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Monde Afrique

Fractures internes et parrains externes : L’impossible équation du Soudan

Fractures internes et parrains externes : L’impossible équation du Soudan

C’est un inévitable sauve qui peut auquel sont conviés les civils ces deux derniers jours au Soudan. Des dizaines de pays ont procédé à l’évacuation de leurs ressortissants alors que cet Etat de l’Afrique de l’Est entame sa deuxième semaine de combats acharnés entre l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapides (FSR).

Le Soudan s’apprête-t-il à s’enliser dans un nouveau cycle de violences, une nouvelle guerre civile, prélude à une énième implosion? Le chaos actuel préfigure la faillite de l’Etat central tiraillé par des forces de fragmentation adossées sur des rentes locales et des parrains à l’international.

Les violences ont éclaté le 15 avril entre l’armée du général Abdel Fattah Al-Borhane, dirigeant de facto du Soudan depuis le putsch de 2021, et son adjoint devenu rival, le général Mohamed Hamdane Daglo dit Hamideti, qui commande les Forces de soutien rapide (FSR), des paramilitaires redoutés, issus des fameux Djandjawid, les milices accusées d’exactions et de crimes de guerre au Darfour entre 2003 et 2010. Les deux généraux, autrefois lieutenants de l’autre général emprisonné Omar Al-Bashir, avaient pris le pouvoir lors du coup d’Etat du 25 octobre 2021, mais ils se sont ensuite affrontés dans une lutte de pouvoir acharnée.

L’enlisement de la situation au Soudan s’est précisé début avril avec l’échec de la signature d’un accord final pour la transition, l’accord-cadre, retardé pour la deuxième fois en raison de différends sur la question de savoir si l’armée serait placée sous contrôle civil et sur les plans d’intégration au sein de l’armée des Forces de soutien rapide (FSR). Le point d’achoppement concernait la date butoir pour l’intégration des FSR au sein des forces armées soudanaises. Si le général Al-Borhane tablait sur deux ans, le général Hamideti, lui, penchait pour 10 ans.  

Le 13 avril, l’armée soudanaise déclare que la mobilisation des Forces de soutien rapide (FSR) risque d’entraîner des affrontements. Deux jours plus tard, le 15 avril, c’est le point de rupture : des combats éclatent entre les deux forces à Khartoum et dans d’autres villes. Les FSR affirment avoir pris le contrôle de sites stratégiques, ce que l’armée conteste.

Depuis, le Soudan est tiraillé par les deux protagonistes qui se livrent à des combats de rues à l’arme lourde utilisant même l’aviation pour pilonner les positions « ennemies ». Des centaines de morts de part et d’autre et surtout des civils pris en étau, des milliers de blessés et des infrastructures détruites, tel est le quotidien des Soudanais depuis le déclanchement des hostilités. La violence pourrait plonger encore des millions de personnes dans la faim au Soudan, où 15 millions de personnes, soit un tiers de la population, ont besoin d’aide, selon le Programme alimentaire mondial (PAM).

Ce dimanche, le pays a subi une panne d’internet « quasi-totale ». « Les données de réseau en temps réel montrent un effondrement quasi total de la connectivité internet au Soudan, la connectivité nationale n’atteignant plus que 2% des niveaux ordinaires », a tweeté NetBlocks, une organisation basée à Londres qui surveille l’accès au web dans le monde entier.

Les origines sociologiques du conflit
Reste que les combats qui ravagent le Soudan aujourd’hui sont le résultat d’une dialectique historique et sociologique qui constitue la trame de fond de l’histoire contemporaine du pays. D’une part, le conflit entre l’élite bourgeoise dominante dans les villes sur les rivages du Nil (Khartoum, Oum Dorman, etc.) et les populations multi-ethniques de la périphérie historiquement exploitée par l’élite dans la main d’œuvre.

Durant la première guerre civile entre 1955 et 1972 comme pendant la seconde guerre civile entre 1983 et 2005, c’étaient ce clivage qui alimentait la contradiction entre les parties en conflit. D’ailleurs, c’est à cause de cette pseudo-supériorité de la bourgeoisie arabe du centre politique du pays que le Sud Soudan a choisi l’indépendance en 2011 et que la périphérie ouest, le Darfour, est sujet aux forces centripètes depuis 2003.

