pousse certains à recourir à la triche pour s’en sortir, au détriment de toutes les lois et de toute règle d’honnêteté. Un phénomène qui resurgit chaque année et aucune solution n’a été trouvée à ce jour pour lui mettre définitivement fin.
Malgré les mesures draconiennes prises par les autorités concernées, notamment les coupures d’Internet, le spectre de la triche a encore plané cette année sur les épreuves du bac. Certes, le phénomène n’est pas exclusivement algérien mais il a pris, ces dernières années, une tournure inquiétante, finissant par menacer sérieusement la crédibilité du bac et sa réputation à travers le monde. Cette année, quelques incidents ont émaillé les épreuves. Le ministère de la Justice a annoncé, jeudi sur sa page Facebook, que 77 personnes sont poursuivies pour fraude au bac, dont 29 ont été placées sous mandat de dépôt et deux sous contrôle judiciaire. 33 d’entre eux ont été condamnés à des peines de prison allant de 6 à 18 mois de prison et à une amende pouvant aller jusqu’à 100 000 DA.
Les faits objet de suivi sont le délit de publication des sujets et réponses aux épreuves du baccalauréat à l’aide de moyens de communication à distance. Mais cela est-il est vraiment suffisant pour neutraliser ce phénomène qui ne cesse d’entacher cette épreuve décisive dans la scolarité des élèves. Pour le syndicaliste et enseignant à la retraite, Bachir Hakem, le problème est plus complexe que ça. C’est une conséquence de plusieurs défaillances, que ce soit au niveau de la famille, de l’école et de la législation.
Un système éducatif fragile ou une crise de valeur ?
Contacté par le Jeune Indépendant, M. Hakem n’a pas caché son indignation face à ce fléau, qui ne cesse de gagner du terrain. Il a souligné que «le phénomène de la triche aux examens a toujours existé, seulement les moyens diffèrent. Cela fait longtemps qu’on a parlé et rien n’a changé. Au contraire, cela empire». Le pédagogue a estimé que selon plusieurs études sur la question, près de 50% des étudiants auraient déjà triché. Et cela, a-t-il dit, est une conséquence de l’impunité pendant tout le cursus scolaire. «Généralement, les élèves pris la main dans le sac le jour du bac représentent une part infinitésimale des candidats (0,001%), alors que la triche aux examens et concours est largement plus répandue et atteint un taux beaucoup plus élevé avec le développement de l’utilisation de la technologie mise en place, laquelle est devenue indétectable», a-t-il précisé.
«La tricherie est un phénomène bien connu des établissements scolaires, du primaire à l’université. Elle se répercute sur toute la société car l’élève est le futur citoyen de demain. Il y a toujours eu des étudiants tricheurs et il y en aura toujours», a-t-il déploré. Le syndicaliste a estimé que l’impunité est la deuxième chose qui entraîne l’enfant vers l’irresponsabilité, la violence et la tricherie. Il a pointé du doigt les parents, car la première responsabilité repose sur l’éducation qu’ils inculquent à leurs enfants. «Les parents, qui protègent leur enfant par tous les moyens pour lui éviter un échec, le desserve totalement. Il est presque aujourd’hui impossible de sanctionner l’enfant», a-t-il regretté. Pour mettre fin à ce phénomène, on doit commencer, a insisté le syndicaliste, par combattre la violence, la triche et la faiblesse des enfants, et cela doit se faire dès les premiers pas de l’enfant, lequel est victime de ses parents, de l’école et de la société.
Une législation défaillante
M. Hakem a estimé que le problème est aussi un problème de législation et de manque de moyens légaux donnés à l’école pour combattre la tricherie scolaire ainsi que le phénomène de la violence.
Il a regretté que cette même législation a enlevé à l’éducateur son autorité pédagogique, ce pourquoi il se trouve confronté à la violence et à la tricherie tout au long de l’année. «Alors, nous observons une démission pédagogique de l’éducateur en l’absence d’un cadre qui le défende, lui et l’enfant», a déploré M. Hakem. «L’autorité pédagogique est dans l’intérêt de l’enfant et c’est une accompagnatrice des parents dans l’éducation de leur enfant mais, malheureusement, les parents d’aujourd’hui refusent toute autorité sur leur enfant jusqu’à en recourir à la justice». Toutefois, il a admis que certains éducateurs abusent de cette autorité mais il a tenu à souligner que ces cas sont rares, et c’est justement à l’école de les sanctionner et de les exclure.
Evoquant les sanctions prononcées à l’encontre des fraudeurs, le syndicaliste a estimé qu’ils n’ont jamais été efficaces en fin de parcours scolaire. Selon lui, les sanctions pénales sont exagérées dans la mesure où il n’y a pas eu violence ou agression. Aussi, la solution, de l’avis de M. Hakem, c’est de combattre la violence et la triche dès le départ dans la société. Toutefois, a-t-il souligné, si rien n’est fait pour enrayer ces comportements, ils pourraient se généraliser très rapidement et devenir «la norme», détruisant ainsi la crédibilité de notre système éducatif. «Il faut s’interroger sérieusement sur la qualité du produit fini qui sort de nos écoles. Si nous voulons que tous les efforts de formation ne soient pas vains, ils doivent être accompagnés d’une solide éducation aux valeurs humaines», a-t-il affirmé.
Pour l’ancien professeur de mathématiques, les autorités n’essaient pas de comprendre la source du problème mais cherchent seulement à le résoudre par un arsenal de mesures tant organisationnelles que juridiques, perçues comme répressives par les candidats. Il s’interroge de ce fait s’il est toujours utile de déployer un système aussi cher et aussi lourd pour le bac. «Si au moins cela permettait de vérifier que les candidats ont acquis des connaissances. Mais c’est loin d’être le cas. La preuve, le bac n’apporte même pas la certitude qu’un bachelier soit capable de rédiger une dissertation. Je pense qu’il serait préférable de garder seulement trois épreuves avec les matières principales et des coefficients élevés. Le reste pourrait être noté en contrôle continu», a proposé M. Hakem en guise de solution pour combattre le phénomène et réduire la pression sur les candidats à l’examen. Il a toutefois insisté sur le fait que la solution de cette crise se trouve à l’école et dans les missions des systèmes éducatifs chargés de former des citoyens respectueux de l’intérêt général, intègres, ayant le sens de l’éthique et luttant contre toutes les tricheries.
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