Festival de monodrame de Carthage: «Zahra bila awraq» de Tounes Aït Ali en lice

L’Algérie sera représentée à la 7ᵉ édition du Festival international de monodrame de Carthage, qui se tiendra du 6 au 9 mai à Tunis, par la pièce « Zahra bila awraq » (Une fleur sans feuilles), mise en scène par Tounes Aït Ali sur un texte d’Ibtissem Bouderies et produite par le Théâtre régional de Laghouat.
Dans cette manifestation dédiée à l’art du solo scénique, la pièce s’impose déjà comme une œuvre forte, portée par une comédienne habitée et une vision artistique audacieuse.
Dans ce monodrame d’une durée d’une heure, l’histoire suit Zahra, une jeune femme confrontée à une révélation dévastatrice. Le jour même de son mariage, elle apprend qu’elle a été adoptée. Une vérité enfouie depuis l’enfance, qui fait irruption dans sa vie au moment où elle s’apprête à en entamer un nouveau chapitre. Cette révélation, loin d’être anodine, entraîne un rejet immédiat de la part de son fiancé, incapable de faire face aux pesanteurs sociales et aux préjugés encore très ancrés autour de l’adoption. Du jour au lendemain, Zahra se retrouve seule, abandonnée, marginalisée, contrainte de remettre en question non seulement son avenir, mais aussi sa propre identité.
La pièce ne se contente pas de relater un drame personnel. Elle interroge en profondeur les normes sociales, les stéréotypes liés à la filiation, et la pression exercée par la société sur les femmes, en particulier lorsqu’elles sortent du cadre imposé. Le texte de Bouderies, ciselé, sensible et introspectif, explore cette quête d’identité avec pudeur et puissance. Zahra, brisée mais pas soumise, choisit finalement la voie de l’autonomie et de la résilience. Refusant de se laisser définir par le regard des autres, elle décide de vivre en dehors des conventions, affirmant son droit à une existence pleine et digne, même en marge des modèles familiaux traditionnels.
La mise en scène de Tounes Aït Ali, quant à elle, s’éloigne délibérément des codes classiques du théâtre frontal. Dès l’arrivée du public, le spectacle commence de manière inattendue, dans le hall même du théâtre. Zahra, immobile sur une chaise, tire lentement un long fil rouge qui serpente vers la scène.
Ce fil, métaphore du lien rompu, de la quête de soi, accompagne la comédienne jusqu’à l’espace scénique, qu’elle rejoint en traversant la salle. Ce choix de mise en espace casse la fameuse « boîte italienne », abolissant la frontière entre l’actrice et le spectateur, entre le récit et la réalité. Il plonge d’emblée le public dans un univers sensoriel et émotionnel, où le silence, le geste et le regard en disent parfois plus que les mots.
Une fois sur scène, Zahra évolue dans une scénographie d’une grande sobriété, conçue par Zinedine Khettab. L’espace est habité par des fils tendus, suspendus comme des cicatrices visibles de blessures invisibles. Ils représentent les attaches fragiles, les tensions familiales, les non-dits, mais aussi l’aspiration à se libérer.
Deux balançoires, disposées de part et d’autre, symbolisent cette oscillation permanente entre attachement et rupture, entre mémoire et oubli, entre l’acceptation et le rejet. Le costume blanc porté par la comédienne, à la fois robe de mariée et drap d’hôpital ou de solitude, résume en un seul signe le destin contrarié de Zahra, fait d’espoirs déçus et de renoncements douloureux.
L’interprétation de Fatma Zahra Masna est au cœur de la réussite de la pièce. Révélée notamment lors du Festival national du théâtre féminin de Annaba, la comédienne livre ici une performance bouleversante. Par sa maîtrise vocale, la clarté de sa diction, la densité de ses silences et sa présence magnétique, elle donne vie à une Zahra à la fois vulnérable et déterminée. Elle ne joue pas, elle incarne Zahra. Chaque geste, chaque regard porte le poids d’une mémoire, d’un combat intérieur, d’un refus de céder à la fatalité. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu le prix du meilleur talent féminin prometteur, lors de cette édition.
La pièce ne se limite pas à un discours féministe ou à une dénonciation sociale. Elle dépasse le cadre algérien ou maghrébin pour toucher à l’universel. Zahra devient le miroir de toutes les identités fracturées, de toutes les personnes qui ont été définies malgré elles par leur origine, leur histoire, ou les normes sociales.
C’est aussi une œuvre sur l’amour, sur les attentes sociales autour du couple, et sur la difficulté à se défaire des modèles imposés. « Zahra bila awraq » devient ainsi un plaidoyer pour l’acceptation de soi, pour la réinvention de la filiation et pour le droit de chaque individu à écrire sa propre histoire.
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