Au pouvoir entre 1989 et 2019, le général président Omar Al-Bachir a perpétué le schéma dialectique ancestral en privatisant des pans entiers de l’Etat et surtout l’armée. Celle-ci a été fractionnée et les centres décisionnels multipliés afin d’éviter toute velléités de coup d’Etat. Chaque groupe militaire disposait d’une rente : à l’armée les sociétés de construction, les services et les banques, aux FSR l’industrie aurifère et le mercenariat. Al-Bachir qui a institué une autre fracture, plus grave et plus durable : entre les villes du Nil et la périphérie. L’élite devait accepter l’existence du terrorisme et de l’instabilité dans les marges lointaines au prix de la subvention de l’essence et du blé.

Le début de la guerre au Darfour en 2003 a permis l’émergence de la milice des Djandjawid, très vite domptée et structurée par Mohamed Hamdane Daglo, le futur général Hamideti, sur lequel allait s’appuyer Omar Al-Bachir dans son équation centre-périphérie. La quasi disparition des revenus pétroliers après la sécession du Sud Soudan en 2011 allait amenuiser les revenus et les rentes distribuées aux acteurs civilo-militaires du pays. Les Djandjawid, devenu Force de soutien rapide, allaient être engagé par les Emirats arabes unis comme supplétifs dans leur expédition commune avec l’Arabie Saoudite au Yémen.

La montée en puissance de Hamideti
Devenu un véritable parrain, Hamideti a construit un véritable empire financier grâce à son monopole sur l’extraction de l’or soudanais et son transfert vers les Emirats arabes unis ainsi que son organisation de filière de transfert de migrants dans la région du Sahel. Mais pour l’élite bourgeoise arabe de Khartoum, Hamideti est perçu comme un « parvenu » issu de la périphérie du Darfour, nonobstant ses origines arabes. Il constituait une menace pour la pérennité de l’alliance politico-militaire de Khartoum.

La crise économique de 2018 allait sceller le destin du président Al-Bachir, dont la stratégie basée sur l’équilibre centre-périphérie a commencé à vaciller avec la fin des subventions du blé et de l’essence. Après plusieurs mois de manifestations, l’armée et ses alliés paramilitaires allaient déposer Al-Bachir inaugurant une longue période de transition.

Les antagonismes internes étaient cependant entretenus par les facteurs extérieurs. Le gouvernement de transition du Premier ministre Hamdouk, adossé au Conseil de transition dirigé par le général Al-Borhane a engagé le pays dans la voie de la libéralisation tous azimuts. L’intégration de la périphérie du Soudan dans le processus décisionnel pour la première fois dans l’histoire du pays, par le biais de l’association de Hamideti et de ses FSR au pouvoir n’a cependant pas permis de rééquilibrer les rapports de forces à Khartoum. Au lieu de cela, l’outsider allait reproduire le système de fragmentation utilisé par Al-Bachir.

De son côté, le chef de l’armée, allait s’engager dans une normalisation à la hussarde avec l’entité sioniste, acceptant le postulat de Trump en 2020 : la normalisation contre le retrait du pays de la liste américaine des Etats soutenant le terrorisme et l’effacement de la dette. Cette connexion soudano-israélienne allait être doublée par plusieurs autres. Soutenant l’armée et son chef Al-Borhane, l’Egypte, l’Arabie Saoudite, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, l’ancienne puissance coloniale. De l’autre côté, les Emirats arabes unis, le général Hafter en Libye et le groupe russe Wagner penchent du côté de Hamideti. C’est dire que les protagonistes du conflit ont tous des parrains internationaux qui pourraient perpétuer les combats afin d’arriver à leurs fins.

Quid de l’avenir du Soudan comme Etat-Nation ? Le pays pourra-t-il surmonter cette énième crise qui risque de le fragmenter une nouvelle fois ? Le Darfour sera-t-il la prochaine matrice de fragmentation du Soudan pour le compte des Etats-Unis et d’Israël ? Un nouveau Kosovo au cœur de Sahel africain ? Des questions d’autant plus légitimes que les lignes de fractures internes sont alimentées par l’extérieur.



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