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Nationale

Fouad Soufi, historien, au Jeune Indépendant : «Les manifestations ont porté la voix du peuple algérien sur la scène internationale»

Fouad Soufi, historien, au Jeune Indépendant : «Les manifestations ont porté la voix du peuple algérien sur la scène internationale»
L’historien Fouad Soufi.

A l’occasion de la commémoration du 63e anniversaire des manifestations du 11 décembre 1960, l’historien Fouad Soufi souligne l’importance de cette date charnière de l’histoire de l’Algérie.

Dans cet entretien accordé au Jeune Indépendant, il explique qu’elle restera gravée dans les mémoires comme une date où le peuple algérien a fait entendre sa voix, a mis en échec la politique coloniale et porté sur la scène internationale la question de la décolonisation de l’Algérie. Ceci à travers la mobilisation d’hommes et de femmes qui ont sacrifié leurs vies pour défendre les valeurs d’une Algérie libre, indépendante et souveraine.

Le Jeune Indépendant : A l’occasion du 63anniversaire des manifestations du 11 décembre 1960, pourquoi est-il important de commémorer cette date ?

Fouad Soufi : Il est très important de marquer une halte pour commémorer l’anniversaire des manifestations du 11 décembre 1960 et le massacre de manifestants pacifiques algériens par les forces coloniales françaises, car cette date fait partie du calendrier révolutionnaire et joue un rôle capital dans le récit national. Elle joue aussi un rôle capital dans la lutte contre l’oubli et le devoir de mémoire.

Ensuite, cette commémoration fixe dans la tête et la mémoire de génération entière les événements qui ont conduit à l’indépendance de l’Algérie. Il est important de rappeler, à chaque fois, que cette indépendance n’est pas venue toute seule et qu’elle n’a pas été offerte comme certains veulent le faire croire. C’est pour cela qu’il est important de rappeler, à chaque fois, que cette indépendance a été arrachée au prix du sang qui a coulé dans les campagnes et dans les villes. Que l’indépendance de l’Algérie a été arrachée au prix de sacrifices incommensurables et que les Algériens ont payé le prix fort pour leur liberté dont cette date du 11 décembre 1960.

Justement, que représente cette date historique dans le récit national ?

Le 11 décembre 1960 marque les massacres des manifestations pacifiques des Algériens à Alger. C’est la date qui a été choisie dans le cadre du récit national, même si ces manifestations avaient débuté dès le 9 décembre à Ain Témouchent et se sont poursuivis après le 11 décembre dans d’autres wilayas. Le choix s’est porté sur la date du 11 décembre à Alger, car c’est la manifestation pacifique qui a causé le plus d’assassinats d’Algériens de la part de l’armée coloniale française, de la gendarmerie française et des CRS à Alger, dont une centaine d’Algériens massacrés rien que dans le quartier de Belcourt.

Cette manifestation des Algériens revendiquant leur indépendance pleine et souveraine représente l’échec de deux politiques. D’une part, l’échec de la politique du Chef de l’État de la France coloniale de l’époque, le général De Gaulle, et sa vision d’une troisième voie d’une Algérie où toutes les populations pourraient vivre ensemble sous l’autorité française et, d’autre part, l’échec des colons extrémistes adeptes de l’Algérie française qui ont rendu la vision de De Gaulle illusoire.

L’autre évidence de ces manifestations populaires de milliers d’Algériens, c’est que cela a démontré à l’armée coloniale française, qui avait cru avoir réglé le problème de la lutte du peuple algérien pour son indépendance en massacrant les populations rurales et occasionnellement les populations urbaines algériennes, qu’elle avait tout faux. Ces manifestations ont été la preuve du contraire et ont démontré l’ampleur de la volonté du peuple algérien de se libérer du joug colonial. Ceci d’autant plus que ces manifestations ont gagné petit à petit toutes les villes d’Algérie, Aïn Témouchent, Oran, Alger et des dizaines d’autres villes jusqu’à Annaba.

Il faut savoir que le mode opératoire de ces manifestations est un peu compliqué car, au départ, ce n’était pas un mot d’ordre. Les manifestations des Algériens ont commencé à partir du 9 décembre à Aïn Témouchent suite aux intimidations des européens qui manifestaient déjà contre la venue du général De Gaulle en voulant imposer leur vision de l’Algérie française.

Ces européens se sont attaqués aux Algériens qui ne voulaient pas s’associer à leur mouvement. Les Algériens ont été, au début, plus ou moins poussés par une minorité de gaullistes qui voulait acclamer De Gaulle. Mais par la suite, les Algériens ont contrecarrés les européens en faisant de cette manifestation une manifestation nationaliste pour revendiquer haut et fort leur volonté d’indépendance et de souveraineté en tant que nation à part entière.

Et c’est ainsi que dès le 9 décembre, à Aïn Témouchent, a été scandé le slogan « Algérie musulmane » en opposition aux slogans colonialistes. Les manifestations revendiquant la souveraineté pleine et entière du peuple algérien ont été rapidement prises en charge par le Front de libération nationale (FLN) qui ne s’est pas laissé dépasser par ces manifestations qui se sont rapidement propagées à toutes les grandes villes algériennes.

Cette maitrise des cellules du FLN de ces manifestations aux revendications nationalistes a rendu fou de rage les gardes mobiles, les gendarmes et les soldats de l’armée coloniale française qui se sont mis à tuer à vue et ont commis de véritables massacres contre une population désarmée dont de nombreux femmes et enfants. Du fait d’une forte présence de journalistes du monde entier présents à Alger, ces massacres ont eu un retentissement international car on ne comprenait pas pourquoi des manifestants qui n’étaient ni armés ni agressifs dans une manifestation pacifique ont été tués presque à bout portant.

Et quel a été l’impact sur l’opinion internationale ?

Les répercussions de cette mobilisation ont été immenses, aussi bien sur la scène nationale qu’internationale. Les médias du monde entier ont relayé les images de cette journée, dévoilant au grand jour l’ampleur du mouvement nationaliste algérien et la détermination du peuple algérien à obtenir sa liberté. 

Les Algériens se sont dressés contre l’oppression des colons affirmant haut et fort leur aspiration légitime à l’indépendance et à la souveraineté de leur pays.

Ces manifestations ont, de ce fait, infléchi la position de nombreux pays qui ont compris qu’il y avait une population qui ne souhaitait pas rester sous le joug du système colonial. Cela a également donné au FLN et au GPRA (Gouvernement provisoire de la République algérienne) une légitimité encore plus importante et cela va préparer la grande grève lancée par le GPRA le 5 juillet 1961. En outre, cela a permis de porter la question de l’autodétermination et de l’indépendance du peuple algérien à l’Assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU).

Y a-t-il eu beaucoup d’études ou d’ouvrages sur cette date historiques ?

Il y a eu très peu d’études sur cette période à cause de la difficulté de l’accès aux archives. Certes, il y a eu un ouvrage de l’historien Daho Djerbal consacré à l’impact des manifestations du 11 décembre 1960 sur l’histoire de la guerre de libération nationale, mais très peu d’écrits sont consacrés au déroulement des événements. 

Par contre, la presse et les médias de l’époque, que cela soit la presse coloniale, la presse internationale ou le journal nationaliste El Moudjahid, ont largement couverts ces manifestations et il y a eu beaucoup d’images et de compte-rendus sur ce qui s’est déroulé non seulement le 11 décembre mais également les autres jours.

 

Entretien réalisé par Sihem Bounabi 



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