France-Algérie: une relation banalisée?

Il y a eu la « refondation », puis le « partenariat stratégique » et maintenant la « vision rénovée ».
Au fil des mandats, la relation entre l’Algérie et la France se trouve enfermée dans une recherche de formules dont il est difficile de saisir la substance. La dernière trouvaille est de l’ambassadeur d’Algérie à Paris qui a saisi l’occasion du soixantenaire de l’indépendance pour aller de sa rhétorique.
Dans une cérémonie spéciale, il a souligné la volonté des présidents Abdelmadjid Tebboune et Macron d’insuffler une « nouvelle dynamique » à la relation bilatérale, « suivant une vision rénovée, pleinement respectueuse des souverainetés et de l’équilibre des intérêts ».
Quand on passe d’un projet de « partenariat stratégique » au simple désir d’une « vision rénovée », c’est clairement une volonté de banalisation et une baisse d’ambition qui sont exprimées, et le rappel du « respect des souverainetés » n’est pas fortuit. Y aurait-il une énième crise latente ou serait-ce simplement une incapacité du diplomate à trouver les mots correspondant à la réalité de la situation ? L’été est parfois propice à des poussées de fièvre quand il faut demander les visas aux nouveaux personnels diplomatiques.
L’intention de Macron de se rendre « prochainement » en Algérie à l’invitation de son homologue algérien, dissipera sans doute ce brouillard. Abdelmadjid Tebboune a lancé l’invitation à Emmanuel Macron après la réélection de celui-ci pour un nouveau mandat. Macron lui a écrit à l’occasion du 5-juillet.
« Monsieur le Président et mon cher ami, j’ai l’immense plaisir, en ce 5 juillet 2022 où l’Algérie commémore son 60e anniversaire de l’indépendance, de vous adresser, au nom de la France et en mon nom propre, à vous, l’Algérie et son peuple, un message d’amitié et de solidarité, accompagné des félicitations les plus sincères à votre pays », lit-on dans la lettre.
Dans ce document, M. Macron évoque une prochaine visite en Algérie sans donner de dates. « En réponse à votre invitation, je serai heureux de venir en Algérie prochainement pour lancer ensemble ce nouvel agenda bilatéral, construit en confiance et dans le respect mutuel de nos souverainetés », a écrit M. Macron.
Le président français a ajouté souhaiter que « nous puissions y travailler dès maintenant pour appuyer cette ambition sur des fondations solides et l’inscrire dans un calendrier partagé ». Comme on le voit, le ton est plutôt adouci en comparaison de ce qui a été entendu en octobre dernier. Macron avait affirmé que l’Algérie s’était construite après son indépendance sur « une rente mémorielle », entretenue par « le système politico-militaire », suscitant l’ire d’Alger.
Autre signe positif: la présence de l’historien français Benjamin Stora lors des festivités du 5-Juillet, à la tribune officielle. Il a même été reçu par le président de la République. Et, selon l’historien, auteur d’un rapport sur la mémoire de la colonisation, le président Tebboune a proposé un « travail de mémoire » commun sur toute la période de la colonisation française en Algérie.
L’historien, qui était porteur d’une lettre du président français, a été reçu plus d’une heure lundi à Alger par le président Tebboune, à la veille de la commémoration en grande pompe du 60e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie.
« C’est la première fois qu’il y avait une discussion au fond » côté algérien sur ces questions mémorielles depuis la publication du rapport, a souligné Benjamin Stora dans un entretien à l’AFP.
« Je pense qu’il y a une volonté, de relancer je ne sais pas si c’est le mot, mais de poursuivre un dialogue », estime Benjamin Stora, en notant un « changement de ton » entre Paris et Alger.
Le président Tebboune lui a expliqué « l’importance majeure d’un travail de mémoire sur toute la période de la colonisation », au-delà de la seule guerre d’Algérie (1954-1962), un avis partagé par l’historien.
« La guerre de conquête a été très longue et très meurtrière. Elle a duré pratiquement un demi-siècle », de 1830 à 1871, rappelle Benjamin Stora.
Elle a été marquée par une « dépossession foncière et identitaire » – « lorsque les gens perdaient leur terre, ils perdaient leur nom » – et par la mise en place d’une « colonie de peuplement », avec au final un million d’Européens sur neuf millions d’habitants.
Autant de traumatismes qui perdurent jusqu’à aujourd’hui dans la perception réciproque des deux peuples et qui « expliquent la difficulté des relations franco-algériennes », dit-il.
« Les gens ne connaissent pas ce qu’il s’est passé. C’est le problème de la transmission aux jeunes générations et du travail en commun », souligne Benjamin Stora.- « En Algérie, l’accent a été mis essentiellement sur la guerre de libération nationale. Il y a eu en France comme en Algérie une polarisation extrême sur l’unique séquence de la guerre et même de la fin de la guerre, les années 1960 à 1962 », note-t-il.
Avec en toile de fond les « affrontements de groupes mémoriels » autour des différents massacres, l’exode des pieds noirs, les luttes de pouvoir à l’intérieur du nationalisme algérien.
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